Chapitre 28

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Akos observa quelques minutes cette Capucine Diefenthal depuis l’angle du couloir qui menait à la salle d’attente. Première confirmation : il ne connaissait pas cette femme. De plus, son accoutrement, châle, lunettes teintées et robe mal taillée qui lui donnait l’air d’un personnage de film de série B, appelait à la méfiance. Akos regretta que cela tombe le jour où Ely n’était pas bien disposée, car il lui aurait sûrement demandé un avis. Mais bon, résigné, il se fit violence et se dirigea vers elle.

« Mme Diefenthal, Inspecteur Daimonokton, il semble que vous ayez une convocation. »

La femme tourna la tête dans sa direction, sembla le détailler de haut en bas et lui tendit un papier plié en quatre. Akos le prit et s’empressa d’en lire le contenu. C’était, sans aucun doute possible, une convocation officielle. Il parcourut les lignes et découvrit une note posée au crayon de papier :

« Pourrait-on faire ça dehors ? »

Akos fronça les sourcils et réfléchit. Une idée assez invraisemblable venait de germer dans son esprit. Il replia le papier et le rendit à la femme.

« Laissez-moi deux minutes et je reviens. »

Il fila prendre son manteau dans son bureau et sortit sur le parvis du commissariat en compagnie de la femme.

« Je vous écoute. » fit-il sans la regarder.

Elle toussa et fit tout un tas de bruits de gorge bizarres pour probablement s’éclaircir la voix.

« C’est plutôt à moi de dire cela. Ce n’est pas moi qui ai appelé. »

Akos ne put ni retenir un soupir, ni s’empêcher d’exprimer sa surprise.

« Lys ?

— Non. Mais tu peux faire comme si c’était le cas. La demoiselle devant toi va me servir d’interface. »

En même temps qu’elle disait cela, la femme releva un pan de son châle pour permettre à Akos de voir une oreillette raccordée à un dispositif électronique.

« Pourquoi ?

— Pourquoi ? C’est toi qui m’as demandé d’arrêter de pirater la ligne de la petite Ely, tu te rappelles ? »

Akos avait du mal à croire que la femme qu’il avait devant lui ne soit pas Lys.

« Elle parle vraiment comme toi.

— Que crois-tu ? Je sais m’entourer de gens doués. La demoiselle est ma meilleure doublure. Une actrice hors pair. »

Akos aurait bien voulu vérifier la réalité de l’artifice en s’équipant de l’oreillette lui-même, mais comme ils étaient devant le commissariat, la manœuvre risquait de faire bizarre.

« Bon, poursuivit la femme, c’est quoi ta nouvelle demande ? Je suppose que ce n’est toujours pas pour mon rencard. Quoique ça pourrait pratiquement le faire avec la demoiselle. Mais je ne la paye pas assez cher pour les extras après dîner. »

Akos leva les yeux au ciel. Même si cette femme n’était pas vraiment Lys, il était désormais certain de parler avec elle. Cet élément réglé, il fallait maintenant expliquer clairement l’histoire des napoléons sans que Lys ne le prenne pour un fou.

« Donc, si je résume. Vu que tu soupçonnes qu’on ait introduit une loi scélérate dans notre corpus législatif qui permettrait de faire du blanchiment d’argent en mode open bar, il y a trois siècles de ça, tu me demandes d’aller voir si celle-ci ne serait pas allégrement utilisée encore aujourd’hui ? Je vais être honnête, si cela ne venait pas de toi, je crois que cela ferait longtemps que je serais en train de me rouler par terre de rire. On dit souvent que la police a un temps de retard mais là, c’est d’un niveau astronomique. »

La femme ricana une bonne minute avant de reprendre son sérieux.

« Tu penses que ton Druide a été flingué parce qu’il avait découvert le pot aux roses ? Ce serait une sorte de justicier au long cours ? Pourquoi aurait-il attendu trois siècles avant d’agir ?

— Qui te dit qu’il l’ait su depuis aussi longtemps ?

— Rien, en effet. Faut dire que ton affaire est à plusieurs titres complètement hors norme. Mais, allez, ton histoire de blanchiment d’argent vaut la peine qu’on se penche dessus. En revanche, j’espère que tu es conscient que si tout cela a un fondement, on risque de tomber sur un système vieux mais bien huilé. Je ne crois pas avoir d’exemple en tête d’un circuit mafieux avec une telle longévité. Cela suppose des complicités et un dispositif qui doit avoir des ramifications dans de nombreuses strates institutionnelles. Et si cela fait trois siècles que ça remplit la tirelire, ça veut dire aussi qu’on doit s’attaquer à des gens qui ont un pouvoir financier absolument hors du commun.

