Narration et incipit : du comment au quand ?

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Le précédent atelier vous a montré, je l'espère, un élément important de la narration : en changeant de narrateur et de temps, cela modifiera profondément non seulement la façon de raconter (nous l'avions déjà vu précédemment) mais aussi le moment où l'histoire débute.

Revenons un peu sur l'atelier et les notions qu'il a mis en évidence.

D'abord le JE + présent, nous avons beaucoup abordé ses contraintes, mais qu'en est il du JE + passé, ou du IL ? Comment ces modifications ne peuvent se contenter d'une simple correction en changeant le pronom et la conjugaison du verbe ?

Petit retour sur les discussions...

@Lucivar@ (en parlant du texte d'Anna pour l'atelier) :

Finalement tu as très peu changé la teneur de ton texte, les trois se ressemblent beaucoup.
C'est une réflexion que je me suis fait pendant l'exercice, c'est que en fait, j'aurais pas du tout commencé le roman pareil selon le narrateur et le temps. Clairement ça aurait été très très différent, pas forcément avec les mêmes évenements, ou au même moment etc etc, du coup mes trois incipits sont faussés parce que je me suis mis comme contrainte d'avoir des similitudes entre eux pour l'exercice, mais ce n'est pas ce que j'aurais écrit pour de vrais textes selon mon choix narratif.

@Anna Soa@ :

Effectivement Lucivar je n'ai quasiment rien changé, je pense pour voir l'effet que ça faisait, qu'est-ce qui "fonctionnait" au passé et pas du tout au présent. J'en suis arrivée à la conclusion que vous disiez au tout début de l'atelier, le Je+présent, c'est plus dur. Mais je ne savais pas pourquoi. Maintenant, je commence un peu mieux à comprendre certaines contraintes que ça implique.

Premier point très important à prendre en compte, la narration au passé signifie une chose que vous ne devez pas oublier en écrivant : le narrateur connaît la fin de l'histoire et lui offre une finalité.
Donc il a tous les éléments et les agence soit comme ils lui reviennent, soit de la meilleure manière pour servir la finalité.

@Anna Soa@ :

En gros c'est plus facile :)

Pas sûre Anna que ce soit plus facile, car si tu n'intègres pas à ta narration ces éléments qui laissent à penser que le narrateur sait comment se termine l'histoire et bien cette narration au passé ne tiendra pas plus que le JE + Présent.

Il manquera cette reflexivité : de même que "JE ne dis pas ce que JE fais, JE le fais !"
Quand "JE raconte ce que J'ai fait, JE suis différente de ce que J'étais au moment de l'action que je raconte, et JE le sais"

Dans le JE + passé, il y a 3 temporalité : le passé du narrateur qui constitue l'action de l'histoire et le présent du narrateur qui constitue le moment où il raconte son histoire, et son passé composé : il se modifie en racontant son histoire, il n'est déjà plus le même qu'au début de son histoire, revenir sur son passé modifie sa perception de son passé et de son présent.
Ce n'est pas plus facile, attention, c'est une autre complexité.
Le JE+présent n'a qu'une temporalité à gérer, mais il ne peut utiliser les verbes d'action que dans certains cas sinon il perde en crédibilité.
Le JE+Passé peut jouer de tous les verbes, mais il jongle entre 3 temporalités.

@Anna Soa@ :

Ok je comprends. Mais qu'en est-il du problème du Il+passé qui était (dans mon cas) la narration que j'avais choisi au départ ?

Le pouvoir du narrateur est d'écrire SA version de l'histoire, et plus il en possède la totalité, plus il peut la réécrire à sa façon, selon son angle et son point de vue. Le Je+passé offre la réflexivité, mais aussi la capacité de se mentir. Tout est question de finalité. Or dans ces extraits, aucun des narrateurs n'a la même finalité. Au présent, il n'y a pas de finalité, juste un vécu en direct. Mais au passé, IL veut comprendre et JE veut se justifier. C'est dit dès la première ligne.

@Anna Soa@ :

Dans le Je+présent, il n'y a pas, j'ai l'impression en tout cas, de capacité d'analyser la relation, mais de laisser les lecteurs se faire leur propre opinion, je comprends le côté "on peut pas tricher". Dans le Je+passé, le risque c'est donc la justification, (ré)écrire l'histoire selon ses propres termes, cacher ce qu'on a envie de cacher.

Je comprends mieux la différence fondamentale entre le Je+présent et passé. C'est avec Il que je galère encore à comprendre :)

Et bien le IL va livrer ce que JE veut cacher. Dans certaines histoires, ce ne sera pas gênant, il est possible que certaines histoires appellent autant le JE que le IL, mais pour d'autres, la différence est dans la différence de finalité. Et du coup, pour l'un comme pour l'autre, l'histoire ne va pas commencer au même endroit.

Quand vous ne savez pas quel est le bon choix de narrateur, ce petit exercice de réécriture juste sur l'incipit (ce qui reste un petit fragment) permet d'y voir plus clair. Soit de voir les défauts de la voix choisie, soit de voir de nouvelles finalités qui collent mieux à ses intentions.

"Cette histoire a commencé par un cri. Un cri de douleur." => typiquement un incipit de IL+passé. L'histoire commence sans l'intervention du personnage.

"L’horizon brûlait. Je m’en souviens comme d’hier." => là, on est typique du JE + passé et pas seulement parce que c'est écris dessus mais dans le sens. L'histoire annonce sa fonction de souvenir.

"Putain de vent, pas moyen de fumer tranquille ! " => parfait pour un incipit en JE +Présent. Immersion directe dans un élément perturbateur qui enclenche la narration.

L'auteur aura toujours le choix avec 3 types de narrateurs et leurs variations.

JE + Présent : qui peut varier en TU (le tu implique le JE) ou en NOUS.

JE + Passé : qui peut là aussi varier en TU ou NOUS.

IL + Passé : qui peut être intra ou extradiégétique, et varier en ELLE ou ON (intra-diégétique) ou ILS

La variation IL + Présent est similiaire au IL + Passé : il n'y a que peu de différences fondammentales, le narrateur externe pouvant se permettre des moments de réflexion ou de donner son avis sur une situation comme de l'étirer, l'étendre ou l'abréger au présent comme au passé. Ils possèdent grosso-modo la même finalité. En intra-diégétique, par contre, on sentira plus la différence.

Ces trois choix vont non seulement entraîner des finalités différentes mais, qui dit finalité différente, dit début différent. Et là se pose le QUAND ? Quand est-ce que l'histoire commence ? C'est une question très très importante car votre incipit sera le premier contact avec votre lecteur, et même entre vous et votre histoire. Rater ce premier contact, c'est rater la relation de confiance entre auteur et lecteur, entre l'histoire et vous ou plutôt un tiers (car vous, de base, vous aimez votre histoire sinon pourquoi l'écrire ?)

Il n'y a pas de règle, mais il y a des grands principes et des erreurs récurrentes.

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