Les malheurs de Sofiane

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Sofiane était le fils du baron de Gondremarck, un noble suédois, et de la baronne, une descendante de la célèbre comtesse de Ségur. Il avait plutôt hérité des gènes de son père : cheveux et poils blonds, yeux bleus, peau claire, longue et fine queue, prépuce discret, petites couilles pendantes.

Ce jour-là, la grand-mère de Sofiane était en visite chez sa fille et les trois buvaient le thé dans le boudoir, plus exactement du champagne, péché mignon de la vieille dame.

— Qu’aimerais-tu faire pendant tes vacances de Pâques, demanda-t-elle à son petit-fils, puisque tes parents partent seuls cette année ?

— J’aimerais faire un voyage à Rome avec des jeunes de mon âge.

— Tu ne m’en avais jamais parlé, fit la mère, je pense que c’est celui organisé par l’abbé Tisier.

— Oui, c’est celui-là.

— Je n’ai pas confiance en cet abbé, on dit qu’il s’intéressait de trop près aux garçons dans son ancienne paroisse, tu vois ce que je veux dire.

— Je ne suis plus un enfant de chœur, maman, je sais me défendre.

— Non, Sofiane, je ne suis pas d’accord, il me semble que tu ne vas plus très souvent à la messe.

Sofiane avait espéré qu’il aurait eu plus de chances avec un voyage religieux, c’était raté. Sa mère avait raison, il ne croyait plus à un dieu. Il aurait surtout aimé les branlettes collectives, fréquentes d’après ce que lui avait raconté Diego — le fils du jardinier qui l’avait fait l’année précédente — pendant qu’ils comparaient les fonctions physiologiques de leurs pénis. L’abbé Tisier contrôlait scrupuleusement que les jeunes hommes n’eussent pas de gestes suspects sous la douche collective, mais il absolvait les pénitents qui confessaient leurs péchés d’Onan avec force détails.

— Je vais te proposer autre chose, dit la grand-mère, une croisière.

— Une croisière ? s’étonna Sofiane.

— Oui, une croisière sur le Rhin. Ce sera la première fois que je ferai un voyage depuis la mort de ton grand-père et j’aimerais avoir de la compagnie.

Sofiane ne manifesta pas un enthousiasme délirant.

— Tu auras une cabine pour toi seul, ajouta la grand-mère, comme cela tu pourras aller à la disco le soir sans me réveiller en rentrant, je me couche tôt.

— Il est temps que tu apprennes à danser, fit la mère, tu as l’âge d’avoir une petite amie.

— Le baron de Pinet de Sainte-Biroute et madame seront aussi à bord avec leur fille Sophie.

— Je la connais, ajouta la mère, c’est une petite fille modèle qui me ferait de beaux petits-enfants.

Sofiane fit contre mauvaise fortune bon cœur et accepta car il aimait bien sa grand-mère et ne voulait pas la décevoir. La perspective d’une cabine individuelle le rassura, il pourrait se donner du plaisir sans qu’elle ne l’entendît. La croisière débuterait à Bâle, le bateau irait jusqu’au Pays-Bas, Amsterdam et Rotterdam, puis reviendrait à son point de départ.

Sofiane et sa grand-mère embarquèrent quelques semaines plus tard. Le jeune homme découvrait ce moyen de transport qui lui plut immédiatement, il appréciait l’eau qui coulait lentement et immuablement au niveau de sa cabine. Pendant le dîner, il fit connaissance avec leur serveur, un Égyptien nommé Sufyan, c’était le plus jeune et le plus mignon de tous. La ressemblance de ce prénom avec le sien le frappa. La grand-mère se retira après le repas et Sofiane monta dans le salon pour aller à la disco.

Il n’y avait qu’un pianiste qui jouait des mélodies des années 1950 sur un orgue électronique. Personne ne dansait, la plupart des passagers étaient âgés et perclus d’arthrose. Il repéra Sophie, la seule autre personne de son âge. Il aurait pu la trouver belle s’il n’avait pas été homosexuel. Il préféra monter sur le pont supérieur pour observer le passage d’une écluse.

Le deuxième soir, la grand-mère se coucha plus tard et Sofiane ne put faire autrement que de l’accompagner au salon après le dîner de gala de bienvenue.

