Antarès
Ce soir-là, j'étais seul. Une journée bien inutile dans son ensemble. Une journée comme la précédente et celle d’avant, et cela durait depuis trop longtemps.
Je suis auteur, j’écris des romans, des histoires absurdes sans grande prétention. Mais depuis quelque temps, le syndrome de la page blanche m’avait conduit sur le chemin de la procrastination.
Divorcé et sans enfant, rien ne me retenait ; alors je suis parti me trouver une tanière, la tanière de l’artiste. Parmi toutes les décisions que j’aurais pu prendre pour ma carrière, c’est celle-là que j’ai menée à son terme. Mon ex me reprochait d’être incapable de décider quoi que ce soit. C’est faux. Je sais prendre de mauvaises décisions, comme tout le monde.
J'étais assis seul, dans une maison isolée, au fond d'un chemin, au fond d'une forêt, au fond de la vallée. J'avais fini de manger et, par les fenêtres, je ne voyais que mon propre reflet superposé à la nuit.
La nuit, le silence. La nuit, la solitude. La nuit et le calme.
J'étais assis seul et je me regardais. C'était moi. Je me connaissais suffisamment pour ne plus rien avoir à me dire. Je vidais mon verre d'eau.
À cet instant, la sonnette retentit et emplit le silence. Il n'y a aucune raison que quelqu'un vienne me voir et, pourtant, la sonnette retentit.
J’ouvris la porte et, de nulle part, l’idée apparut et remplit ma tête : “Quand le vide frappe à ta porte, c'est l'univers qui se tient sur le seuil.“
Une nuit sans lune et sans nuages. La lumière qui s’échappait de la porte et des fenêtres illuminait faiblement les environs avant de se faire engloutir par l’obscurité de la forêt. Le ciel, lui, était rempli d’étoiles.
La forêt, dense et charnue, restait invisible ; seul le vide du ciel était apparent.
— Je reviens !
Je fis deux pas à l’intérieur jusqu’aux interrupteurs et plongeai la maison dans le noir. Nous étions à présent rien que tous les deux. Lui, immense, sur le pas de la porte. Moi, qui l’empêchais d'entrer par ma simple présence.
— C’est donc ce soir que tu finis de t’installer…
Je tirais le tabouret de l’entrée, le posais devant la porte avant de me laisser tomber dessus.
— Tu sais, cela fait des semaines que je n’ai rien écrit. Pas un mot, pas une idée. Et pourtant, chaque jour, je me pose devant cette page blanche. Et je sais que quelques mots la rempliraient. Ils apparaîtraient, feraient naître de grandes idées, exister des récits.
Mon attention se fixa sur le ciel, puis parcourut le noir du sol et des bois.
— Exactement ! J’essayais de remplir un verre déjà plein.
L’étoile Polaire attira mon attention, puis Mars. Petit point rouge dans le ciel.
— Dans un certain sens, tu m’as toujours fait peur. Oui, je voulais être seul, mais je voulais qu’on me voie dans ma solitude. Je ne voulais pas écrire ; je voulais être lu. Écrire des idées attendues pour exister.
Je secouais la tête.
— C'est marrant, je ne pourrais pas faire trente mètres dans cette direction sans me cogner à un arbre.
Je désignais la forêt.
— Et pourtant, tous les jours, je me lève, je m'élance dans cette direction et je me prends un tronc en plein trogne. Suis-je un fou ?
Mes yeux fixèrent le firmament et tout mon esprit fut aspiré tandis qu’il prenait la mesure de ce qu'il voyait. L’énormité absolue du panorama. Des milliards de mondes qui se cachaient à la vue de tous. Un autre point rouge, plus brillant.
— Regarde ! C’est Antarès.
Je secouai la tête.
— Je pourrais partir dans cette direction et voler les yeux fermés pour une éternité sans jamais rien rencontrer. Tout est là et inaccessible. Il y a de la place pour tant de choses encore. Mon propre chemin, unique et éternel. Ce serait ma propre voix, la voie pour remplir le vide d'idées nouvelles… Je finis par penser que ma feuille n’était pas blanche ; elle était déjà pleine de mots, dits et redits, et c’est pour ça que je ne pouvais rien y ajouter.
Un soupir.
— Deux choses ne peuvent exister au même endroit. Ce qui fait de toi l’être le plus indispensable. Le seul qui permet la création et l’existence… Mais aussi le seul avec qui l’on ne peut rien partager.
Je frottais mes joues, passais mes mains sur ma barbe.
— Entre.
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