Chapitre 10 : Banquet
Thalgarion avait décidé ce soir-là, pour fêter le départ d'Ilona pour l'institut, de faire un repas fastueux. Si Ilona ne comprenait en quoi son départ pour l'institut était source de réjouissement, elle n'avait guère son mot à dire. La femme l'aida à se préparer avec grand soin, lui assurant qu'il fallait être reconnaissante que son excellence prête autant d'attention à notre personne.
Pour la faire belle, la femme l'avait attendu que la dernière leçon d'Althar prenne fin pour entrainer la jeune fille à sa suite. S'était emplie de tristesse, qu'Ilona l'avait suivi. Elle était plongée dans ses pensées. Elle était sincèrement attristée d'avoir eu son dernier cours avec Althar. Malgré leur différent, Ilona appréciait grandement le savant et les cours qui lui avait dispensé. Elle venait seulement de se rendre compte, que si elle parvenait à ses fins et qu'elle parvenait à s'enfuir, plus jamais elle ne pourrait discuter avec lui. Elle avait le cœur lourd, d'autant plus qu'elle était convaincue de faire le bon choix.
Suivant machinalement la femme, la fille de la mer fut surprise quand, au lieu d'arriver dans sa chambre, elles entrèrent dans une salle d'eau de bonne taille, décoré avec autant de luxe que de modestie. Cette vision fit sourire Ilona. Cette salle d'eau lui rappelait vaguement les bains publics de son quartier sur Brise vague. Sur la barge, si chacun avait accès à une douche, la plupart des enfants de la mer l'utilisaient surtout pour les retours de plongée ou s'ils étaient pressés. Non, la plupart du temps, ils préféraient faire leur toilette aux bains publics, cela permettait en plus de se détendre, de sociabilisé, de s'échanger des nouvelles. Les bains chez le peuple de la mer étaient toujours mixtes et pouvaient accueillir entre trente et cinquante personnes selon les quartiers. L'on pouvait il entendre aussi bien des rires et des discussions légères que des sujets sérieux et grave. Il n'était pas rare que les débats de l'assemblée commencent ou finissent dans les bains.
Toutefois, si la nostalgie d'Ilona la força à voir en cette salle d'eau un pâle reflet des bains de la barge, elle n'était pas dupe. Cette salle n'était pas destinée à la convivialité et aux échanges, mais elle était bien destinée à l'usage d'une seule personne et au vu de sa taille s'en était presque indécent. Loin de la mixité des bains où chaque corps n'était rien d'autre qu'un corps, dans cette salle, l'on devait avoir honte de son corps. Il n'y avait pas de miroir, des fois que l'on aperçoive son corps par accident.
Plus Ilona observait cette pièce que la femme s'activait à finir de préparer, plus la jeune fille était écrasée par son immensité. Si elle ne lui avait pas paru si grande en rentrant, elle se rendait compte à présent que le bassin d'eau fumante dans lequel la femme déversait diverse l'huile parfumée pouvait sans difficulté accueillir cinq personnes. La grandeur de cette pièce lui renvoya en pleine face sa solitude. Même la présence de la femme, pourtant si gentille et dévouée, devint pesante. Elle aussi, elle allait devoir lui faire ses adieux pour ne plus la revoir. Elle allait lâchement s'enfuir, laissant la femme prisonnière de son esclavage.
Ravagée par la solitude, la culpabilité et la tristesse, Ilona se laissa faire quand encore une fois encore, elle dut passer cette ridicule robe. Les yeux fermés, elle était plus agacée que jamais de cette stupide coutume.
— Vous vous rendez-compte, piailla la femme toute excitée, son excellence vous a permis d'utiliser la petite salle d'eau. Il m'a même demandé d'user de tous les artefacts qui pourront nous être utile pour vous détendre et vous mettre en beauté. Même certains de ses invités les plus prestigieux n'ont pas eu le droit à tant d'honneur !
Ilona n'en était en rien honorée, mais elle refusait de partager sa morosité avec la femme. Elle l'avait rarement vu aussi heureuse, elle ne voulait pas la priver d'un de ses rares moments de joie. Elle resta silencieuse, n'écoutant plus le discours enthousiasme de la femme qui glorifier son maître pour sa bonté. Elle se plongea dans des souvenirs plus heureux. Elle se rappela des rires et des bruits d'éclaboussure qui la ramenèrent au temps où elle allait prendre ses bains avec ses amis.
