Chapitre 37

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Akos ne savait pas comment il allait procéder avec cette Druide et quelle méthode serait la plus judicieuse pour obtenir des informations utiles à l’enquête. Fallait-il la laisser parler ou bien lui poser des questions précises ? La logique lui commandait de prendre la première option, mais il était aussi préoccupé par le cas de Lys pour lequel chaque heure qui passait, lui apparaissait comme un élément propre à réduire les probabilités d’issues favorables. Cependant, il n’eut pas à choisir. Morrigan se mit à parler :

« J’ignore ce qu’il s’est passé et les circonstances qui ont amené à la mort de mon frère. Je sais juste deux choses : Aiwen ne s’est pas suicidé et il n’était pas non plus arrivé à sa limite. J’entends par là qu’il n’est pas mort de vieillesse.

— Vous étiez en contact avec lui ? »

La Druide sembla surprise de la question.

« Vous devriez le savoir. »

Ce fut au tour d’Akos de ne pas cacher son étonnement.

« Vous êtes bien allé à la librairie ? »

L’inspecteur comprit alors à rebours ce qui avait conduit cette Morrigan à le contacter. Comment avait-elle su qu’ils s’étaient rendus dans ce magasin ? Il l’ignorait mais de toute évidence, elle avait anticipé que cette visite aboutirait à des éléments qui les auraient amenés jusqu’à elle. La Druide sembla réaliser qu’ils étaient encore loin de l’avoir identifiée.

« J’ai peut-être anticipé un peu trop et surestimé vos capacités d’enquête. Cela dit, il m’a semblé judicieux de vous contacter avant que vous n’ayez l’idée de lancer un avis de recherche qui m’aurait sûrement compliqué la vie. »

Akos acquiesça. Il suivait le raisonnement mais un détail l’intriguait.

« Pourquoi communiquiez-vous ainsi avec votre frère ? Et de quoi parliez-vous ?

— Depuis que nous sommes arrivés à Paawis, c’est la méthode que nous avions convenue. Nous ne tenions pas à attirer l’attention. La raison me semble évidente. La réaction de votre collègue et vous-même est assez éloquente. Et pour tout vous dire, c’est notre manière de faire depuis toujours lorsque nous nous rendons sur un territoire où la présence humaine est si dense. Comme vous l’avez sous-entendu, nous étions conscients que la révélation du fait que des Druides étaient encore vivants entraînerait nécessairement des conséquences dans certains esprits.

— Pourquoi venir ici alors ? »

Morrigan sourit une nouvelle fois. Elle prit son temps avant de répondre.

« Quelque part, je crois que nous faisions ce que vous faites, vous, actuellement. Nous menions une enquête.

— Dans quel but ? »

Morrigan ferma les yeux calculant sûrement les options qu’elle avait à sa disposition pour répondre à cette question.

« Mon frère et moi avions certaines hypothèses depuis des années pour expliquer le passé et anticiper le futur. Nous étions venus les vérifier. »

Akos hocha la tête, comprenant qu’à ce stade, il n’obtiendrait rien de plus précis. Alors il enchaîna :

« Quand êtes-vous arrivés à Paawis ?

— Il y a quelques semaines.

— D’où veniez-vous ? »

Morrigan plissa les yeux. La question semblait la gêner.

« Quelle importance ? demanda-t-elle.

— Je n’en ai aucune idée, répondit Akos. Au stade où j’en suis de l’enquête, toute information peut avoir son intérêt pour expliquer sa mort.

— C’est donc un meurtre ?

— C’est une possibilité qu’on ne peut pas écarter. » fit Akos qui ne voulait pas dire que c’était son hypothèse principale.

La Druide ne sembla pas trop satisfaite de cette réponse mais après une minute de silence, elle finit par lâcher.

« D’Isenhölm. »

Ely sursauta et tourna son regard sur Akos. Ce nom ne pouvait pas être sans effet sur lui et effectivement, elle vit dans son attitude qu’il était en train de digérer l’information. En dehors des échos que cela pouvait provoquer en Akos, Isenhölm n’était pas si surprenant. Au contraire, l’isolement de la région, son faible peuplement et ses conditions climatiques très rudes, en faisait une destination de choix pour qui voulait disparaître de la surface de la planète. Ely aurait bien demandé si l’Isenhölm n’était pas autrement dit l’endroit où s’était réfugiée tout ou une partie de la diaspora druidique. C’était une déduction logique et ouvrait l’hypothèse d’un mouvement politique agissant dans l’ombre pour le compte de ces survivants. À peine cette idée lui avait traversé l’esprit que Morrigan la toisa du regard. Ely s’en voulut d’y avoir pensé. C’était maintenant clair pour elle que la Druide utilisait ses capacités et que dès lors qu’elle avait eu cette réflexion, un futur s’était déployé où elle avait posé la question plutôt que de garder ça pour elle. Un peu honteuse de ne pas avoir la capacité à se maîtriser assez pour éviter cela, elle resta silencieuse et attendit qu’Akos poursuive.

