L'amant de Marguerite Duras

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 C'est au cours de ce voyage que l'image se serait détachée, qu'elle aurait été enlevée à la somme. Elle aurait pu exister, une photographie aurait pu être prise, comme une autre, ailleurs, dans d'autres circonstances. Mais elle ne l'a pas été. Qui aurait pu penser ça ? Elle n'aurait pu être prise que si on avait pu préjuger de l'importance de cet évènement dans ma vie, de cette traversée du fleuve. Or, tandis que celle-ci s'opérait, on ignorait encore jusqu'à son existence. Dieu seul la connaissait. C'est pourquoi, cette image, et il ne pouvait pas en être autrement, elle n'existe pas. Elle a été omise. Elle a été oubliée. Elle n'a pas été détachée, enlevée à la somme. C'est à ce manque d'avoir été faite qu'elle doit sa vertue, celle de représenter un absolu, d'en être justement l'auteur.

 C'est donc pendant la traversée d'un bras du Mékong sur le ba qui est entre Vinhlong et Sadec dans la grande plainde de boue et de riz du sud de la Cochinchine, celle des Oiseaux.

Je descends du car. Je vais au bastingage. Je regarde le fleuve. Ma mère me dit quelques fois que jamais, de ma vie entière, je ne reverrai des fleuves aussi beaux que ceux-là, aussi grands, aussi sauvages, le Mékong et ses bras qui descendent vers les océans, ces territoires d'eau qui vont aller disparaître dans les cavités des océans. Dans la platitude, à perte de vue, ces fleuves, ils versent comment si la terre penchait.

 Je descends toujours du car quand on arrrive sur le bac, la nuit aussi, parce que toujours j'ai peur, j'ai peur que les câbles cèdent, que nous soyons emportés vers la mer. Dans le courrant terrible je regarde le dernier moment de ma vie. Le courant est si fort, il emportait tout, aussi bien des pierres, une cathédrale, une ville. Il y a une tempête qui souffle à l'intérieur des eaux du fleuve. Du vent qui se débat.

 Je porte une robe en soie naturelle, elle est usée, presque transparente. Avant, elle a été une robe de ma mère, un jour, elle ne l'a plus mise parce qu'elle la trouvait trop claire, elle me l'a donnée. Cette robe est sans manches, très décolletée. Elle est de ce bistre que prend la soie naturelle à l'usage. C'est une robe dont je me souvie. Je trouve qu'elle me va bien. J'ai mis une ceinture de cuir à la taille, peut-être une ceinture de mes frères. Je ne me souviens pas des chaussures que je portais ces années-là mais seulement de certaines robes. La plupart du temps, je suis pieds nus en sandale de toile.

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