Puis, quelques chose qu'avait dit la femme se rappela à elle. Quelque chose qui la perturbait depuis qu'elle était au manoir, mais qu'elle renvoyait toujours loin de ses pansées. Quelque chose qu'elle ne pouvait plus ignorer à présent :
— Quels artefacts ?
— Son excellence vous a autorisé à vous éclairer aux orbes et non aux gaz. L'eau n'a pas été chauffée grâce au feu, mais grâce à un artefact qui maintiendra la température de l'eau à votre température idéale. Le même artefact tempère la température de l'air. Je vais également utiliser des artefacts pour prendre soin de vous et de vos cheveux. Vous avez par ailleurs de droit d'utiliser ceux qui permettent d'avoir des messages de bulle dans l'eau.
Ilona regarda les orbes qui donnaient un éclairage reposant et doux à la pièce. La femme avait raison. Quand elle lui avait fait revêtir sa robe de bain, elle n'avait pas ressenti de froid, mais elle n'avait pas chaud non plus. La température était idéale pour elle, participant à son confort. Quand elle se plongea dans l'eau à la demande de la femme, elle ne put que se sentir détendu tant la température de l'eau lui parut parfait. Il ne fallut qu'un coup d'œil pour remarquer la présence d'un nombre étrangement élevé d'artefact dans la pièce.
Il y avait bien trop d'artefact dans ce manoir. Pour user d'artefact, il faut de la magie. Soit par un mage qui consomme son propre pouvoir, soit grâce à une gemme de pouvoir. Tous les artefacts du manoir étaient munis de gemme. Ce n'est pas surprenant, il n'y avait dans ce manoir, une personne pouvant user de sa magie à envie, et c'était Thalgarion. Cependant, les gemmes étaient des pierres précieuses rares. Et si l'on rajoutait à cela, qu'elles finissaient inexorablement par se vider de leurs magies, leur utilisation ne devrait pas être autant banalisé. Quand bien même, on se trouverait à proximité d'une mime de gemme, il était rare d'en extraire déjà remplis de magie, ne serait-ce qu'à moitié. Le seul moyen de remplir une gemme s'était de la confier à un mage qui pouvait soit la chargée directement, mais cela pouvait prendre plusieurs jours, le laissant vidé de toute son énergie, surtout s'il ne disposait pas des équipements adéquats. Finalement, la plupart des mages gardaient juste des gemmes près d'eux. Avec le bon artéfact, la gemme se remplissait seule avec la magie que libérait le mage, de son aura, mais également des surplus de magie qui se disperse après qu'un sort ne soit lancé. Cette méthode est bien plus longue, mais assure la sécurité du mage.
Sur les barges du peuple de la mer, il y avait toujours plein de gemmes. Cela était moins étonnant que dans le manoir, étant donné que la grande majorité des habitants de la barge était magicien. Cependant, de rare enfant de la mer naissait sans pouvoir. Pour que ces personnes ne soient pas handicapées ou mises à l'écart, on leur confiait à chacun des gemmes. Pour qu'ils ne se retrouvent pas démunie, différent moyen avait été mis en place. Notamment, tous les mages devaient une fois par mois un don d'une heure de magies pour remplir les gemmes. Mais il n'était pas rare que ceux qui avaient les plus grandes capacités magiques fasse des dons plus réguliers. Un grand nombre de gemmes était également remplie grâce au trop-plein de magie lors des rituelles de la chorale. Et enfin certains volontaires se spécialisaient dans le remplissage de gemme. La volontaire la plus connue de brise vague passait presque ses journées à faire cette tâche fastidieuse et épuisante. Elle possédait une immense réserve magique, mais malgré de nombreuse année d'apprentissage, elle avait été incapable d'apprendre à sans servir. Usant de beaucoup d'artefact pour pouvoir compenser son handicap, elle s'était mis en tête qu'il était de son devoir de permettre à d'autre d'user de ses artefacts.
Toutefois, dans les barges, il était facile de remplir suffisamment de gemme, car ceux qui en avaient besoin était si rare que chaque barge avait même une certaine réserve de gemme remplie qui ferait pâlir de jalousie la plupart des contrées du continent. Mais dans l'empire, il ne devrait pas être possible de trouver autant de germes fonctionnels équiper sur des artefacts non essentiels. Comment était-ce possible qu'un empire avec si peu de mage puis produire autant de gemmes ?
