Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître

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1918

1.

Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albret reçut-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu'à la propagande du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement molles qu'elles s'écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes français. En quatre ans, Albert en avait vu un paquet, des types morts de rire en recevant un balle allemande.

Il s'en rendait bien compte, son refus de croire à l'approche d'un armistice tenait surtout de la magie : plus on espère la paix, moins on donne de crédit aux nouvelles qui l'annoncent, manière de conjurer le mauvais sort. Sauf que, jour après jour, ces informations arrivèrent par vagues de plus en plus serrées et que, de partout, on se mit à répéter que la guerre allait vraiment prendre fin. On lut même des discours, c'était à peine croyable, sur la nécessité de démobiliser les soldats les plus vieux qui se traînaient sur le front depuis des années. Quand l'armistice devint enfin une perspective raisonnable, l'espoir d'en sortir vivant commença à tarauder les plus pessimistes. En conséquence de quoi, question offensive, plus personne ne fut très chaud. On disait que la 163è DI allait tenter de passer en force de l'autre côté de la Meuse. Quelques-uns parlaient encore d'en découdre avec l'ennemi, mais globalement, vu d'en bas, du côté d'Albert et de ses camarades, depuis la victoire des Alliès dans les Flandres, la libération de Lille, la déroute autrichienne et la capitulation des Turcs, on se sentait beaucoup moins frénétique que les officiers. La réussite de l'offensive italienne, les Anglais à Tournai, les Américains à Châtillon... on voyait qu'on tenait le bon bout. Le gros de l'unité se mit à jouer la montre et on discerna une ligne de partage très nette entre ceux qui, comme Albert, auraient volontier attendu la fin de la guerre, assis là tranquillement avec le barda, à fumer et à écrire des lettres, et ceux qui grillaient de profiter des derniers jours pour s'étriper encore un peu avec les Boches.

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