— Tu penses pouvoir trouver les données ?

— Du calme, je n’ai jamais dit que j’acceptais. J’ai peut-être l’air immortelle dans ta tête mais ce n’est pas le cas. En plus de cela, je tiens à la vie et à mon petit business. Avec les moyens que ces gens-là ont, ils peuvent t’envoyer des aliens venus de planètes lointaines avec des cerveaux vingt fois plus gros que le tien à tes trousses.

— Alors c’est cuit ?

— Je n’ai pas dit ça non plus. »

La femme se tut et d’un geste, fit comprendre à Akos qu’il lui fallait quelques minutes de réflexion. Pendant ce temps, ce dernier l’observa et tenta de se faire une idée plus précise de celle qui servait de marionnette humaine à Lys. Malgré le châle, les lunettes et très probablement un maquillage assez poussé, il avait pu apercevoir certains détails qui lui faisait dire que la femme s’était volontairement vieillie. La peau du cou, les mains n’appartenaient pas à la quarantenaire pour laquelle elle essayait de se faire passer. Akos estima qu’elle avait tout au plus une trentaine d’années. Elle était rousse aussi. Il avait repéré quelques cheveux sous la perruque quasi invisible dont elle s’était couverte. Mais ce n’était pas le seul indice. Malgré le soin apporté au maquillage, les lunettes frottant en permanence sur les arêtes de son nez laissaient deviner des tâches de rousseur très reconnaissables.

« J’espère qu’Ely n’est pas du genre jalouse, vu la manière dont tu radiographies ma doublure. Je peux t’arranger un coup si le plan à trois te tente. »

Lys devait l’observer au travers d’une caméra planquée sur la femme ou depuis celles de surveillance, installées en hauteur sur le frontispice du commissariat.

« Qu’est-ce que tu as décidé ? Tu veux bien m’aider ce coup-ci ou tu jettes l’éponge ? fit Akos, volontairement un peu provocateur.

— Ne joue pas à ça avec moi, s’il te plaît. A moins que tu aies cru un instant que mon Q.I. avait brutalement baissé, je ne suis toujours pas sensible à ce genre de manœuvre. Bref, pour en revenir à nos moutons, pour l’instant, je ne te dis, ni oui, ni non. Faut que j’explore un peu le terrain avant ça. Et que j’étudie peut-être comment utiliser cette blanchisserie pour mes propres besoins. Bref, il me faut du temps. De ton côté, je ne sais pas si ces napoléons sont dans tes rapports ou ceux d’Ely, mais si c’est déjà le cas, je t’encourage à faire les démarches auprès de l’Institut de la Monnaie et de jouer les naïfs pour voir quelle est la version officielle sur l’origine des pièces. Mais ne va pas dire que t’as regardé côté compta. Et si vous n’avez encore rien consigné, bah faites en sorte que ça reste comme ça. »

Akos acquiesça. Il n’avait pas de remarque à faire sur cette logique.

« On a fini ? demanda-t-il.

— Presque.

— Quoi ?

— Juste une remarque. Je suis très étonnée de n’avoir rien vu fuiter dans la presse à propos de ton affaire. Pourtant l’incendie de l’hôtel a eu son petit encart ce matin. Tu sais pourquoi ? Vous avez donné des instructions aux médias ?

— Pas à ma connaissance. » répondit Akos en regardant dans le vague quelques instants.

Il ne l’avait pas noté mais ce que disait Lys était correct. Il se retourna vers la femme pour saluer Lys mais elle avait disparu.

« Qu’est-ce tu fais-là ? demanda une voix derrière lui. Tu t’es remis à fumer ? »

Akos pivota de nouveau sur lui-même et Ely qui le regardait d’un air inquisiteur. Il secoua la tête. Comment savait-elle qu’il avait fumé par le passé ? Il lui semblait bien avoir arrêté avant qu’Ely intègre le service.

« Viens, il est l’heure de manger. »

La phrase n’appelait pas à discussion. Akos se décala et suivit Ely quand elle se remit en marche.

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