Le soleil avait entamé sa lente course horaire au-dessus de l’Attique depuis plusieurs heures lorsque la situation changea brusquement. Nahran suivit les ordres hurlés par son supérieur et courut prendre position au sein du groupe auquel il était rattaché. Les hommes se placèrent à la gauche de l’armée perse, forte de cinquante mille hommes. Disposés sur neuf rangs, Nahran et les autres archers se préparaient à inonder l’ennemi de flèches.
Le péan avait retenti longuement, mais les hoplites grecs avaient cessé leur chant de guerre pour économiser leur souffle. La bataille était imminente. Nahran tourna son visage vers la plage toute proche. Les petites vagues agitant mollement le rivage n’avaient posé aucun problème aux marins perses lors du réembarquement des chevaux et de plusieurs milliers d’hommes quelques heures auparavant.
Après plusieurs jours d’attente, prêt à l’action, le général perse Datis s’était lassé de voir les Grecs refuser le combat. Ce laps de temps n’augurait rien de bon, et il avait ordonné à son armée de reprendre la mer. Puisque les Grecs refusaient de se battre à Marathon, il irait attaquer directement Athènes. Tant pis si l’étendue formée par cette plaine offrait un site idéal pour déployer la cavalerie perse, tant redoutée par l’armée grecque.
Mais quel tragique retournement du destin ! Maintenant que cavaliers et montures étaient à bord des navires perses, ces maudits hoplites se décidaient enfin à venir au combat. Nahran se sentit soudain bien peu de chose avec son arc composite et les trente flèches que contenait son carquois dorsal, face au bloc de bronze qui déferlait depuis les hauteurs où les grecs avaient campé plusieurs jours.
Puis vint l’ordre de tirer, et ses réflexes prirent le dessus. Masquant le soleil lui-même, une pluie de bois et de métal comme nul homme n’en avait jamais vu s’abattit sur l’ennemi. Nahran faisait partie des meilleurs archers ; il pouvait tirer jusqu’à six flèches par minute.
Malgré toute leur adresse et leur courage, le doute s’empara rapidement des hommes de son Dathabam*. Les premières lignes grecques semblaient insensibles à leurs flèches de canne, incapables de percer la cuirasse et le bouclier des hoplites. Ces derniers, Athéniens et Platéens, faisaient résonner leurs boucliers en les frappant avec le bois de leur lance de deux mètres et demi.
Le choc avec l’infanterie légère perse fut terrible. Que pouvaient les boucliers d’osier et les courtes lances perses face à cette marée d’hoplites corsetés de bronze ? Les premières lignes de l’armée du roi des rois reculèrent. Nahran, comme les dix mille autres archers perses, continua de faire pleuvoir ses flèches sur l’arrière-garde de l’armée grecque. Mais le doute s’installait.
Miltiade, général des Grecs, avait disposé ses forces de façon originale, en ne plaçant que quatre rangs d’hoplites au centre de son dispositif. Les ailes de son armée étaient, en revanche, beaucoup plus puissantes, avec huit rangs de soldats. Nahran, en arrière de la ligne de combat, ne pouvait percevoir ces mouvements mais en tournant la tête, il voyait la mer dont la couleur lumineuse contrastait avec les hurlements et la fureur de la bataille qui se déroulait devant lui.
Le choc initial passé, les Perses parvinrent à bloquer et même à faire reculer le centre grec. Par une ironie cruelle, c’est au moment où le général Datis commença à croire à la victoire que le piège se referma sur lui. Les deux ailes grecques avaient enfoncé son armée, tandis que l’infanterie au centre avait reculé, formant une pince gigantesque menaçant d’encercler l’armée perse.
Datis n’eut pas le temps de modifier son dispositif — mais qu’aurait-il pu faire ? — car la panique s’empara de ses hommes. Comprenant le risque d’être encerclés, les Perses rompirent leurs lignes et s’enfuirent vers la plage où se trouvaient encore de nombreux navires. Ils avaient perdu la bataille de Marathon.
Les Grecs s’élancèrent à la poursuite des fuyards, mais, lourdement équipés, eurent du mal à profiter pleinement de leur victoire. Nahran, combattant à l’arrière, fit partie des premiers soldats à atteindre le rivage. Il monta à bord de l’un des navires à fond plat utilisés pour débarquer matériel et hommes en empruntant une passerelle rudimentaire faite de grandes planches de bois.
« Cette rampe est un pont entre la vie et la mort », se dit-il, priant pour que le navire parvienne à s’éloigner avant que les Grecs n’atteignent la plage. Les marins perses, essentiellement des Phéniciens, démontrèrent leur immense talent en manœuvrant les navires avec adresse et détermination, malgré le chaos ambiant.
En s’éloignant de la côte, Nahran vit les milliers de cadavres jonchant la grève. L’eau, magnifiquement claire quelques heures auparavant, avait pris une sinistre teinte rougeâtre. Certains hoplites brandissaient leurs armes en direction des rescapés, hurlant des insultes. D’autres achevaient les blessés sans pitié.
L’espoir revint lorsque Nahran apprit que son armée fonçait directement sur Athènes, profitant de la présence des Grecs à Marathon pour tenter de détruire la ville.
« Nos frères ne seront pas morts en vain », se dit-il, certain que jamais les hoplites athéniens n’arriveraient à temps pour barrer la route aux Perses une seconde fois.
* Dathabam. Groupe d’archers perses originaires de la même région, et parlant ainsi la même langue.