Chapitre 31

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Qu’il s’agisse d’Ely ou d’Akos, les deux sortirent de l’Institut de la Monnaie avec le sentiment de n’avoir appris que peu de choses utiles mais surtout de n’en avoir tiré aucun élément à même des conforter sur une piste ou en établir une nouvelle.

« C’est vraiment frustrant, reconnut Akos. On avance mais on patauge et j’ignore pourquoi. Ce n’est pas faute d’avoir ratissé large. »

Ely acquiesça puis, tournant la tête, laissa aller son regard les longs des quais. Elle sortit un petit carnet et tourna les pages assez rapidement.

« Dis-moi, fit Ely alors qu’ils s’engageaient sur le pont pour rejoindre la rive gauche. Tu crois vraiment que notre Druide était réellement une espèce de rescapé ? Moi, j’ai de plus en plus de mal à y croire. Déjà, historiquement, on ne possède aucune preuve ou même hypothèse pour expliquer la disparition de la caste. On sait qu’ils ont été chassés et exterminés par les radicaux mais du côté de l’Alliance, l’idéologie était certes discutable mais elle consistait à les exploiter et non les faire disparaître. J’ai repris des chiffres que m’a donné Freya ce matin, et même si je faisais une grosse règle de trois pour appliquer le même ratio que celui qui s’est appliqué au niveau sur la population mondiale, je suis tombé sur un peu moins d’une centaine de milliers d’individus restants. Ce n’est pas énorme mais sachant que ces gens-là vivent deux à trois cents ans, c’est étrange de se dire qu’ils aient disparu totalement de la surface de la Terre. Il me semble plus probable qu’ils se soient réfugiés quelque part plutôt qu’ils aient continué à disparaître jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un.

— Ton raisonnement tient debout. Mais cela te mène à quoi ? »

Ely sourit comme si elle n’attendait que cette réponse pour continuer.

« Écoute, je n’arrive pas à relier tous les points entre eux, mais si j’imagine un pseudo scenario pour mettre tout ceci en relation, je me dis que notre Druide n’est en fait qu’une sorte d’agent envoyé ici pour remplir une mission imaginée par un groupe quelconque composé peut-être en partie d’autres Druides. C’est quoi cette mission ? Aucune idée. Mais, déduction issue des faits, si la section 23 s’y intéresse, c’est sûrement un truc qui vise à déstabiliser le pays ou le gouvernement. Pour le fond, vu ce que l’Histoire nous raconte, on peut imaginer un truc assez simpliste : genre la revanche des Druides.

— Celui fait très « titre de film », mais pourquoi pas, commenta Akos en souriant.

— Pas faux. Mais je continue. Menace ? Du coup la section 23 intervient. Elle flingue le Druide, ça devait passer sous les radars, mais un truc se passe mal et voilà la police qui rentre dans la danse. La section 23 panique et nous envoie une taupe pour tenter d’orienter l’enquête. Problème : qu’est-ce qu’on est sensé découvrir ? C’est là que je bute. Pourquoi si la section 23 voulait enterrer le sujet, nous laisser l’enquête ? Walmsley n'est pas bête, elle aurait déjà dû nous orienter sur une piste avec son atout : Freya. Mais, ce n’est pas ce qui est fait, il semble qu’elle veuille qu’on conserve la main.

— Et donc ?

— Alors, nouvelle hypothèse. Le Druide : ce n’est pas lui la menace. La section 23 le surveillait parce qu’elle le savait menacé par une méchante entité X. Elle se rate, le Druide se fait buter par l’entité X. On débarque et de la même manière qu’elle laissait notre victime agir à sa place, la section 23 ne veut pas attaquer frontalement cette entité. Elle nous laisse remonter tranquillement jusqu’à elle. Sauf que pour l’instant, nous, on ignore ce qu’est cette entité. Pour éclairer le tableau, il faut que nous répondions à la question suivante : qu’est-ce qui empêche la section 23 d’œuvrer elle-même ?

— Logique.

— Certes mais à partir de là, ne m’en veux pas si mon scénario devient un peu délirant. Imaginons, la section 23 estime que l’ennemi vient de l’intérieur, ça expliquerait certaines choses. Pour ajouter un peu de matière à ça, on a cette fameuse pièce qui semble nous mener à une organisation qui, depuis plusieurs centaines d’années, trompe son monde et a instauré un système au sein même des institutions qui permet de recycler de l’argent sale et ça, dans le cadre juridique idéal. Pour l’instant, si j’essaie d’esquisser le truc à grosses mailles, ça nous emmène dans la sphère politique, entre autres, rien de moins que la famille du premier président de notre République ! Alors je me dis que l’entité X que j’ai imaginée, c’est peut-être cette famille. Si cette famille est toujours dans les sphères de pouvoir, on comprend mieux pourquoi la section 23 marche sur des œufs. Qu’en penses-tu ? Je sais que j’ai laissé pas mal de choses de côté mais au moins, là j’ai un truc qui m’emmène sur la résolution du meurtre.

— J’en pense que c’est un peu le même scénario vers lequel je me dirigeais. C’est pour cela qu’il faut qu’on ait le concours de Lys

— Qu’est-ce qu’elle vient faire dans l’histoire ?

— C’est elle qui devrait nous éclairer si le système de blanchiment existe, à mettre des noms sur ceux qui en profitent. Si par bonheur ça cadre avec les Noxgard, on commencera à y voir clair.

— Par contre, on est encore loin de trouver notre meurtrier.

