Réel et fictif : l'hypnose pour brouiller les pistes.

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Etant donné que je vais me heurter au chapitre précédent à tous ceux qui font de la SFF pure et dure, et qui n'ont pas l'occasion de se perdre dans un vaissau spatial, ou dans une grotte envahie par un dragon, il va falloir que je traite cette question de la fiction pure qui doit sembler réelle.

Il y a peu de temps, une discussion portait sur le CV à fournir pour un master de création littéraire. Et j'avais posé cette idée de constituer un CV qui fournisse un "vécu" en fonction du projet à défendre. (Pour info, l'entrée dans le master de création se fait sur dossier et sélection d'un projet littéraire déjà avancé, un peu comme les bourses de création, ce qui paraît logique. Suffit pas de venir la fleur aux dents pour que des auteurs aussi prestigieux que Olivia Rosenthal et des éditeurs ultra péchus comme P.O.L. ou Grasset, se penchent sur votre cas et vous accompagnent dans l'écriture de votre projet.) La personne écrivait dans le domaine de la fantasy, donc ne se sentait pas concernée par le conseil.

Erreur ! (évidement que je vais être d'accord avec moi-même). Une oeuvre de SFF s'inscrit très souvent dans un bagage de l'auteur qui va au-delà du simple jeu de rôle (je vous le souhaite en tout cas, sinon votre projet va manquer de consistance, cf les chapitres sur la thématique). La majeur partie des grands auteurs de SFF étaient des scientifiques, et injectaient leurs travaux dans leurs oeuvres. D'autres étaient des férus de sciences sociales, de psychologie, de philosophie, et leurs savoirs et leurs problèmatiques se retrouvaient dans leurs oeuvres. Ou comment l'expérience réelle nourrit la fiction. La SFF n'est souvent qu'un média, un angle d'approche à des problèmatiques très concrètent, très actuelles et peuvent alors être ressucitées assez facilement à chaque évènement mondial. On parle de prédictions, je parle de logique sociale, économique et politique.

Nourir les oeuvres de l'imaginaire par des expériences vécues, et se forcer à faire soi-même le lien non pas inconscient, mais bien conscient en tant qu'auteur permet de mieux l'amener à son lecteur et de ne pas passer à côté de sa propre oeuvre.

Du coup, comment décrire un univers science fictionnel pur, ou fantaisiste pur et sembler plausible, sans perdre le lecteur. C'est là que le titre de ce chapitre va prendre son sens.

Parmis mes nombreuses casquettes (et c'est dans ces cas-là que je me rends compte que je suis complètement hyper-active... ^^!) j'ai une formation d'hypnothérapeute. Donc je propose régulièrement à mes patients des anesthésies sous hypnose, ou des transes hypnotiques pour gérer leurs douleurs chroniques dans le cadre de leur cancer.

L'hypnose est une technique basée sur le langage qui va provoquer la dissociation du sujet. En gros vous l'embarquez ailleurs, dans un lieu sécurisant, rassurant, dans un moment où il fait bastraction du monde extérieur. La lecture provoque des phénomènes de transe hypnotique. Vous perdez la notion du temps, vous ressentez des émotions, vous pouvez vous mettre à pleurer, à rire, et oublier tout ce qui se passe dans votre vie à ce moment-là : vous vivez l'histoire. C'est une transe hypnotique. Et on en vit tous des transes hypnotiques, au cinéma, à la lecture, à l'écriture pour les auteurs (c'est très fort en général), ou encore au volant de votre voiture sur des trajets familiers où vous pensez à autre chose, vous êtes "ailleurs" sans pour autant perdre le contrôle de votre véhicule.

Pour induire la transe hypnotique, on va utiliser des éléments de langage spécifiques verbal et paraverbal. Le rythme, le ton de la voix, les silences entre les mots, les changements de rythme, autant d'éléments qu'on va saupoudrer et qui vont permettre au sujet de lacher prise sur sa réalité actuelle. De même, on va utiliser un certain type de mots, d'images, de métaphores qui "parlent" au sujet et lui permettent de se raccrocher à ce qu'il connaît et qu'il va construitre comme "fiction réelle".