— Tu ne veux pas danser avec la jeune fille ? demanda-t-elle à son petit-fils.

— Je ne sais pas danser.

— J’ai parlé à sa mère, la baronne. Elle ne sait pas non plus. Va l’inviter.

— Je n’ose pas, je suis trop timide.

La grand-mère se leva, revint avec la jeune fille et sa mère et fit les présentations, puis incita les jeunes gens à aller sur la piste. Sofiane ne s’était jamais senti aussi ridicule de toute sa vie, d’autant plus que tous les autres voyageurs les regardaient et avaient même applaudi.

Le troisième soir, Sofiane monta sur le pont supérieur pour prendre l’air après le repas, sa promise attendrait. À l’arrière du bateau, il y avait une zone réservée à l’équipage, délimitée par une corde. Le serveur, Sufyan, pianotait sur son téléphone, l’air renfrogné. Sofiane se rapprocha et lui dit en anglais :

— La réception est mauvaise sur ce bateau.

— Oui, répondit le serveur, le WLAN ne fonctionne presque jamais et je n’ai pas de forfait. Impossible d’appeler ma famille en vidéo.

— J’ai 40 GB par mois et avec l’itinérance je peux choisir d’autres réseaux, j’ai aussi mon MacBook. Passe une fois dans ma cabine.

— Merci de cette proposition, mais nous n’avons pas le droit d’aller dans les cabines des clients. Je pourrais être surpris et perdre ma place.

— Pas de souci, nous pourrons nous rencontrer ici le soir et tu te connecteras à mon smartphone, cela me donnera une excuse pour ne pas danser avec la jeune fille.

— Elle ne te plaît pas ?

— Elle est jolie, mais… Je vais peut-être te choquer, je préfère les garçons.

— Cela ne me choque pas, fit Sufyan, nous avons souvent des couples gays sur le bateau.

— Tu es musulman, cela n’est pas autorisé dans ta religion, dit Sofiane.

— Lorsque je suis sur le bateau, je mets ma religion entre parenthèses, ce n’est pas possible de faire les prières ou d’observer le ramadan.

— Et lorsque tu es à la maison ?

— J’y suis seulement deux ou trois mois par année, je suis bien obligé de respecter les habitudes, sans conviction.

— Je dois aussi respecter les habitudes, sans conviction.

— Faire semblant d’aimer une jeune fille ?

— Entre autres, il paraît que c’est ma future femme.

— Ah bon ? Les mariages arrangés existent aussi chez vous ?

— Lorsqu’on s’appelle Sofiane, Eudes, Xavier, Exupère de Gondremarck, oui, cela existe. Tu auras aussi un mariage arrangé ?

— Avec Yasmine. Loin des yeux, loin du cœur…

— Tu pourras aller trouver une prostituée à Amsterdam.

— Pas d’argent à gaspiller, je n’ai pas le droit de révéler mon salaire, mais il n’est pas très élevé. Et ce n’est pas pour que tu me donnes un pourboire que je te dis ça.

— Ce sera ma grand-mère qui mettra les pourboires dans l’enveloppe. Je n’aurais pas dû te parler de ça, je suis désolé.

— Ne t’inquiète pas, je préfère parler franchement avec toi, ça me change des politesses que je dois faire aux clients.

La croisière se déroula agréablement, Sofiane passait ses soirées entre le pont supérieur avec Sufyan et le salon avec Sophie, il s’efforçait de lui faire un minimum de conversation, pour ne pas paraître impoli, et d’apprendre à danser ; il fit quelques progrès, à la grande joie de sa grand-mère.

Le dernier soir, dîner de gala d’adieu. La grand-mère avait convaincu son petit-fils de mettre une chemise blanche et une veste, il n’avait pas pris de cravate, ce n’était plus à la mode. Sophie avait une longue robe rouge. Elle dit à Sofiane pendant un slow langoureux :

— Monsieur de Gondremarck, j’ai beaucoup apprécié les moments que nous avons passé ensemble.

— Moi aussi, Mademoiselle de Pinet de Sainte-Biroute.

— Vous pouvez m’appeler par mon prénom, Sophie.

— Volontiers, Mademoiselle Sophie. Le mien est Sofiane.

