16 - C*

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Sous le choc de la vision qui venait de l'éblouir quelques minutes auparavant, Hanaé se tenait inerte au beau milieu de la forêt des secrets. Le ciel, teinté de pourpre, commençait à s'estomper, retrouvant peu à peu sa douceur céruléenne. Figée, la jeune fille regardait devant elle, les sourcils froncés. Elle s'en voulait terriblement d'avoir causé autant de souffrance à ces êtres qui peuplaient ce monde. Et puis, il y avait ce vide qu'elle venait de créer dans son coeur, celui qui avait déjà creusé quelques sillons sans qu'elle ne s'en aperçoive, quelques jours plus tôt. Elle relâcha ses épaules puis tomba mollement genoux à terre en signe de capitulation. Elle venait enfin de comprendre la raison pour laquelle Sélène n'était plus.

Célestin, resté en retrait, connaissait les difficultés liées à l'acceptation. Il avait déjà aidé moultes enfants durant toute son existence et partageait la peine d'Hanaé, comme toutes celles par le passé.

Cependant, il vit en la jeune fille un courage exceptionnel, une volonté de braver tous les dangers dans le but unique de retrouver celle qu'elle aimait éperdument. Et, sa quête, aussi improbable et spirituelle soit-elle, le toucha bien plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. Il demeura muet, laissant Hanaé trouver par elle-même la seule issue possible, cette porte de sortie vers sa réalité.

Désemparée, La fillette ferma les yeux, laissant échouer sa peine sur l'herbe grasse et verdoyante. Des larmes brûlantes s'irisèrent au contact du soleil qui dardait ses rayons dans la clairière. Elle pleura de longues minutes étouffant quelques sanglots puis rouvrit les yeux, prête à affronter son destin.

C'est alors qu'elle fit une découverte impensable. Devant ses yeux, une eau cristalline et scintillante apparut soudainement. La surface était ponctuée de petits remous provoqués par l'écoulement d'une fontaine mirifique un peu plus loin. Cette dernière s'écoulait au travers du tronc d'un Wisteria qui surplombait les eaux. Jamais Hanaé n'avait vu pareille beauté. Lorsqu'elle remonta son regard enfantin vers la cime de l'arbre, elle ne put la distinguer tant elle se mêlait à l'opacité des nuées célestes. Elle parcourut les longues lianes de fleurs qui couronnaient ce végétal centenaire inondant les eaux d'une teinte rosée. L'une des fleurs se détacha et retomba délicatement sur l'eau, voguant silencieusement en direction de la jeune fille. Hanaé l'attrapa du bout des doigts, en faisant attention à ne pas flétrir ses pétales puis huma son parfum qui embauma son âme. L’espace d’un instant, plus rien n’avait d’importance. Elle n’entendit ni le gazouillis des hirondelles émeraude ni les chutes d’eau de la fontaine. Même la mélodie du vent avait cessé d’orchestrer ses pensées. Puis, une lueur éclatante vint illuminer la fontaine, ce qui attira rapidement son attention. Elle se releva tentant de comprendre ce que cela signifiait. Lorsque la lumière se dissipa, elle aperçut la silhouette d’une femme flotter au-dessus des eaux. Elle frotta ses petits yeux avec ses mains afin d’être sûre que ce n’était pas une illusion. Au contraire, la femme s’approcha lentement de la jeune fille, révélant ce sourire apaisant qu’Hanaé connaissait tant. Sélène venait d’apparaître dans une robe en mousseline blanche qui ondulait comme dans un songe merveilleux. Elle porta son regard bienveillant vers son enfant qui déjà voulut la rattraper en s’élançant dans la fontaine.

  • Maman ! Si tu savais depuis combien de temps je te cherche.
  • Je sais ma toute douce, et crois-moi, je suis si fière de toi. Tu as fait preuve de beaucoup de courage.
  • J’ai détruit la Pivoine Étoilée, fit-elle penaude.
  • Ce n’est pas grave, répondit Sélène tout en lui caressant la joue. Tu as sauvé ce monde de la tristesse et tu peux désormais repartir auprès de ton père, en toute confiance.
  • Mais, je ne te reverrai plus…
  • Je veillerai toujours sur toi, ma chérie, comme les étoiles protègent le monde. N’oublie pas que l’amour demeure au-delà de toute vie. Je t’aime mon enfant.
  • Je t’aime, maman.

