Chapitre 17

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Moser se faisait un malin plaisir de leur envoyer chaque semaine ces colis, car il éprouvait de la haine à leur égard. Son but était de les faire culpabiliser, pour obtenir de véritables excuses de leur part. Karin et Leonard eurent droit à la visite de plusieurs journalistes qui essayaient d’enquêter pour déterminer leur vrai rôle. Mais ils n’eurent pas droit à ces expéditions de colis.

Wilhelm et Maria conservèrent chaque paquets qu’ils avaient reçus pour évoquer l’harcèlement dont ils étaient victime à présent. Wilhelm continuait de boire régulièrement, mais Maria jetait systématiquement toutes les bouteilles qu’il ramenait des magasins. D’ailleurs, il n’y avait plus de bouteilles de n’importe quel alcool qui traînait dans l’appartement et dans leur villa. C’était Maria qui se chargea de trouver une avocate pour organiser le procès, et Karin et Leonard en prirent un de leur côté. Ils se soutenaient mutuellement. L’avocate des Müller se prénommait Sarah Kauffman. C’était une jeune avocate de trente-et-un ans, élégante et qui avait su gagner quelques procès. Ils lui apportèrent les colis qu’ils avaient reçus et lui racontèrent l’entrevue avec l’avocat de Moser, Hans Schumacher.

- Si je puis me permettre, commença Kauffman, ça ne sera pas facile du tout. Votre Moser sait très bien comment tenir – permettez moi l’expression – prendre ses associés par les couilles. Personne n’a osé jusqu’à aujourd’hui s’en prendre lui. Vous êtes les premiers aujourd’hui, leur annonça-t-elle.

- Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’il a dû arnaquer des artistes, fit Maria.

- Si ces artistes ont cédés au premier passage de l’avocat en lui restituant tous les cadeaux qui leur a fait, ce n’est pas allé plus loin. Ca c’est fait discrètement. Vous, vous l’avez attaqués directement pendant une conférence de presse, avec de nombreux journalistes, photographes et cameramen. Vous l’avez démasqué.

- Mais vous, concrètement, vous pouvez faire quoi ? Demanda Wilhelm, inquiet.

- Pour le moment, je ne peux que vous conseiller que de continuer à me donner les emballages de ces cartons, de ne pas répondre ni tenter de rentrer en contact avec lui et surtout, ne tentez pas de le voir. Refusez ses propositions de régler à l’amiable cette affaire.

Pendant ce temps, Moser était à Paris pour aller voir son épouse. La Maison-Bouquet commençait à avoir une mauvaise réputation, et Marie-Sophie avait du mal à le pardonner à son époux. Depuis quelques temps, à chacun de ses passages à la télévision elle savait que le présentateur aurait une question à lui poser sur son époux et cette grande affaire médiatique, et bientôt judiciaire qui se produirait Outre-Rhin. Jürgen regardait la Tour Eiffel scintillante et se noya dans ses pensées en écoutant les voitures passer dans la rue. Tranquillement, il fumait sa cigarette. Marie-Sophie vint le retrouver à la fenêtre, et saisit la cigarette avec ses ongles fraîchement vernis en rouge. Jürgen avait toujours que cette couleur lui allait à merveille, et globalement il ne pouvait trouver que sa femme élégante. Comme à son habitude, elle lui présenta ses mains avec ses ongles de fait pour qu’il puisse la complimenter.

- Je te souhaite bien du courage, chéri, lui dit-elle en recrachant la fumée de la cigarette, car t’es vraiment dans la merde. Tu pensais pouvoir naïvement continuer à enfumer, arnaquer, mais là t’as trouvé plus fort que toi.

- Ils ont osés diffamé contre moi ! Se défendit-il, et toi tu crois que je vais me laisser faire ?

- On s’est foutu de leur gueule, ne disons pas le contraire, lui fit-elle remarquer. On les a pris pour des cons, et nous n’aurions pas dû.