— Mon cher Sofiane, j’ai eu une idée. Pourrais-je visiter votre cabine ?

— Visiter ma cabine ? Pourquoi ? Elle est identique à la vôtre.

— Ne faites pas plus bête que vous l’êtes. Venez.

Ils s’éclipsèrent, la grand-mère eut un sourire aux lèvres. En entrant dans la cabine, Sofiane fut gêné car un boxer et des chaussettes sales étaient bien en vue sur la couette, le garçon d’étage les avaient ramassés par terre et soigneusement étalés en venant préparer le lit pour la nuit.

— Excusez-moi, dit-il, je ne savais pas que j’aurais une visite.

— Vous êtes excusé, fit la jeune fille en riant.

Sofiane prit les sous-vêtements sales et les mit dans un sac au fond de l’armoire, il enleva sa veste et la posa sur un cintre.

— Alors, voilà ma cabine, dit le jeune homme. J’ai même pris mon MacBook Pro, il a un écran 16 pouces Liquid Retina XDR, une puce Apple M1 Max avec 10 cœurs, 64 Go de mémoire, un SSD de 1 To. Vous voulez une démonstration ?

— Je pensais à autre chose, monsieur Sofiane.

— À quoi, mademoiselle Sophie ?

— Un instant, je vais me laver les mains.

Lorsqu’elle ressortit de la salle de bain, elle avait enlevé sa robe et était en sous-vêtements, un soutien-gorge et une culotte noirs en dentelle, et elle tenait une boîte de préservatifs à la main.

— Je vois que vous avez pensé à tout, dit-elle.

— C’est ma mère, fit Sofiane, gêné, elle les a mis dans ma valise sans me dire.

— Vous n’aviez qu’à faire vos bagages vous-même.

Elle se rapprocha de Sofiane, le prit dans ses bras et l’embrassa fougueusement. Cet assaut inattendu eut une conséquence elle aussi inattendue puisque le jeune homme banda. La jeune fille avait dû le remarquer.

— Mademoiselle… je suis confus.

— Allons, Sofiane, tu es bien timide, laisse-moi faire.

Elle lui déboutonna sa chemise tout en lui caressant le torse, elle décrocha la ceinture et ouvrit la braguette. Le pantalon chut. Elle tâta le membre dressé sur l’étoffe blanche du boxer puis le libéra. Sofiane mit ses mains devant pour le cacher.

— Mademoiselle, vous ne pensez pas sérieusement que je faire faire l’amour avec vous ?

— Si, je le pense.

— Je ne voudrais pas vous déflorer avant la nuit de noces.

— C’est déjà fait.

— L’abbé Tisier interdit les relations sexuelles avant le mariage sous peine d’aller en enfer.

— Tu crois à ces sornettes ?

— Oui, Mademoiselle Sophie. Je ne vous permets pas de mettre en cause mes convictions religieuses. Je vais me rhabiller.

— Dommage, tu as une belle bite, plus longue que celle de Pedro, le fils du cuisinier qui m’a dépucelée. Je pense que tu préfères t’envoyer en l’air avec le serveur, tu es gay ?

— Mademoiselle, je crois vous avoir apporté la preuve qu’une jeune fille me fait de l’effet.

Sophie n’insista pas, elle remit sa robe et quitta rapidement la cabine de en claquant la porte. Sofiane poussa un soupir de soulagement en se demandant comment il avait fait pour bander devant une fille, cela pourrait pourtant être utile afin de concevoir des enfants. Il envoya un SMS à Sufyan, passa des habits chauds et monta sur le pont pour lui raconter ses malheurs.

— Tu l’aurais baisée, si tu avais été à ma place ? demanda Sofiane.

— Je ne sais pas, probablement pas. Tu n’aurais pas dû la laisser entrer dans ta cabine.

— Oui, je ne sais pas ce m’a pris. J’espère qu’elle a compris et quel se cherchera un autre amant.

Les deux hommes restèrent silencieux pendant quelques minutes, perdus dans leurs pensées.

— Dernier jour pour moi, fit Sofiane, alors que pour toi ce n’est que le début de la saison. Tu as parfois congé ?

— Demain, puisqu’il n’y a personne à midi. De 10 à 15 heures.