Ilona n'arrivait pas à comprendre. Une désagréable sensation lui fit porter la main au collier qui lui entravait sa magie. Elle y caressa une de ses fameuses gemmes. Quel était le rôle de ces gemmes dans le mécanisme qui lui bloquait l'accès à ses pouvoirs ? Thalgarion les avaient changées quand il l'avait sorti de la cage. Cela signifiait sûrement que le collier avait utilisé toute la magie des gemmes pour contrer ses pouvoirs, qu'elles étaient vides et qu'il les avait remplacées par des gemmes pleines. Mais si c'était l'inverse ?
L'horrible sensation qu'elle avait ressenti quand elle avait essayé d'utiliser ses pouvoirs lui revient en mémoire. Elle n'avait pas eu l'impression d'être coupé de son pouvoir, qu'elle n'y avait plus accès. Non, elle avait eu presque l'impression que l'on aspirait son pouvoir destiné à son chant. Elle se rappela l'étrange fatigue maladive qui s'était abattu sur elle durant la première semaine de captivité. Elle l'avait mis sur le compte d'un état dépressif dut à son enfermement. Elle avait été si dévaster, si triste et accablé que ce n'était pas étonnant qu'elle se soit sentie faible et fatiguée. Mais en oubliant cela, ce qu'elle avait ressenti était semblable au mal qui l'avait atteint vers ses dix ans. Ce n'était pas une maladie rare pour chez les jeunes mages et la plupart du temps, ce n'était pas dangereux. Cela arrivait majoritairement durant la puberté et les symptômes était de la fièvre et de la fatigue avec une incapacité à contrôler ses pouvoirs soit à cause d'une soudaine carence soit par une overdose de magie. Cette maladie vient d'un dérèglement des pouvoirs qui sont en train de se développer. On la compare souvent aux douleurs provoquées par une croissance trop rapide ou aux pertes de voix dû à la mue.
Ilona avait connu cette maladie durant ces deux phases, la carence et l'overdose. Et c'est pour cela qu'elle connaissait la sensation de la carence. Et cela ressemblé à s'y méprendre à ce qu'elle avait ressenti durant la première semaine d'emprisonnement. Une immense fatigue, des migraines, des douleurs tout le long du corps et une immense sensation de vide.
À cette pensée, Ilona est traversée par des frissons malgré la douce chaleur de l'eau.
— Vous allez bien mademoiselle ?
La douce voix de la femme fait sortir la jeune fille de ses sombres pensées. Elle fit un sourire forcé et d'une voix faussement calme, elle répliqua :
— C'est juste que je pense à ce qu'il m'attend à l'institut.
La femme posa sur elle un regard compatissant, mais Ilona n'était pas dupe. Bien que la femme puisse compatir, elle n'en pensait pas moins que l'institut ne pouvait lui faire que du bien. Elles avaient déjà eu cette conversation. Et la femme, malgré son propre statut d'esclave de bas rang, était persuadé que pour la fille de la mer, l'institut était une rare occasion de devenir meilleure.
Avec Althar, la femme était la seule personne qu'Ilona appréciait en ces lieux. Ce n'est pas pour autant que la jeune fille ne voyait pas l'évidence ; la femme était le produit pur de la culture de l'empire zhikerhote, bien plus qu'Althar. Cet empire qui n'avait que fait souffrir la femme depuis sa naissance, qui l'avait contraint à la servitude dès qu'elle avait vu le jour, car elle était née du mauvais ventre, qui l'avait privé d'une mère, d'une famille pour l'élever comme on élèverait du bétail. Et cela n'empêchait pas que la femme aime son pays, son peuple, et de penser que l'empire zhikerhote est la plus grande civilisation qu'il soit. Ilona la comprenait. Elle comprenait que si cette femme n'avait pas ce dévouement absolu, elle se rendrait compte que sa servitude, son dévouement, son esclavage et sa vie finalement n'avaient pas de sens. Penser autrement ferait sûrement énormément souffrir la femme et elle ne pourrait plus vivre en tant qu'esclave. Si elle acceptait seulement le fait que d'autre civilisation pouvait être aussi grande que la sienne sans pour autant utiliser des esclaves, ce serait admettre que sa vie de souffrance avait été inutile et insignifiante. Et parfois, il était plus confortable, moins douloureux de rester dans son système de pensées, de croire que tout était pour le mieux, se leurrait soi-même, plutôt que de voir une autre réalité, une autre vérité. La femme souffrait moins en pensant que sa condition était normale et nécessaire pour la grandeur d'un empire plutôt que savoir que c'était quelque chose d'intolérable et de contre-nature.