- J’ai peur qu’ils gagnent ce procès.

- Et moi donc.

En janvier 1994, le procès se fit à Munich. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’une avant-première d’un film avec tous les journalistes et photographes de présents, mais c’était le début de la conclusion d’une affaire qui prenait toujours plus d’ampleur. Maria et Wilhelm vivaient sur les épargnes qu’ils avaient pu faire, mais ils étaient conscients qu’avec les honoraires de l’avocate et les potentiels dommages et intérêts, ils se retrouveraient sans un rond. L’ambiance était tendue. La juge et le procureur firent ensemble un rappel des faits avant de faire venir les parties. Ils avaient des questions à poser, et les greffiers notèrent soigneusement ce qui venait d’être dit.

- Je me sens sale, dit Maria. Je me sens également humiliée.

- La célébrité m’est monté à la tête, et quand j’ai réalisé que j’étais pris pour un imbécile depuis le début, ça m’a rendu fou, déclara Wilhelm.

- C’était humiliant pour nous de devoir écrire des chansons pour Bavaria, que nous avons toujours aimé, c’est vrai, annonça Leonard. Nous n’avons jamais été nommés dans leurs albums pour le travail que nous avions fournis.

- Je n’ai rien à ajouter, répondit timidement Karin à la barre.

Les avocats essayèrent de faire passer les deux groupes comme des victimes, parce qu’ils avaient signés leur contrat au début de la vingtaine et étaient visiblement manipulés. Il y avait abus de confiance, tout comme il y avait de la corruption et surtout du harcèlement. Ce fut Kauffman qui révéla l’envoi des colis. Moser sauta de sa chaise et commença à crier. Schumacher le força à s’asseoir. Les magistrats ne voyaient pas le dossier d’un bon œil. La balle n’était pas du tout dans le camp du producteur. De plus, son comportement ouvertement agressif confirmait qu’il avait effectivement quelque chose à se reprocher.

Lorsque Schumacher invita son client à venir à son bureau, il le trouvait nerveux et énervé. Ses mains tremblaient. Il n’osa pas lui proposer un verre d’alcool, car sinon son client pourrait tout casser ! Moser sentait le vent tourner, mais pas dans un vent qui lui était favorable. Seulement, il avait un avantage que Bavaria n’avait pas. C’était celui de connaître énormément de journalistes qui étaient prêts à dire des louanges sur lui et d’aller dans son sens. Jutta Hammond était celle qui ne voulait se mêler à aucun des deux groupes.

Kauffman se sentait déstabiliser par la situation, parce qu’elle sentait que les juges commençaient progressivement à prendre partie pour Moser. Lors d’une de ses prises de paroles, elle dit.

- Messieurs les juges, comment pouvez-vous croire que mes clients, qui sont de jeunes gens tout à fait respectable aient eu à un moment donné la volonté de détruire la carrière de leur patron ? Ne pensez-vous pas qu’ils aient cru vivre de leur passion ? Vous avez eu accès à toutes les pièces de leur dossier, il n’y a eu aucune volonté de leur part de diffamer. Ils ont apportés de preuves, et comme vous le voir, celui qui les a harcelé, c’est bien M. Moser.

Le public commença à s’exclamer. Le juge les rappela à l’ordre.

- Mes clients voulaient aussi vivre de leur passion, commença l’avocat de Karin et Leonard, Me Jardin. Ils ont commencés à écrire des chants pour eux, ils se sont liés d’amitié avec M. et Mme Schäfer, et ils ont été profondément déçus lorsqu’ils ont cru s’être fait trahir par eux. Ne vous y trompez pas, M. Moser a tout fait pour les isoler afin que cela ne se saches pas. M. Schmidt, le parolier, ne servait que d’intermédiaire. Car dans la réalité, il n’a jamais été parolier.

Il y eut de nouvelles exclamations rapidement tues.

- M. Moser ! Dit le juge en se tournant vers le producteur, j’aimerais que vous veniez expliquer de la manière la plus honnête et la plus franche possible ces propos tenus !