« Quels étaient vos objectifs exacts en venant ici ? Je suppose que vous n’aviez pas l’intention de vous installer à Paawis. »

C’était la seconde fois qu’Akos insistait pour connaître les intentions de la fratrie. Établir la réalité des faits historiques n’était donc pas pour lui suffisante. Morrigan se pinça les lèvres mais resta silencieuse. Akos rajouta :

« Je ne sais pas ce qu’était votre plan à l’origine en voulant nous rencontrer mais maintenant que nous y sommes, allez jusqu’au bout de votre démarche. A moins que vos plans aient été ou soient foncièrement mauvais, je ne vois pas de raison à votre silence. »

Morrigan releva la tête.

« Pour cela faudrait-il que je puisse vous faire confiance.

— A propos de quoi ?

— Vous l’avez dit vous-même. Vos objectifs sur cette enquête ne sont pas uniquement centrés sur l’élucidation des circonstances de la mort de mon frère. Je ne suis pas naïve. Si vous cherchez un responsable, il n’y a aucune certitude du point de vue de la culpabilité. A qui donc préférerez-vous l’imputer ?

— Je ne crois pas qu’on puisse déterminer une culpabilité par préférence.

— De la même manière que l’histoire est écrite sur le point de vue des vainqueurs.

— Ce n’est pas ma façon de faire.

— Je dois donc me contenter de cela ?

— Voyez-vous une autre manière de procéder ? »

Morrigan secoua la tête. Akos sentait qu’elle était en train de se battre avec elle-même. Elle savait qu’elle n’avait pas d’autre choix mais son instinct lui commandait d’aller à l’encontre de sa raison.

« Que savez-vous de la fin des guerres druidiques et de l’avènement de la République ? »

Akos haussa les épaules et se tourna vers Ely.

« Euh, je ne suis pas très calée. En gros, si je peux résumer les choses ainsi : au sein de tous les pays qui se faisaient la guerre entre eux, le mouvement Renaissance s’est développé comme une espèce de troisième force qui a œuvré à déstabiliser les gouvernements en place dont la seule perspective était de faire durer la guerre jusqu’à ce qu’il y ait un vainqueur. Elle est devenue une sorte d’armée indépendante et petit à petit, elle a gagné des partisans de tout bord. Je n’en sais pas beaucoup plus, si ce n’est que c’est à ce mouvement que l’on doit la fin des conflits et l’instauration de notre République actuelle.

— Quelle était la position du mouvement vis-à-vis des Druides ? »

Ely eut un mouvement de tête pour signifier qu’elle ne savait pas vraiment.

« Pour autant que je me rappelle, je ne crois pas que le mouvement ait eu une position négative. Je veux dire qu’il ait eu l’intention d’éradiquer la caste. Après, exactement, je ne saurais dire. »

Morrigan hocha la tête.

« En effet, quand vous êtes allés à l’école, vous n’avez pas abordé le sujet. D’ailleurs, en vérité, personne ne vous a enseigner quoique ce soit à propos des Druides si ce n’est pour évoquer qu’ils ont été à la source des conflits. Aucun jugement moral n’est esquissé dans aucun manuel ou livre d’Histoire officiel. Seulement en creux, tous assimilent le Druide à la raison de la guerre. De ce fait, leur disparition totale de la surface de la Terre intervient dans l’esprit des gens, au mieux comme une chose finalement bienvenue et au pire, nécessaire, dans tous les cas, logique puisqu’elle s’inscrit en gros sur la même période que la fin des guerres. »

La Druide se tut un instant. Et, au moment où elle s’apprêtait à reprendre, Akos l’interrompit :

« Mais vous, quelle est votre Histoire officielle ? Quel intérêt à vous accrocher à celle écrite par les humains ?

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que je ne vois pas quel intérêt particulier avez-vous à propos de l’Histoire officielle, celle qui est enseignée si vous, vous en avez une autre à proposer. »

Morrigan eut un sourire jaune.

« Peut-être est-ce parce que je n’en ai pas mais que mes connaissances des faits et mon intuition soient suffisamment étayées pour être convaincue qu’elle n’est pas véridique.

— Cela s’entend. Cela n’empêche pas que nous ne sommes pas là, si votre préoccupation est d’élucider les circonstances de la mort de votre frère, la véracité de l’Histoire officielle est secondaire. »

Akos marquait un point. Sa propension à être assez terre-à-terre pouvait sembler brutale mais démontrait qu’il n’était pas engagé sur un terrain politique. Morrigan arbora un nouveau sourire mais celui-ci oscillait entre l’amusement et la résignation.

« Je comprends ce que vous voulez dire, fit-elle. Je vais me contenter de cela. Il n’en reste pas moins que cela pourrait avoir son importance. Gardez bien cela à l’esprit. »

Morrigan fit une pause et attendit qu’Akos comme Ely acquiescent.

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