Ilona comprenait et compatissait, mais elle ne pouvait l'accepter. Elle ne voulait pas de devenir comme cette femme, l'ombre d'elle, forcer d'exister pour le confort des autres sans pouvoir vivre réellement.
La femme remarqua bien qu'Ilona ne faisait que semblant d'aller bien. En tant qu'esclave formée aux services, elle se devait de comprendre rapidement les états d'âme de ceux qu'elles devaient servir. Elle n'était peut-être pas instruite, mais elle était très intuitive. Elle savait qu'elle ne pourrait pas réconforter la jeune fille en essayant de lui faire comprendre que l'institut était ce qui avait de mieux pour elle. Elle se serait nourrie, blanchie et formée pour devenir une izare. En tant qu'esclave du manoir d'Astremer depuis son enfance, elle savait ce que c'était un izar et elle savait que c'était bien mieux qu'un simple statut d'esclave. Mais la jeune fille était encore leurrée par les idioties que son peuple lui avait mises dans la tête. Alors, pour mieux la réconforter, la femme choisit de lui changer les idées, de lui proposer d'utiliser les différents artefacts de la salle d'eau.
Étrangement, cela produit l'effet inverse. Au lieu de lui de la détendre, la jeune fille devient de plus en plus agitée, essayant de lui faire comprendre avec beaucoup de gentillesse qu'elle ne souhaitait surtout pas user de plus d'artefact que nécessaire. L'agitation de la jeune fille laissa l'esclave perplexe. La femme avait l'habitude de s'occuper des invités de moindre importance au manoir, ou même certains employés. Elle avait toujours pu constater que les aménagements de la salle d'eau apaisaient et dépendaient même les plus nerveux.
Toutefois, son devoir était de prendre soin au mieux d'Ilona, elle fit donc de son mieux pour aller dans son sens et limité les artefacts, utilisant juste ce nécessaire pour mettre en beauté la jeune fille. Il lui fallut une bonne heure pour finir son œuvre. Et bien que la peau sombre de la jeune fille soit très éloigné des standards de beauté, la femme était fière de son œuvre.
De son côté, Ilona se sentait extrêmement mal à l'aise. Elle était à présent vêtue d'une longue robe aussi magnifique qu'inconfortable et encombrante. Le vêtement était sans nul doute de première facture, le velours jaune magiquement était brodé de fil émeraude et de perle de jade. Et les longues manches encombrantes ce terminé par une fine et délicate dentelle. Le corset qui lui dessinait la taille mettait en valeur ses douces formes, mais surtout l'empêché de respirer correctement.
Mais la femme ne s'était pas contentée de la vêtir. Elle l'avait grimé avec de lourde couche de poudre et de crème blanchissante. Cette veine tentative de dissimuler la belle couleur ébène de la jeune fille, n'avait fait que lui donner une teinte grise et maladive. Il serait toutefois de mauvaise grâce de ne pas accorder à la femme qu'elle avait su mettre en valeur le regard vert de la femme d'une manière que nul n'avait réussi jusqu'à lors. Ilona avait à présent un regard hypnotique.
Une fois vêtue et maquillée, elle avait été coiffée par les habiles mains de la femme qui n'avait pu s'empêcher de s'émerveillé sur sa chevelure bien qu'elle fut trop courte. Ses beaux cheveux noirs à peine ondulés et d'un éclat bleu magnifique feraient des jalouses chez les femmes de la cour. Pour cacher la courte taille des cheveux tout en les mettant en valeur, la femme finit une magnifique coiffure à l'aide de rajout et de tissus.
Et pour finir son œuvre, la femme l'avait couvert de divers bijoux et accessoire. Collier, bracelet, boucles d'oreilles, diverse attache. Malgré le nombre, la femme l'avait fait avec suffisamment de gout pour qu'on ne remarque à peine leur présence, mais qu'il l'embellisse.
