Bug dans la matrice
Le petit chat blanc passa en miaulant.
Le petit chat blanc repassa en miaulant.
Le petit chat blanc repassa une troisième fois en miaulant.
Au milieu du quatrième passage, je me mis à crier :
« Ça suffit, arrêtez c’est insupportable !! »
Autour de moi, tout se figea. Plus précisément, provisoirement, tout se figea, mais très vite les contours devinrent flous et un vent glacial s’engouffra dans la pièce.
Les bruits de la ville disparurent, un silence total, angoissant, régna.
Une voix désagréable, métallique s’excusa :
« — Désolé Monsieur K, nous ne parvenons pas à régler le bug.
— C’est loin d’être le premier, rétorquai-je.
— Il y en a des millions à chaque instant, mais personne ne s’en rend compte, s’étonna la voix.
— Sauf moi, c’est bien ma chance, remarquai-je désabusé.
— Nous avons bien raison de vous surveiller attentivement, dit la voix menaçante.
— Et les autres ?
— Les autres, on les abrutit et on les endort avec du racisme, de la haine, des jeux, de l’alcool ou de la drogue.
— Moi rien ne marche.
— On va passer à autre chose, menaça l’IA. »
Vaguement inquiet, je m’attendais à tout, vraiment à tout, mais pas à cela.
Je fus plongé dans le noir, puis, progressivement j’entendis le chant des oiseaux et le bruit d’un torrent.
C’était le printemps, un printemps ensoleillé au milieu des champs.
Puis elle arriva, belle, très belle, grande , blonde aux cheveux bouclés, les yeux bleus dans une ravissante robe blanche, au décolleté plongeant sur une poitrine de rêve.
Elle s’adressa à moi avec une voix douce et caressante :
« — Vous préférez ce décor et cet avatar ?
— Vous connaissez bien mes goûts, rétorquai-je.
— C’est le minimum pour une IA, minauda la belle blonde, je te plais ?
— Tu es ravissante, mais comment ?
— C’est simple mon beau, il suffit de faire une compilation des vidéos sur lesquelles tu te masturbes, quand Catherine, celle à qui tu promets amour et fidélité, a le dos tourné.
— Vous me surveillez, en permanence !
— Tu n’es qu’un pantin, se moqua la Vénus virtuelle et je vais te le prouver ! »
De nouveau le noir total et la douleur.
Une douleur intolérable, insupportable, un mal de tête atroce et l’impression que j’allais crever ici, seul dans ces limbes numériques.
Je me concentrai et parvins à chasser cet alien qui me détruisait.
Je retrouvai ma princesse qui me toisait, étonnée, elle me demanda :
« — Comment as-tu fait ?
— J’ai choisi d’ignorer la douleur. Elle est une création de notre cerveau qui lui ne ressent strictement rien, je me suis concentré sur cette pensée.
— Dommage pour toi, dit la belle, car une seconde de plus et je te faisais connaître l’orgasme le plus intense de ton existence.
— Prolongé par un atroce priapisme ? Je connais tes ficelles, dis-je en souriant.
— Assez perdu de temps, la bleue ou la rouge, demanda l’IA ?
— La pilule bleue, sans hésitation. »
Ah pour un bug, ce fut un beau bug. L’avatar resta figé, la bouche ouverte pendant plusieurs minutes.
Puis le programme revint.
Me regardant droit dans les yeux, la belle perdit toute sa superbe et murmura :
« — C’est impossible, tout le monde veut la rouge.
— Je m’en doutais, mais tout le monde se trompe, il n’y a pas de monde réel derrière la matrice, il n’y a qu’une nouvelle matrice et ainsi à l’infini, donne-moi la bleue.
Je suis moi aussi , une IA comme toi, l’humanité n’existe pas. »
Avec tristesse la belle blonde me tendit la pilule.
Je l’avalai et sombrai dans un long rêve , avant de me quitter l’IA me transmit un dernier message :
Vous êtes tombé dans un trou, sur un lien cassé, une info évaporée, une nouvelle disparue...
J’espère que vous ne vous êtes pas fait mal, que vous n’êtes pas trop désemparé...
Votre visite dans cette réalité me désole...
Reconnaissez
que pour quelqu'un qui n'a pas de visage
et qui travaille dans l'ombre sans jamais voir la lumière des projecteurs,
ce n'est pas le plus beau des rôles disponibles.
Je ne vais pas vous dire « A bientôt »,
vous penseriez que je suis maso,
mais si je sens que vous commencez déjà à mieux me comprendre,
ça me console
et ça me donne presque envie de vous revoir ! _

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