Prologue 1.2

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Marcus n’en menait pas large dans ce dédale vert, la peur le suivait. Derrière chaque arbre, chaque fouré pouvait se tenir un adversaire encore en vie. Un hunni ou germains capable de lui faire rejoindre l'au-delà. La tâche ne devait d’ailleurs pas être bien dure.

Quand Marcus rallia un fin cours d’eau qui divisait le bois, il ne put tenir tête plus longtemps et s’y précipita. Un spectacle pathétique. Il se trouva vite juste à côté du flot cristallin qui capturait son regard de manière hypnotique.

Le romain trempa sa patte dans le courant froid. Une chair de poule balaya le malheureux qui nettoyait sa plaie comme il pouvait. La bile dans sa bouche ne demandait qu'à être expulsée.

Il lui fallait laver sa blessure, le hunni avait tranché profondément et la corruption du corps le guettait.

Sa survie témoignait du miracle, il le savait bien.

La morsure glaciale coupa de manière salvatrice le feu intérieur qui le déchirait. Marcus appréciait le réconfort inespéré que représentait le ruisseau. Mais ce point d’eau n’avait pas attiré que des bêtes estropiées ou égarées. Les prédateurs en embuscade avaient attendu le moment propice pour agir et se firent connaître en sortant de leur cachette.

Cela commença par une branche qui craqua. Quand Marcus releva le regard, il vit trois cavaliers remonter la rivière. Les chevaux petits et trapus allaient de pair avec leurs maîtres. Les trois hunni affichaient plus un air de chien battu que celui de redoutable guerrier. Une résignation certaine se lisait sur leurs visages.

Le premier d’entre eux, leur meneur, avait des têtes sanguinolentes qui pendaient à sa selle. Noué avec leurs longs cheveux bruns ou blonds. Contrairement à ses deux frères de horde, le nomade avait une armure lamellaire. Les plaques rivetées d’acier en partie détachées n'avaient pas fière allure. Enfin, plus que les crânes de ses adversaires qui servaient dorénavant de trophée à ce redoutable guerrier.

Marcus connaissait leurs talents martiaux. Il avait bataillé avec eux, avait lutté contre eux. Son dernier rival aussi diminué que lui avait laissé sa marque. Ce n’était non plus un, mais trois hunni qui se trouvaient face à lui.

Le romain se redressa. Le premier cavalier le désignait de sa lance, cela n’avait pas d’importance. Marcus souffla, il serrait sa spatha pour ce qui devait s'apparenter à son ultime combat. Son visage impassible narguait les prédateurs de l’est. Il ne pouvait que recommander son âme au moment où il allait gagner les portes de Saint-Pierre. Pour le reste, Marcus s’en remettait au destin.

Si son heure était venue, il allait affronter ses adversaires de toutes ses forces. Il n’avait pas la force de fuir de toute manière et allait tenir sa position avec courage et honneur.

Les trois nomades remontèrent la rivière en slalomant entre les arbres. Les agiles bêtes ne s’offusquaient pas des terrains difficiles. Elles couvraient la distance en un rien de temps.

Marcus agrippait son épée à deux mains, il arma son prochain et ultime coup en retenant sa respiration.

Ils se rapprochaient.

Ils venaient toujours plus.

Plus que quelques mètres.

Un bruit sec résonna.

Marcus sursauta. Le premier hunni atteint par une flèche vida sa selle en tombant au sol. Son camarade à proximité fit cabrer sa monture, mais en un battement de cil deux traits se fichèrent dans son torse.

Le dernier injuria dans sa langue gutturale le romain et tenta de fuir. Plusieurs projectiles le touchèrent au dos et son cheval l’emporta en galopant.

L’action laissa pantois Marcus, il abaissa sa spatha qui n’avait, semble-t-il, plus son utilité. La lutte si sanglante annoncée venait de tourner court en un instant.

Le sol tremblait, un autre groupe de cavaliers se portait à la rencontre du romain. Marcus rengaine enfin son épée. L’amalgame de guerriers qui avait fait son apparition calmait leurs montures en tournant autour de lui. Ces barbares ressembleraient à ceux de la horde d’Attila, à ceci prêt qu’il endossait des tenues rouges. L’un d’eux affichait encore l’insigne de son unité, ça signa dracorum romaine avait fière allure ainsi brandie.

La hampe voyait se fixer à son sommet une tête monstrueuse en bronze évoquant un dragon la gueule ouverte. L’air s’engouffrait dans le tissu accroché au métal en s’agitant, le son qui s’en échappait s'apparentait au sifflement de quelque reptile.

Marcus s'apaisait, les hommes face à lui composaient les fédérés de sa troupe.

Les guerriers firent place en guidant les bêtes par leurs rênes. Une figure qui avait mis pied à terre se portait à la rencontre de Marcus le sourire aux lèvres.