Cependant, jamais la jeune fille ne s'était senti aussi mal vêtu. Il serait faux de dire qu'elle était laide. D'un point de vue objectif, elle était peut-être aussi belle que certaine peinture de déesse qu'elle avait vu dans des livres. Mais elle ne se trouvait pas belle. La jeune femme qu'elle observait dans le miroir ne lui ressemblait pas. Cette vision lui créait un grand malaise.
Ainsi parée, la femme la mena à la grande salle à manger qui l'avait accueillie à son arrivée ici, avant que tous les malheurs n'arrivent. Cette même salle qui lui avait semblé si grandiose et magnifique, lui paraissait à présent bien moins resplendissante, plus sombre et dangereuse. Derrière cette beauté apparente, il existait une menace qu'elle connaissait bien à présent.
Les quelques pas qu'elle fit dans cette salle sous le regard de Thalgarion qui était déjà attablé avec ses convives, la mire dans un état de détresse qu'elle eut du mal à cacher. Elle se tenait dans l'endroit dans lequel elle s'était tenue en femme libre pour la dernière fois. Elle serra les poings, remerciant pour la première fois ces longs manches encombrantes de les dissimuler. Elle sentait ses jambes flageoler, mais elle prit une discrète bouffée d'air frais et continua d'avancer, en ne laissant rien supposer de son trouble intérieur.
Thalgarion, grand sourire, se leva pour l'accueillir, forçant tous les autres convives à en faire de même.
— Jeune fille ! Approche donc et viens t'assoir, nous n'attendions plus que toi.
Il n'y avait pas de reproche dans la voix de l'élu, juste une joie sincère. Dans un mouvement chaleureux, il lui désigna la place à sa gauche. Ilona frissonna, pas certaine de pouvoir réellement manger au côté de l'élu devant les autres convives. Certes, elle avait déjà mangé à plusieurs reprises avec Thalgarion, mais elle savait également grâce aux leçons d'Althar que cela était un honneur incommensurable, bien qu'elle ne le ressente pas ainsi. Mais il était encore plus honorable d'être invité à manger directement à ses côtés en public. Et elle savait par ailleurs que le proposer à une étrangère comme elle, pas encore izare, cela ne s'était jamais vu. Elle n'appréciait pas que l'élu montre au reste du monde, l'importance qu'elle avait à ses yeux. Cela rendait les choses plus réelles bien qu'elle ne soit pas réciproque.
De plus, elle allait devoir manger en face de Roan. L'izar n'avait guère changé son regard vis-à-vis d'elle au cours de la semaine. Par contre, plus le temps passé, plus Ilona se sentait mal à l'aise en sa présence. Il était ce qu'elle risquait de devenir si elle n'arrivait pas à fuir. Elle oublierait ses origines et ses convictions pour vivre en dépendance de l'affection de Thalgarion. Le repas allé être long.
Autour de la table, tous les regards la suivirent avec une curiosité. Le seul autre convive qu'elle reconnut était Althar qui la regardait avec compassion. Elle lui rendit son sourire et alla se placer à la place qui lui avait été désignée, dissimulant au mieux, son malaise grandissant. Quand elle fut enfin à ses côtés, Thalgarion lui fit un sourire appréciateur. Il appréciait qu'elle face l'effort de caché ses émotions, elle qui pourtant les affichait toujours sans honte. Enfin, il s'assit, invitant tout le monde à le suivre.
Le repas parut une éternité à la jeune fille. La profusion de nourriture n'arrangea pas son malaise. Comment pouvait-on ingurgiter autant de nourriture sans s'en rendre malade ? Comment l'on pouvait manger autant, laissant d'autant plus de reste quand l'on savait que plus loin derrière les remparts, des gens mourraient de faim ? Seules les deux premières entrées aurait suffi à nourrir Ilona habituer à des repas simples. Elle prit la troisième entrée pour le premier plat, avant de comprendre que ce repas était un festin traditionnel et qu'il y aurait trois entrées, trois plats et trois desserts.
Même les nombreuses conversations fusant autour de la table, ne parvenait pas à rendre le temps moins long. Le seul convive à rester mué était Roan, qui semblait apprécier aussi peu de monde qu'aussi peu de monde l'appréciait. Ilona était au premier rang pour écouter les conversations passionnantes entre l'élu et son maître scribe. Les deux essayaient d'inclure la fille de la mer dans leur conversation diverse, mais cette dernière, si elle répondait à chaque question, le faisait de la manière la plus sobre et rapide.