Un grand principe de l'hypnose est ce qu'on appelle le VAKOG. Il s'agit de balayer le champ sensoriel complet du sujet afin de trouver son vecteur et de saturer ses cannaux sensitifs : Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif. On a tous un canal de prédilection, celui qui une fois activé, va nous entrainer dans le souvenir, en gros, notre madeleine de Proust. C'est un canal gustatif. Certains se sont les odeurs et un parfum familier ; d'autres le son et une voix ou une musique ; pour la vue les couleurs sont souvent sources de réémergence, d'autres encore ce sera un geste, un petit mouvement du corps ou une sensation de chaud ou de froid qui va aider à faire plonger.

Donc plus on balaye large au niveau sensoriel, plus on a de chance de toucher le sujet quel que soit son cannal. En écriture, plus vous allez cerner votre propre cannal (c'est facile à faire, demandez-vous ce que vous ressentez en premier quand vous évoquez un souvenir), plus vous allez apporter un sentiment de singularité dans vos descriptions. Cela va intensifier l'impression de "réalisme" mais ne touchera pas forcément tous les lecteurs, juste plus facilement ceux qui partagent le même cannal que vous. En revanche, en ratissant large et avec des phénomènes de "clichés" vous allez embarquer le plus grand nombre car vous donnez un repère commun. C'est pour cela que les best-sellers sont souvent remplis de clichés et de lieux communs en terme d'écriture et on se demande toujours comment ça fait pour marcher : phénomène d'induction hypnotique ultra bien menée. Lévy, Musso, Da Costa, etc, ils sont très très efficaces et gèrent très bien les éléments de langage qui permettent de rester très superficiels, juste ce qu'il faut pour que le lecteur y mette sa profondeur (pour certains, c'est trop superficiel et ça tombe des mains, un peu comme en hypnose, certains sont plus "réceptifs" que d'autres et pour les autres il faut "plus", mais pour la majorité, ça fonctionne). Mais c'est aussi pour cela qu'une fois posé, il n'en reste rien et qu'en en lisant plusieurs on les confond : dissociation hypnotique. On s'évade, on n'est ni dans le monde extérieur ni dans la lecture, sensation de plaisir et d'apaisement, de relaxation, sans avoir à fournir le moindre effort. Voilà le secret.

Pour en revenir à nos moutons à vous de voir ce que vous décidez de faire : balayer large ou centrer sur un canal.

Pour info, en hypnose, plus on trouve LE canal du patient, plus on le saigne (le canal, pas le patient, faut pas déconner ^^!) car la transe est plus efficace, plus profonde et surtout le sujet va en garder quelque chose, une façon de se transformer lui même et de se "soigner" lui même. En effet il y a deux intentions différentes que je décèle dans ma pratique de l'hypnothérapie.

1) L'analgésie/anesthésie qui porte sur un moment particulier, un geste du médecin. Dans ce cas, on cherche à ce que le sujet se détende, s'évade et passe un bon moment (Marc Lévy) malgrè le box de réa avec les alarmes qui bipent dans tous les sens, ce bleu hyper froid, le champ opératoire qui empêche de voir quoi que ce soit, et le médecin qui fore le sternum (ou l'os illiaque) à la perceuse avec un bruit de grincement atroce et strident, pour y planter un trocard énorme qu'il fait tourner sur lui même comme une vieille chignole rouillée, avant d'aspirer la moelle osseuse avec un bruit et une sensation de succion dégueulasse.

Avouez que là, en quelque mots, vous avez envie de vous frottez le sternum ! transe hypnotique, négative pour le coup, mais transe tout de même, dans laquelle je vous ai plongé grâce au VAKOG (vous pouvez vous amusez à détecter les canaux que j'ai utilisé et à quel moment) en saturant la perception sensorielle, en utilisant des "clichés" voire des pléonasmes (grincement atroce et strident) pour renforcer la perception tout en cernant des détails très précis sur le procédé pour qu'une opération qui vous est inconnue devienne concrète. Et bien entendu les métaphores au champ lexical bien choisi pour renforcer l'impression (vieille chignolle rouillée). Et je viens allègrement de vous sortir de la transe en défocalisant l'attention sur la façon de raconter et non plus ce que je raconte, donc je vous replace à votre ici et maintenant. :-)

En tout cas, c'est plus sympa pour les patients de danser avec leur conjoint, de se détendre avec leur chat sur leur véranda ou de se balader sur le bassin d'Arcachon.

