Les noix de novembre

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Par ce matin frais de novembre je suis allé ramasser des noix tombées au pied de l’arbre. J’aime fouler l’herbe fraîche, humide de la nuit, en prenant soin de ne pas écraser les précieuses coquilles cachées sous des tas de feuilles pourries. J’aime l’automne, sa brume et ses pourritures. L’air sec et froid me fait du bien à l’âme. J’aime ce ciel, ses nuages noirs qui courent vers on ne sait où, comme affolés. J’aime l’automne et ses couleurs. La vie qui s’ensommeille. Je suis bien.

Des noix jonchent le trottoir. Plaisir irréel. Contentement de l'oeil. Plaisir d'automne. Je me précipite pour les ramasser une à une comme si le temps m'était compté. Telles des pièces d'or ou d'argent tombées du ciel. Une fortune. Une sensation unique s'empare de moi en tenant à pleine main ces coquilles rondes. Le bonheur d'un instant. Une joie puérile presque infantile me prend, une conquête presque. Je sens mes noix dans la main comme un bébé qui sent une forme ronde et lisse lui caresser sa menotte et qui sourit aux anges. Frénétique, je m'empresse d'en manger une comme s'il me restait une minute à vivre. Une pression de la main et la coquille se brise, juste ce qu'il faut. Je prends mille précautions pour n'en perdre miette. Je suis riche!

L'arbre à noix est en bordure de jardin. Il donne sur le trottoir bordé d'une haie. Je plonge une main baladeuse dans la haie qui sert de filet à la noix lors de sa chute. Aujourd'hui, il y a du vent, ça aide . Je suis fébrile. Je sais qu'il y a parmi cette haie épaisse, cachées, invisibles, des formes rondes à la couleur claire bien déterminée qui n'ont rien à y faire.Vite, j'ouvre le coffre fort feuillu pour y dénicher mon trésor comestible. Je me fous des voitures qui passent, je suis trop occupé à déguster mes noix chèrement acquises. Pour le moment, je presse de la main chaque coquille trouvée, puis une autre, encore une autre...Je refais un passage pour voir si j'en ai pas oubliées, je plonge à nouveau la main dans la haie en soulevant délicatement le feuillage. Décidément, quand y en a plus y en a encore...Je suis heureux ...Je jubile presque. Des noix ...Encore des noix et toujours des noix et je presse et je casse. Ah! il y en a une qui se refuse à moi, me résiste, rebelle, qui se cache, elle dit non, peut-être la plus belle et la plus charnue, la plus excitante et sûrement la plus savoureuse...Les noix c'est comme les femmes, elles finissent toujours par céder. J'essaie de l'attraper en m'assurant qu'elle ne me glisse pas des doigts. J'ai de la chance. Aucune de perdu. Comme les femmes, je les veux toutes. J'aurai la chiasse mais je m'en fous .

Je fais la tournée des arbres à noix. C'est beau un arbre à noix dénudé ou presque .

Je marche dans l'herbe haute et mouillée. Je sens l'eau pénétrer dans mes vieilles baskets trouées et mes vieilles chaussettes déchirées. Je suis un clochard. Un pauvre clochard en quête d'ivresse olfactive, d'ivresse visuelle. Pauvre d'argent mais tellement riche!Je fais la tournée des arbres à noix . Ces arbres me ressemblent. Le vent d'automne les a dépouillés pour le plaisir des yeux et du palais. C'est beau un arbre à noix effeuillé par la bise automnale. Le vent les caresse après les avoir dénudés. Je marche encore et encore dans l'herbe baignée de rosée dans la fraîcheur de ce matin de novembre. J'ai de l'espoir. La nature sait être généreuse. J'ai de l'espoir. Or, le souci, c'est qu'il y a toujours un type qui passe avant moi et rafle toutes les noix. Merde! En général, un type qui se fout de l'herbe mouillée et des gouttes de rosée et des parfums qu'exhale la pourriture pourrie. Un type qui préfère le rosé à la rosée. Mais je m'en fous. Comme le chasseur qui revient bredouille de sa chasse, moi je reviens avec une seule noix. Elle a un prix. Ce qui est rare est cher. J'ai réussi à la dénicher sous un tas de feuilles pourries. J'ai humé, bousculé, remué mon tas de feuilles pour la trouver. Une noix ça se mérite. Chaque noix trouvée est une récompense. Je suis une bête avec ses instincts aux aguets. Un vrai cochon truffier. Je reviens toujours au même endroit avec l'espoir que...quand y en a plus y en a encore...Mais non, il me faut me résoudre à ma solitude. Chaque joie a son revers. Je me contenterai d'une seule noix et de milliers d'effluves d'une pouriture géniale dont mes narines se grisent. Chaque arbre à noix se rit d'un Yves saint-Laurent ou d'une Nina Ricci . Il a sa fragrance, sa pourriture amère propre. Chaque automne je me mets en quête de mon graal olfactif, de cette pourriture amère qui fera me sentir vivre .

Adrien de saint-Alban, écrivain raté.

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