Texte 2 : Merci @Lucivar@ : Moi, la rue et Sitting Bull

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Tu as encore maigri. Hmm… Mange un peu plus. Hmmm… Je m'inquiète pour toi, tu sais ? Oui, oui. Et le boulot, comment ça va ? Ça va. Tu as revu Patrick ? Non… C’est con, pour une fois que tu trouvais un mec bien… Maman ! Oh, c’est bon, c’est bon, moi ce que j’en dis.

J’ai toujours détesté les lignes. Trop droites, trop directes, directrices. La rectitude, j’en ai plein le cul. Ma mère ça la dérange pas, elle est née comme ça, une croix dans le cul. Ou peut-être que c’est après moi ? L’épisiotomie qui lui est restée en travers de la gorge comme sa bible. Ou mon père et sa ligne de fuite, j’en sais rien. La vie lui en a foutu des droites, ça a dû déteindre.

– Tu devrais venir avec moi, dimanche.

– Nan !

– Emma, Dieu peut t’aider.

– J’en veux pas de son aide.

J’me lève. C’est vrai quoi, j’ai rien d’mandé moi. J’attrape ma veste.

– Tu y vas déjà ?

– Ouais, merci m’am, bisous.

La porte qui claque, les pas qui trottent dans l’escalier. Tout ça c’est moi et c’est pas moi. Tout ça c’est encore trop le reste. La rue pue, la pisse et la pluie, le gasoil et les poubelles pleines. Il y a quelque chose de réconfortant dans la puanteur. On peut enfouir son nez dans l’écharpe et sentir le parfum qu’on y a mis. Un nom italien, des notes chaudes. Un cadeau de Patrick, je crois. Ambre mon cul quelque chose. Bref. Tout ça c’est encore trop de lignes. La rue est moite, comme un lit après un cauchemar. J’allumerais bien une clope mais la pluie. Puis j’ai plus de feu. Et plus de tabac. En fait, je fume plus. Ça fait trois mois. C’est bizarre au fond, cette envie, comme ça reste, comme ça tache, pire que du sang sur une culotte. C’est comme le sexe, ça fait trois mois que je regarde les ptits culs dans la rue comme une nympho. La bouffe ça manque moins, c’est bizarre hein. Le cerveau est con. Il s’en fout de ce qu’il a besoin, il a envie de partir en fumée et de s’envoyer en l’air contre les murs.

Je bouscule un mec. Les mains dans les poches, le front bas qui goutte et des écouteurs plein les oreilles. Plutôt mignon avec ses mèches brunes de pluie. J’aime bien. Il s’excuse sans se retourner. Poursuit sa ligne. Je fuis. Elles sont partout, si on ne fait pas gaffe on se fait aspirer. Après on n’en sort plus. Les gens sont comme des mots dans un livre, chacun à sa place, chacun sur sa ligne, chacun courant à sa fin. Je ne lis plus. Ou bien je lis de travers. Je fais tout de travers, toute façon, semble-t-il. J’ai jamais aimé marcher droit, ni sur les lignes. Les lignes des clous, les lignes des pavés, les lignes des marches et des trottoirs. J’évite. On ne sait jamais. Les rues en sont pleines, ça complique les choses. Personne y fait gaffe, ils sont au-delà de ces considérations, au-delà de ces lignes de béton et d’asphalte. Ils sont au stade suivant de l’évolution. Ils sont en ligne, attachés, connectés, le nez sur leur téléphone comme sur un rail de coke.

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