La torsade à dix francs

Une minute de lecture

Nous avons fait un tour dans le centre-ville. Les commerces ne nous intéressent pas, sauf la boulangerie au coin de la rue, la seule qui fait des torsades au chocolat que nous adorons. Dix francs. Je serre les trois pièces dans ma poche.

Le reste de la rue respire la mort.

Les jours de marché seulement, ça vit. J’aimais accompagner ma mère pour agrandir ma collection de tétines. La dernière fois, une énorme bleue m’a fait de l’œil, mais ma mère a refusé. C’est juste la mode. À moins que je me l’achète moi-même. Je n’avais pas assez.

Elle m’a quand même glissé quelques pièces ce matin, juste assez pour douter entre un achat utile et un caprice.

C’est pour ça que je mets autant de temps devant la vitrine. Dix francs. Après, il ne restera presque rien. En même temps, la torsade nous appelle.

Je jette un œil à Audrey. Elle capte aussitôt mon regard. Elle aussi veut la manger.

Je suis la seule à avoir de l’argent.

Ses joues rosissent. Sa peau est blanche, presque translucide ; les jours de froid, on distingue ses veines.

— Tu veux aller où après ?

Elle hausse les épaules. Je fais rouler les pièces.

— On peut se poser sur un banc.

L’idée me séduit.

— Alors, les filles, vous vous êtes décidées ?

La vendeuse nous observe derrière son comptoir. Trois clients sont déjà passés.

— Je vais prendre une torsade.

— À la bonne heure, mademoiselle.

J’ai l’impression de prendre la décision la plus importante de ma vie. Deux pièces de moins. Je ne peux plus les faire rouler dans ma main.

Audrey attrape le sachet que lui tend la vendeuse. Dehors, elle me le remet.

— On va du côté du stade ?

J’acquiesce. Je marche en évitant de serrer trop fort le sachet, de peur d’abîmer le feuilletage.
Audrey passe son bras sous le mien et se met à gesticuler.

Le banc nous attend. Nous partageons la viennoiserie en gloussant. Moitié-moitié.

Le mercredi suivant, je suis repassée devant l’étal des tétines. Ma pièce orpheline est restée orpheline longtemps. La mode a trépassé avant. Ma mère avait raison.

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