Sa voix s’étrangla à la simple pensée qu’elle voyait sa mère pour la toute dernière fois.

Dans un dernier sourire généreux, Sélène disparut dans un éclat de lumière aveuglant, laissant la jeune fille, seule au beau milieu de la fontaine.

Célestin savait qu’il était temps de guider Hanaé. Il s’approcha d’elle et déposa une main compatissante sur son épaule. La jeune enfant se retourna, les yeux embués de larmes et le serra tout contre elle. Son aventure fantasque prenait fin et elle devait désormais repartir.

  • Tu vas rester auprès de moi, Célestin, n’est-ce pas ?
  • Je garderai toujours un œil sur toi, mais je suis sûre que tu t’en sortiras très bien toute seule, finit-il d’un ton enjoué.
  • Comment dois-je faire pour retourner chez moi ?
  • Je pense que tu le sais déjà, ajouta-t-il en désignant la fontaine enchantée au cœur de laquelle elle était plongée.

Hanaé se souvint alors de l’histoire de celle-ci, celle que sa maman lui contait chaque soir pour la bercer dans ses rêves merveilleux. Elle mit ses deux mains côte à côte et attrapa un peu d’eau qu’elle porta à ses lèvres. Puis, elle formula son vœu le plus cher, le cœur peiné de devoir quitter ce monde merveilleux à tout jamais. Elle lança un dernier regard vers son nouvel ami qui s’envola dans les airs. Un vent chaleureux commença à tournoyer tout autour d’elle et en un instant, des milliers d’étoiles apparurent et scintillèrent de mille feux, la soulevant au-dessus de la fontaine. Puis un faisceau lumineux l’aspira et elle disparut de la forêt des secrets de la même façon qu’elle y était arrivée.

Lorsqu’elle se releva, sonnée par ce voyage à travers les mondes, elle était dans la forêt tout près de sa maisonnée. Elle aperçut sa boussole briller sous les feuilles mordorées et attrapa ce souvenir précieux à ses yeux.

Le cœur serré, elle rejoignit sa maison qui déjà se dessinait devant elle. Son père se tenait assis, la tête entre les mains, sur l’un des rondins de bois près de la grange. Les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres, elle le rejoignit en courant tout en hélant son nom sur le chemin de terre.

Il leva le regard vers son enfant, étonné et rassuré de la retrouver, lui qui pensait l’avoir perdu à tout jamais. Il se précipita vers elle et l’encercla dans ses bras protecteurs. Hanaé retrouva la douceur et l’amour de son père. Dans les bras l’un de l’autre, ils purent sécher les larmes qui avaient inondé leur cœur et se dire mille et un mots pour apaiser cette tristesse d’avoir perdu une personne d’exception, une mère et une femme aimante.

Les jours qui suivirent, Hanaé et Anton honorèrent la mémoire de Sélène près du saule pleureur au fond du jardin, son endroit préféré. Alors qu’ils chuchotaient quelques mots pour témoigner leur amour pour Sélène, une petite fleur de wisteria aux nuances pastel vint se déposer sur la stèle qui lui était destinée. Hanaé esquissa un léger sourire avant de retourner chez elle, le cœur battant. Sur le petit chemin, elle aperçut sur la barrière de la propriété une gros chat au pelage cuivré, strié de zébrures cendrées. Elle s’approcha de lui, intriguée, tant il ressemblait à Fibber, son compagnon de voyage. Se pouvait-il qu’elle ait directement été envoyée dans son monde ? Elle tenta de lui adresser la parole mais elle n’eut pour son seule réponse qu’un miaulement satisfait et une caresse le long de sa main. Elle sourit puis repartit chez elle, sans se douter que le chat la suivait, tout en faisant tournoyer sa queue touffue à la manière d'un balancier.

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