J'espère que je vous ai pas trop perdu vu que j'ai enchassé les choses. Donc je clarifie, pour que le sujet s'évade rapidement, on reste large et imprécis (ce qui ne veut pas dire qu'on ne place pas de détails), on balaye tous les cannaux et on sature les sens, on renforce les détails avec des clichés et des lieux communs, on joue sur le champ lexical pour saupoudrer et imprimer des sensations agréables (ou désagréables) et on joue sur le rythme des phrases pour endormir l'autre. Ici le sujet est simple spectateur, mais il va ressentir car il va mettre dans la scène des sensations qu'il a déjà vécues.

2) Second cas de figure, l'hypnose qui va se confronter à une problèmatique chronique : douleur, phobie, addiction, angoisse, etc... En gros on va plonger le sujet dans son ressenti négatif en fonction des informations qu'il nous a transmis et on le conduit petit à petit à prendre le contrôle de son problème en le faisant agir dessus pour l'atténuer. Il devient acteur de sa transformation. Et on ancre la sensation positive plus fortement que la sensation négative dans le ressenti corporel (parce qu'on est sympa, qu'on a une éthique professionelle et qu'on est pas là pour leur faire faire le clown devant sur une scène de spectacle !). Le sujet va donc construire sa propre histoire, sa propre transformation et il ressort de la transe avec un sentiment assez fort, qui continue à infuser en lui, qui le travaille encore longtemps après. On a tous des exemples de lectures fortes qui nous "restent" et nous parlent longtemps après, qu'on voudrait relire pour bien tout percevoir. Et plus la problèmatique est universelle, plus on va toucher de lecteurs qui se sentiront "transformés" par ce roman, c'est une autre forme de best-seller. (et oui, faut pas croire que seules les daubes se vendent bien ! cela dit je vous souhaite à tous d'écrire aussi bien que Marc Lévy parce qu'il faut sacrément maîtriser ses techniques pour être d'une telle efficacité)

Dans ce second cas, le procédé est différent. On va plus jouer sur des phénomènes de fixation et partir du large vers le précis en terme de sensations. On va par exemple focaliser le sujet sur un thème, un seul problème pour mieux en apporter sa résolution (je vous ai dit auparavant qu'un bon roman ne contient qu'un seul thème principal, deux maximum dans les sagas, c'est pas pour rien !). On va élaborer une forme de réification du problème afin de lui donner une consistance fictive très forte, on fait d'une abstraction, comme la douleur, un objet concret. C'est de la fiction, de la métaphore, de la narration. Car on va guider le patient vers une narration différente de son problème. Plus vous racontez l'histoire à la place du sujet, moins ce sera la sienne, plus vous lui laissez de l'espace, plus il y collera son vécu, son ressenti et sera embarqué dans la transe. C'est en général plus long, mais ça fait pénétrer plus profondément le coeur du problème.

Pour l'écriture c'est pareil, vous avez votre histoire mais entraîner un lecteur dans une histoire qui n'est pas la sienne, ça doit passer par une main tendue et des espaces de liberté.

Alors, si on revient aux descriptions et à l'exercice précédent, sentez comme les descriptions qui vous parlent le mieux sont celles qui sont souvent le moins précises en terme de descriptions pure et les plus fortes en termes de sensorialité. Celles qui vont focaliser sur un détail, entraînant une fixation du regard au lieu de balayer la pièce comme une caméra qui donne le tournis (dans cette technique de balayge caméra, on décroche, le lecteur "zappe" la description, il perd les détails et souvent des éléments qui vous semblent vous important, il ne les retiendra pas donc attention). Celles qui passent par des détours, des digressions, l'histoire du lieu et des gens qui le font vivre.

Ce phénomène de focalisation par détour est souvent très efficace. Par exemple, si on reprend la description de Pagnol deux chapitres plus avant, la bastide est décrite par détours, des digressions qui amènent à voir les anciens propriétaires, puis à revenir sur la maison et repartir sur les nouveaux propriétaires, etc... et cette focalisation par détours, entraîne un phénomène hypnotique où on focalise, défocalise, refocalise etc. Et donc le lecteur va se faire embarquer, il va se laisser entraîner car vous lui faites lacher prise.

Attention comme tous les conseils, il y a l'idéal et la réalisation. Et si on n'embarque pas en douceur, si les digressions ne sont pas bien menées, on perd le lecteur. L'idée est de permettre au lecteur de se laisser glisser dans l'histoire, d'y entrer pleinement, de s'y évader, mais pas de se perdre et de se retrouver sur le bas côté comme un couillon.

Pour les personnages, c'est pareil ! et ce sera le sujet du prochain atelier.

A vos questions ! n'hésitez pas !

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