— Je t’invite pour le déjeuner. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

— Je ne suis pas difficile, ce que je n’ai jamais sur le bateau : un hamburger et des frites.

— Halal ?

— Non, je t’ai dit que je mets la religion de côté.

— J’irai déposer ma valise à la gare, ma grand-mère rentre en bus, moi en train. Je reviendrai te chercher après.

Sofiane eut de la peine à s’endormir. Ils se demandait s’il n’avait pas été trop mufle avec Sophie. Sa grand-mère s’abstint heureusement de lui demander des détails le lendemain au petit déjeuner.

Vers 10 heures, il était de retour au port. Sufyan et lui s’étaient donné rendez-vous loin du bateau pour ne pas se faire remarquer par d’autres membres de l’équipage. Ils prirent le tram jusqu’au centre et déjeunèrent dans le restaurant rapide d’une chaîne suisse où la nourriture était meilleure que dans les américaines. Après une glace et un café, Sofiane demanda :

— On va au zoo ou au musée d’art ?

— Je n’ai pas de préférences, ce que tu désires.

— J’ai une autre idée.

Les deux hommes sortirent du restaurant et marchèrent une centaine de mètres, où se trouvait un hôtel. Sofiane entra et se dirigea vers l’ascenseur.

— Tu as une chambre ? s’étonna Sufyan.

— J’en ai pris une, je vais prolonger mes vacances d’un jour, mes parents ne sont pas encore rentrés. Tu viens faire une sieste avec moi ?

— Pourquoi pas ? Ça me changera de me reposer dans un vrai lit et pas dans une couchette. Tu me réveilleras à temps ?

— Pas de souci, je mets une alerte sur mon smartphone et je te paie le taxi.

La chambre était confortable, mais la décoration n’était pas très originale et l’on aurait pu se trouver n’importe où dans le monde. Il faisait chaud car la climatisation était éteinte.

— Il y a plus de place que sur le bateau, fit Sofiane en découvrant le lit, mais il manque l’eau du fleuve. On se met à l’aise ?

— Fais comme chez toi.

Sofiane se déshabilla, posa ses habits sur le dossier d’une chaise. Il laissa son boxer blanc. Sufyan l’imita, gardant son slip turquoise. Ils se couchèrent sur les couettes après avoir tiré un peu les rideaux. La chambre était dans une semi-obscurité. Sofiane regardait la bosse du slip de l’Égyptien, on devinait nettement le contour du sexe, et dit :

— Je peux te demander quelque chose d’indiscret ?

— Oui, pas de politesses entre nous, je ne suis pas ta Mademoiselle de je ne sais plus quoi.

— Tu es musulman, es-tu circoncis ?

— Qu’attends-tu pour regarder ?

Sofiane baissa le slip de Sufyan, dévoilant un pénis circoncis, comme il s’y attendait, plutôt court mais avec un large gland, reposant sur de grosses couilles.

— Elle te plaît ? demanda l’Égyptien.

— Tu te rases, pas moi. Je peux la toucher pour te faire bander ?

— Je t’ai dit de faire comme chez toi.

— Chez moi je me touche moi-même.

Sofiane prit le pénis dans sa main et le caressa doucement.

— Tu es aussi gay ? demanda-t-il.

— Tu as bandé avec une fille sans être hétéro, je peux bien bander avec un garçon sans être gay. Sur le bateau tout le monde se branle dans les cabines, quelle que soit son orientation. On ne peut pas rester neuf mois sans se soulager.

— Pas de souci. Tu veux quand même voir ma bite ?

— Oui, j’ai envie de jouer avec ton prépuce, et ensuite de te sucer, et ensuite de t’enculer. Le menu te convient ?

— Service cinq étoiles, comme sur le bateau.

Sofiane raccompagna Sufyan au port, ils se quittèrent à une centaine de mètres du bateau après avoir échangé un baiser furtif.

— On reste en contact ? demanda Sofiane.

— Tu as mon numéro de portable.

— Tu m’inviteras à ton mariage avec Yasmine ?

— Bien sûr, si tu m’invites au tien avec Sophie.

— Bon vent !

— Bon vent !

Sofiane se dit qu’ils se reverraient rapidement, et que, ce jour-là, leurs malheurs seraient terminés.

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