Moser s’approcha de son micro.

- Je vais être honnête avec vous, M. le Juge, Mund in Bremen et Bavaria étaient des groupes rivaux. Jamais ils n’ont été amis. Si vous les voyez ici, c’est parce qu’ils ont décidés de se liguer contre moi pour une raison qui m’échappe ! Ils sont en train de chercher un bouc émissaire à leur échec de Berlin.

- Pourtant leurs avocats et leurs déposition confirment bien une belle entente, le contredit un autre juge.

- De façade oui. Ils se détestaient. Quant à mon parolier, Harald Schmidt, toute ses chansons viennent de lui. Toutes les paroles ont été signées par lui, pas par Karin Werner et Leonard Schoenarts !

- Dans notre rapport, on a vu que vous aviez fait quelques séjours en Belgique notamment pour voir Mme Werner et M. Schoenarts. Quel était le but de ces visites ?

- Je voulais m’assurer qu’ils allaient bien, c’étaient des visites amicales.

Karin et Leonard le huèrent, ce qui fit réagir le juge. Schmidt passa aussi à la barre des témoins.

- Je confirme bien que ces paroles, ces chansons venaient toutes de moi, expliqua-t-il d’un ton convaincant. Elles sont toutes signées de moi, et je peux vous assurer que je suis de bonne foi. Karin et Leonard n’ont jamais écrit de chansons ! Ils vous ont mentis, ils ont voulu voler mon travail.

Plus le procès avançait, plus Moser et Schmidt parvenaient à retourner la situation pour se mettre en position de victimes. Ils se disaient innocents, et ils étaient tellement convaincants dans leur mensonge que Wilhelm comprit que c’était peine perdue. Jamais les deux ne démordraient, ils étaient de toute façon bien plus puissants et mieux accompagnés qu’eux-mêmes. Les magistrats n’étaient pas amis avec le producteur et son parolier, ils les écoutaient tous attentivement, et tout ce qu’ils disaient à la barre était cohérent.

Au bout de deux semaines de procès, le juge annonça le verdict. Ce fut Moser et Schmidt les grands gagnants du procès, car ils étaient arrivés à engager de très bons avocats qui avaient su garder leur sang-froid et ne pas être déstabilisé par le juge qui cherchait à savoir toute la vérité. Dès le lendemain, les journaux et la presse people annoncèrent que Moser avait été victime d’une grande machination de la part de groupes de musique lui en voulant de ne pas leur avoir donné l’opportunité de leur offrir une carrière. Wilhelm, Maria, Karin et Leonard se sentirent désolés pour eux-mêmes et ils allaient devoir affronter la presse qui les ferait passer pour toujours pour des imposteurs.

Fin février, des huissiers de justice procédèrent à la saisie des biens du couple Müller. Leur villa de Garmich Partenkirchen fut saisie pour payer les dommages et intérêts, les voitures aussi, certains de bijoux de Maria et bien d’autres. Wilhelm et Maria se prirent dans les bras, pleurant et ayant envie d’insulter les policiers et l’huissier présent, mais ils en avaient pas la force. Ils purent garder leur appartement de Munich, mais qui fut entièrement vide car tous les meubles, vaisselles et téléviseur avaient été mit au nom de Jürgen Moser. Pendant les semaines qui suivirent, ils hésitaient le plus sérieusement possible à quitter l’Allemagne pour vivre dans un pays en dehors de l’Europe. Mais ils n’avaient plus d’argent, plus rien pour remonter cette pente.

De cette vie d’artiste, il ne restait plus que des albums photos qu’ils avaient faits depuis 1987. Bien sûr, ils se rappelaient de tous les bons moments qu’ils avaient pu passer en ayant fortuné, mais c’était fini tout ça. Leur seule solution pour pouvoir rebondir était d’attendre plusieurs années avant de retenter, mais ils étaient dégoûtés.

