La société de consommation n'est pas le monde moderne - 1

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Un lent glissement

À notre époque, qui n’est plus celle des grandes idéologies, la question du savoir peut paraître secondaire. Les priorités, de toute évidence, sont ailleurs : dans des rêves de frivolité, de confort matériel, de réussite sociale et dans toute autre aspiration iconoclaste, qui se décline en une pléthore de désirs parfois capricieux, favorisés par une course au profit.

Est-ce bien cela, le Monde moderne ? Sans doute, ce lent glissement du Monde moderne à une Société de consommation, est-il passé inaperçu. Pourtant, les valeurs mêmes de notre civilisation en ont été bouleversées. Ce bouleversement devrait donc nous obliger à reconnaître que si le Monde moderne a bien évolué vers une société de consommation, en revanche la société de consommation n’est pas le Monde moderne.

Le Monde moderne naît de l’émulation des esprits. Il est savoir, imagination, créativité, réflexion, conscience, intelligence aussi. L’individu « est », parce qu’il « pense », décrète Descartes. Il importe de défendre « la libre pensée » ou « la libre conscience ». L’enjeu est alors de soutenir des valeurs définies comme « inaliénables », telles celles des Droits de l’Homme. Dans ce contexte, on devine que tous les savoirs : littéraires, philosophiques, comme scientifiques, étaient mis à l’honneur. Les populations s’extasiaient de tous les progrès qui avaient été rendus possibles grâce à « l’Esprit des Lumières ». Dans son discours du 15 janvier 1850 contre la loi Falloux, Victor Hugo déclare avec emphase : « (…) Voulez-vous que je vous dise ce qui vous importune ? C'est cette énorme quantité de lumière libre que la France dégage depuis trois siècles, lumière toute faite de raison (…) ».

La lumière à laquelle Victor Hugo fait allusion, est bien sûr une allégorie de la connaissance. Il n’empêche que le Monde moderne va aussi parvenir au jaillissement de la « vraie » lumière, soit l’électricité, grâce à la loi sur les phénomènes électriques et magnétiques découverte par le physicien français Charles-Augustin Coulomb (1785), permettant à Volta de créer la première pile (1800), puis à Thomas Edison d’éclairer les usines et les foyers (1879).

Dès le XVIIIe siècle, on sacralise le génie d’inventivité comme l’invention elle-même. On érige des temples de la Raison. Inventeurs, créateurs, scientifiques, philosophes et poètes sont les nouveaux apôtres d’une civilisation en devenir. On rend compte ensuite des « miracles » de la science, de la naissance de la « fée » électricité… Tel fut donc le début des Temps modernes, nés dans le chaos des derniers siècles du Moyen-âge et qui fut longtemps la fierté de l’Européen, avant d’être celle de l’Occidental.

Mais cette civilisation émergeante, qui a, pour un temps, suscité l’enthousiasme des populations européennes, a laissé ses idéaux s’éloigner et disparaître de l’horizon de ses projets.

Le philosophe a été détrôné par le technicien et l’inventeur par le financier. De même, le digne « citoyen » promulgateur des Droits de l’Homme a vu son statut s’amoindrir en devenant un passif « consommateur », plus avide de changements que de progrès. Ses attentes, autrefois axées sur une quête lucide de la vérité, sont devenues matérialistes. Son individualisme, qui jadis, consistait à braver les menaces de châtiments et de condamnation de mort, en s’exprimant en son âme et conscience, est devenu l’expression d’un égoïsme décomplexé qui vise à satisfaire des caprices de confort. Certes, il arrive quelquefois à ce consommateur, autant blasé qu’écœuré de vouloir résister, mais ce sera surtout avec des pierres, les mots étant vidés de leurs sens. De même, ses connaissances ne seront que des positionnements politiques, souvent radicaux, les portes de la réussite par le savoir étant désormais barricadées. « Les poissons pourrissent par la tête » signale l’écrivain Roger Ikor dans son essai : La tête du poisson, publié en 1983. Par cette allégorie, l’ancien prix Goncourt, tente d’alerter les lecteurs sur le fait que la disparition de l’intelligentsia est ce qui entraîne inéluctablement les civilisations sur la pente fatale de leur déclin.

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