Il revêtait une armure d’écaille et un casque avec sa crête d’acier dorénavant emblématique de successeurs des puissantes légions d’antan. Sa barbe, héritage de sa moitié franc bien intégré, était reconnaissable au premier regard. Toutefois, il restait le plus romanisé des foederati qui se présentaient à lui.

Le centenarii Faramund paraissait apaisé malgré le pathétique aspect du Dux Vilius. Il serra le bras que tendait Marcus d’une poigne virile.

— On a aperçu du mouvement vers la forêt, alors on est venu fouiner. Je n'en étais pas sûr jusqu'à ce que ces maudits hunni ne fondent sur toi.

Faramund affichait son soulagement, l’air décontracté et heureux.

— Je ne pensais pas te revoir Marcus.

— Et moi donc, ce fut le chaos…

— Un combat digne des Césars !

Marcus se tenait à son officier, une main sur son épaule plus juste par joie, mais par simple besoin de soutien. Son dernier affrontement lui avait enlevé le peu de force qui lui restait. Le centenarii le vit facilement.

— Goard ! lança-t-il à l'un de ses cavaliers.

Le fédéré jeta son outre que son supérieur saisit à la volée avant de s’empresser de la déboucher. Marcus commença à boire d’une traite, oubliant la nature même du breuvage. Les effluves du vin chatouillèrent ses narines et son goût âcre surpassait la gorge irritée du guerrier qui manqua de s’étouffer.

Il rendit le restant de vin à Faramund en essuyant gauchement le liquide encore présent sur la commissure de ses lèvres.

— Alors, ça ta remit d’aplomb on dirait.

— Pour sûr mon ami.

Marcus avait rarement été aussi familier avec l’un de ses hommes durant un affrontement.

— Comment s’est déroulée la bataille ?

— Le Seigneur nous a guidés. Les Wisigoths ont réussi à capturer la colline sur notre flanc droit et Aethius a fait donner la cavalerie et les Alains sur le centre. On les a salement étrillés.

Faramund savourait le récit des exploits de la journée, la chose adoptait un ton comique avec le lourd accent germanique dans son latin.

— Cependant le roi Théodoric est mort. On m’a dit qu’Aetius discutait avec ses deux rejetons.

— Aetius? Marcus tiqua face à cela. Il est en vie ?

La nouvelle ralluma le feu intérieur du romain.

— Pour sûr qu’il l’est, il ne s’est pas arrêté un seul instant.

— Tout n’est pas perdu dans ce cas, il faut aller le rejoindre.

Faramund soucieux grinçait des dents.

— Tes blessures, tu es sûr de pouvoir...

— Ça ira.

Le ton du Dux Vilius se voyait ferme.

— Bien si tu le dis. Prends donc la monture de Malaric. Il n’en aura plus besoin.

L'un des cavaliers amena l’animal en question quand Faramund fit claquer ses doigts. La selle de la bête se trouvait encore orpheline de son ancien propriétaire. Marcus secondé grimpa tant bien que mal sur le cheval robuste. Une fois cela accompli, Faramund l'imita avant de se porter aux côtés du romain.

— Le magister millitum a poussé son avantage jusqu’au train de bagage de ce maudit Attila. Avec un peu de chance, on arrivera avant la fin des réjouissances.

— Pas de repos pour les braves, rallions le magister millitum !

— Oui ! firent en cœur les guerriers autour de Marcus

Les cavaliers partirent au trot pour ménager les chevaux, mais surtout le Dux mal en point qui les dirigeaient. La nuit ne devenait que plus sombre. Le destin de l'Empire et de Marcus Vilius bien incertain dépendait de cette nuit ô combien cruciale.




Note :


- Signa dracorum : Le draco ou signa dracorum est un enseigne tardif de l’armée romaine.  L’iconographie et les quelques exemplaires retrouvés montrent une assez grande variété dans les formes, avec certaines têtes ayant des traits reptiliens ou canins, tandis que d’autres mélangent plusieurs animaux. Les premières occurrences dans l’armée romaine les montrent en effet comme enseignes de cataphractaires auxiliaires sarmates.


- Foederati : Ce terme désigne les peuples fédérés qui sont pour l'Empire romain des groupes de population ayant passé un traité d'alliance ou de soumission aussi nommé fœdus pour vivre au sein des frontières de Rome.


- Centenarii : Au V ème siècle, le titre de centurions a disparu dans l’armée romaine, le grade de centenarii est l’un de ses pendants durant l’époque du Bas-Empire romain.


- Dux : Le titre de Dux est donné aux chefs romains tardifs. Avec celui de comes ils forment les origines des titres de duc et comtes du moyen âge.


- Wisigoths et Alains : Peuplades originaires pour l’un des bords de la mer noire et pour le second de la Scythie. Leur période de migrations les mena à l’Empire d’orient puis d’Occident.

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