Wilhelm continuait de sombrer dans l’alcool, même chez ses parents. Il était tellement préoccupé par lui-même qu’il ne se souciait pas de l’avenir de sa fille qui habitait avec sa mère chez ses parents. Maria l’appelait fréquemment pour lui rappeler son rôle de père, tout en le menaçant de divorcer de lui s’il ne se reprenait pas en main. Wilhelm se sentait dans le fond désolé pour sa famille, ses proches de ne plus être présent pour eux, d’être devenu une sorte de marginal et que son entourage étaient désormais victime des journalistes désireux de casser du sucre sur Bavaria.

Un beau jour de 1995, après n’avoir pas pu trouver du travail, il décida de prendre la voiture de son père pour rouler à contresens sur l’autoroute entre Munich et Salzbourg. Willy avait choisi de rouler de nuit, sans phare et en écoutant de la musique à fond. Le choc frontal qu’il eut avec un camion fut fatal. Lorsque la police sonna à la porte des Schäfer, Maria ouvrit la porte d’entrée et comprit rapidement ce qu’il venait de se passer. Elle s’apprêtait à sortir avec Klara, mais elle s’effondra de larme.

Lors de l’enterrement de son époux, la presse tira plusieurs photos d’elle où on la voyait les yeux cachés par des lunettes de soleil, un long manteau noir, des gants en cuir et des talons hauts. Une journaliste essaya de discuter avec elle, mais sèchement Maria lui répondit « Pourquoi voulez-vous que je vous adresse la parole alors que vous êtes responsable de la mort de Wilhelm ? ». Maria ne lui laissa pas le temps de répondre pour monter à l’arrière de la voiture de ses parents. La cérémonie avait été faite dans l’intimité, car c’était ça la volonté de Wilhelm.

L’année suivante, Maria parvint à trouver un poste de professeur de français à Heidelberg. Elle vivait seule avec sa fille. Quand elles se baladaient ensemble, Klara lui demandait avec ses mots pourquoi les autres enfants avaient un papa alors qu’elle, non et Maria lui répondait à chaque fois « Il est parti vivre à l’étranger ». C’était trop dur pour elle de se dire que Wilhelm n’était plus avec elle. Ensemble, ils auraient pu repartir à zéro, vivre pourquoi pas à Heidelberg ou à l’étranger. Il aurait pu être ingénieur en électronique, gagnant bien sa vie et sa voiture aurait été une Volkswagen Passat. Seulement, il y avait toujours un moment où elle finissait par se rendre compte qu’elle imaginait une vie fantasmée.

Mais dans son collège, il y avait un de ses collègues qu’elle aimait beaucoup. Un certain Daniel Heinz. C’était un professeur de physique-chimie, de son âge, blonds, les cheveux toujours impeccablement coiffés et portant des lunettes. Daniel était un homme qui se révélait très attentionné et chaleureux. Ils se mirent à sortir ensemble, jusqu’au jour où ils comprirent qu’ils étaient fait l’un pour l’autre et ils louèrent ensemble un appartement. Klara aimait beaucoup Daniel, et l’appelait « Papa » et cela lui allait parfaitement. La pauvre fille n’avait aucun souvenir de son père, et Maria savait très bien qu’un jour il faudrait qu’elle lui explique pourquoi elle n’avait plus de père biologique.

Maria était nostalgique de cette période de célébrité. C’était une expérience absolument hors du commun, et elle savait très bien que cela ne se reproduirait plus jamais. Elle s’en voulait de ne pas en avoir plus profité. Et elle aurait aimé vivre cette période comme son feu époux, à savoir avec une certaine naïveté, sans se poser de questions sur ce producteur et en profitant au jour le jour du fric, des cadeaux qu’ils avaient reçus.

Quand elle arriva au supermarché avec Daniel et sa fille, elle apprécia que désormais, les gens ne la calculait plus ou alors avaient seulement un soupçon en la voyant.

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