Puis, enfin, après de si longues heures à ne pas se sentir à sa place, à avoir de sombre pensée, l'on apporta les trois desserts dans une seule et magnifique assiette qui arriva devant chaque convive dans des applaudissements. Althar se permit d'expliquer discrètement à Ilona, que c'était trois desserts très rares et couteux, car les ingrédients de ses mets venaient de contrées en dehors de l'empire, pour certaine d'île. Il était encore plus rare de trouver ces trois desserts servis en même temps.
Ilona les dégusta avec une sincère curiosité, il était rare de manger des desserts sur les barges. Cela ne faisait pas partie de la culture du peuple de la mer, qui manger bien des fruits, mais rare préparé dans des préparations sucrées, et pas forcément en fin de repas. Ce fut un véritable délice, elle devait l'admettre. C'était une explosion de saveur et d'odeur inconnue qui durant un court instant lui fit oublier ses malheurs, les lieux funestes dans lequel elle se trouvait, les personnes pour la plupart détestable qui lui tenait compagnie. Cependant, bien qu'elle appréciât grandement sa découverte, elle ne put s'empêcher de trouver ces mets trop sucrés, elle qui n'avait pas l'habitude des desserts.
Alors que le repas touchait à sa fin, Ilona avait tant mangé, qu'elle en était somnolente. Le doux breuvage sûrement trop alcoolisé pour elle ne l'aider pas à la garder concentrée. Pour autant, elle continuait à porter sa coupe à ses lèvres, les yeux dans le vague, n'entendant plus les discussions autours d'elle. Elle ne remarqua pas non plus le silence qui s'était fait à la demande de l'élu.
Par contre, la voix grave et autoritaire de ce dernier la ramena dans la réalité en un seul mot :
— Ilona.
Il l'avait prononcé avec un ton solennel, mais l'on pouvait percevoir, cette point de ton paternel qui utilisait habituellement pour s'adresser à elle.
— Je tiens à dire à tous autour de cette table, que je ne doute pas que tu feras une excellente izare. Vive d'esprit, plus cultivé que nombreux ici présent, tu as tout pour être ma conseillère. Tu parles plusieurs langues, tu as des nombreuses connaissances très générales et fort utiles pour une cité portuaire comme notre grande cité d'Astremer, tu es intelligente et tu n'hésites pas à donner ton avis. Je ne doute pas qu'une fois éduquée, formée et débarrassée de toutes ses idées impures qui t'ont été inculquées durant ton enfance, tu seconderas Roan parfaitement et que très vite, tu seras l'une des meilleures izare qu'il soit. Je lève donc un toast à ta formation, puisse-t-elle te ramener auprès de moi meilleure que tu ne l'es.
Ilona trop fatiguée pour réagir, regardé Thalgarion avec de grands yeux. Elle était trop étourdie pour être en colère, mais dans la brume, elle se sentit révolter. Pourtant, tous autours de la table levèrent leur verre avec joie, y comprit Althar. Elle se sentit trahie. Pour montrer son désaccord, elle posa sa coupe encore à moitié pleine devant elle bien décider à ne pas porter ce toast.
Mais l'élu n'avez toujours pas fini, car après avoir bu une gorgée, il se tourna vers elle. Il la regarda légèrement désolée, son ton perdu toute solennité pour devenir uniquement paternel :
— Jeune fille, j'apprécie énormément ta liberté, ta vivacité et ta force d'esprit.
Cette simple phrase provoqua des frissons à Ilona.
— J'aurais aimé faire ce voyage à tes côtés, je suis sûre que ta compagnie aurait été agréable et passionnante. Cependant, je dois regretter que tu sois si résistante à vouloir te tenir à mes côtés de ton propre chef. Si j'avais eu la certitude que tu te rendais à l'institut sans protester, je n'aurais pas eu à employer de tel moyen. Mais j'espère que tu comprendras que je mette toutes les chances de mon côté.
Ilona comprit que quelque chose n'allait pas. Elle se redressa soudainement, un vertige la saisit. Mais il était trop tard et elle s'écroula dans les bras de Thalgarion qui la rattrapa avec douceur. Elle dormait déjà d'un profond sommeil sans rêve.
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