— C’est là qu’il va nous falloir utiliser toutes les autres infos à notre disposition. »

Ely n’était pas peu fière d’avoir pu exposer l’ensemble de sa théorie et qu’Akos lui valide qu’elle ne faisait pas complètement fausse route.

*

Freya campait toujours dans le bureau d’Ely lorsqu’ils arrivèrent au commissariat. Elle ne dit rien comme à son habitude mais sa manière d’apostropher Akos sonna comme un reproche de l’avoir une nouvelle fois écartée de leur nouvelle investigation. Akos en prit bonne note car, même s’il n’envisageait toujours une collaboration pleine et entière avec la section 23, il ne voulait pas que le relationnel quotidien devienne trop tendu.

« Je pense avoir une explication sur les marques que vous avez trouvées sur la scène de crime, comme vous me l’avez demandé. En tout cas, l’explication physique. En ce qui concerne comment cela a pu se produire dans cette chambre et ce qui a pu en être à l’origine, je dispose de trop d’indices.

— Comme nous tous, se contenta de préciser Akos pour donner à Freya une sorte d’assurance que pour le coup, elle était au même niveau d’information qu’eux. Alors ?

— Tout d’abord, il faut bien constater sur les photos que les retraits de matière ne peuvent pas avoir été faits par des coups, ni même par un outil qui aurait été conçu expressément pour ça. Le principal élément qui permet de l’affirmer sont les marques 2, 5 et 7, dit Freya en tendant à Akos et Ely, des agrandissements des photos d’origine. La courbure observable montre bien qu’il est physiquement impossible qu’un objet sphérique ait pu entrer et ressortir du mur sans arracher de la matière. Le diamètre sur la paroi est plus petit que le plus grand diamètre du volume inscrit.

— Et si on imaginait, je dis n’importe quoi, une espèce de ballon gonflable ? On le rentre dans le mur, on le gonfle puis on le dégonfle. On obtient la forme en question, non ?

— C’est une idée mais cela pose deux questions : comment fonctionnerait exactement cet outil et surtout, où est la matière qui a été retirée. Si on imagine que la forme a été faite par compression, il devrait y avoir une déformation et une sorte de renflement de matière de part et d’autre.

— Et ce n’est pas le cas. Mais vous avez dit en introduction que vous aviez une explication. Je suppose que vous l’avez ? »

Freya sembla satisfaite de la question et retourna chercher deux autres documents qui, cette fois, n’étaient que des reproductions d’une étude scientifique. Akos regarda le titre et la seule chose qu’il réussit à en tirer était qu’il était question de réaction nucléaire.

« Ce sont des travaux de recherche qui datent un peu puisque presque tout a été ensuite classifié lorsque le nucléaire a été définitivement enterré. »

Akos regarda la date : 2573. Effectivement.

« L’étude reste cependant très pertinente car cela parle des possibilités d’utiliser des réactions nucléaires contrôlées pour des applications pratiques de travaux d’excavation.

— Je ne saisis pas trop la pertinence pour l’instant. » fit Akos d’un air sceptique.

Ely lui lança un regard moqueur et étouffa un gloussement. Freya les observa tous les deux pour savoir ce qui était l’objet de la moquerie. Lorsqu’elle réalisa que c’était l’inspecteur, elle poursuivit :

« L’article n’est clairement pas à la portée de tout le monde mais, il y a quelque chose d’extrêmement intéressant : ce sont les photos réalisées lors de la preuve de concept. »

Elle retourna une nouvelle fois chercher trois nouvelles reproductions grossies avec plusieurs facteurs d’agrandissement.

« Les images sont un peu floues car, à l’époque, ils utilisaient encore des formats matriciels pour les enregistrer mais c’est suffisant pour voir ce qu’il y a à voir.

— C’est exactement ça, s’exclama Ely. Mais, du coup, si tout ça était lié au nucléaire civil et qu’on a tout arrêté, ça veut dire quoi ? Que c’est l’armée qui est cachée derrière tout ça ?

— Pas nécessairement. Il existe d’autres hypothèses, dit tranquillement Freya.

— Lesquelles ?

— Les Druides pourraient avoir développé ce type de capacité.

— Vous êtes sérieuse ? fit Ely en plissant les yeux.

— Parfaitement, répondit Freya un peu brusquement.

— Qu’un organisme vivant soit capable de contrôler une réaction nucléaire en mode normal, ça vous paraît plausible ? insista Ely.

— Aussi plausible qu’une glande qui produise une substance capable de donner des visions de l’avenir. »

Akos se décida à intervenir.

« On ne va pas décider de cela aujourd’hui, mesdames. C’est déjà un bon point de savoir que ce qu’on a vu sur cette scène de crime peut trouver une explication à peu près rationnelle. Du moins qui trouve encore ses fondements dans la physique de notre monde. Moi ce que je retiens, c’est qu’il est probable que ces marques confirment qu’il y a bien eu lutte. Je ne vois pas d’autres explications, peu importe qui ou quoi a pu les produire. Je doute fortement que notre Druide ait utilisé ça pour se suicider. Je prends donc ceci comme une preuve pour conforter la thèse que nous privilégions déjà : celle du meurtre. Une objection ? »

Les deux jeunes femmes s’observèrent encore quelques secondes puis se tournèrent vers lui pour avaliser son propos.

« Bon, je dois vous laisser. Il faut que je repasse au laboratoire. »

Akos tourna les talons et prit la direction de la porte. Avant de sortir, il marqua une pause et sans se retourner, rajouta :

« Freya, je vais aller voir Mason pour qu’il vous attribue un bureau. Je vous enverrai un message d’ici la fin de la soirée. »

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