Cupidon boude
Oui, oui on peut écouter ici : http://sortilege.blog4ever.com/la-magie-des-etoiles
La  lune sème de larges flaques de lumière sur la roche humide. Un pied  après l'autre, dans l'une et dans l'autre, je m'élève vers le ciel. Je  pars en chasse d'étoiles pour cueillir quelques liens étincelants. Je  suis la cueilleuse de Cupidon.
Il  faut tant d'amour à ce monde, mais son dieu est paresseux : quelques  flèches décochées ici ou là, au hasard et le voilà satisfait.
Il faut tant d'amour à ce monde et il n'a qu'un Dieu pour le semer.
Lequel ne s'est, hier, même pas donné la peine de viser un cœur. 
Avez-vous remarqué l'état du monde ? 
Le  carquois est vide de magie paraît-il, l'angelot grognon prétend n'en  plus trouver. Sans magie l'amour se perd, se disperse, se gâche sur les  champs mourants des cœurs fermés.
Il faut tant d'amour à ce monde, que j'emprunte les voies du ciel pour pallier le manque d'un dieu d'opérette.
Je  marche en l'air de la tête au pied, chevauchant la densité d'esprits  désœuvrés, qui volettent et me prêtent leur talent, pour tromper un  instant leur éternité. 
Je marche en l'air, les yeux rivés sur les petits soleils élémentaires. 
J'approche sans bruit d'un astre rêveur, j'enfile un gant de douleur,  tissé de croyances, car la magie des étoiles brûle la peau des  certitudes, et la mienne en est couverte.
Les  étoiles sont douces et chaudes, il n'y a rien à craindre à prélever  leurs fils étincelants, mais si elles m'entendent, elles fuient bien  loin vers d'autres temps.
L'esprit qui me porte s'impatiente (je suis toujours surprise de leur  empressement à retourner à leur ennui), je me hâte : je ne voudrais pas  rentrer sans son soutien.
J'attrape  vivement un fil de traîne palpitant de l'étoile tout près. Je l'attache  à mon cœur. Je danse comme un derviche tourneur, en priant l'épingle du  ciel, de me donner un peu de la magie qu'elle façonne sans le vouloir. 
Surprise de ma présence soudaine, inquiète du fil tendu entre nous,  l'étoile préfère s'enfuir. Ce faisant, elle précipite le déroulement que  je convoite : étincelant et puissant le charme opère et ma danse  enroule autour de ma taille des mètres de féerie qui brouillent mes  certitudes.
Je  dois rester concentrée, les rêves d'étoiles sont sans frontière, hors  du corps et du temps : à les contempler, on se fige pour longtemps, à  les toucher il n'y a plus rien d'urgent, plus rien d'important. Et je  suis couverte de ces rêves en fil palpitant, en magie de lumière.
L'amour dans le monde sous mes pieds, légèrement m’indiffère…
Mais soudain, le souvenir de l'indolence de Cupidon m'exaspère, me secoue, me renoue à la Terre, il était temps.
L'esprit  qui me porte me dépose sur un congénère en grommelant, la chasse était  longue, il voudrait retourner s'ennuyer tranquillement.
D'une flaque de lumière à l'autre, jusqu'aux rochers du bord de mer, je retourne sur Terre. 
Je brille autant qu'une étoile et autour de moi tout s'éclaire comme si le soleil se levait. 
Les gardiens de la nuit, affolés, imaginent s'être endormis et avoir  manqué l'aube, ils paniquent et courent de tous côtés. Ils sont si  bruyants qu'ils réveillent le Panthéon. Mais après tout c'est leur  fonction.
Zeus, hirsute et contrarié, se penche vers le monde et me menace de sa  foudre : il me serait reconnaissant de m'éteindre ! Il est très  fatigué !
« Pardon  de déranger, je suis pour cette nuit, la cueilleuse de Cupidon et j'ai  autour de moi, en fil enroulé, la magie toute fraîche d'une étoile qu'il  faudrait lui donner, pour ses flèches, vous savez ? Il faut tant  d'amour à ce monde, il avait tout usé. »
Zeus  se recule dans l'invisible et tonitrue quelque peu. À son tour Cupidon  se penche. À son air inquiet, je me doute que l'affaire est d'importance  et qu'il s'est fait vertement tancer. 
Je gage que le fouet de la colère d'un dieu est efficace contre les paresseux.
Je gage que cette nuit ne fut pas vaine et que l'amour, dont le monde a tant besoin, reviendra bientôt.
Patience.
Dans votre cœur nourrissez le terreau. 

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