Chapitre 2 2/3

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Pourquoi les nains vivent-ils sous terre ? C'est une question que les hommes se sont souvent posés. La réponse est une conjonction de plusieurs facteurs, dont certains ne sont même plus d'actualité aujourd'hui.

Tout d'abord, les nains sont d'incroyables creuseurs. Ils sillonnent la terre en quête de minerais et de gemmes, qui approvisionnent leur artisanat et entretiennent le commerce dont ils sont majoritairement dépendants. On dit que les plus expérimentés des Têtes-de-Pioches (tel est le nom qu'ils donnent à leurs mineurs) seraient même capable de renifler l'emplacement des bons filons et des poches de gaz si mortelles.

Ensuite vient la fréquentation de leurs cités. Grâce au gradient géothermique, les nains s'installent toujours à une profondeur telle que la température se situe aux alentours d'une quinzaine de degrés Celsius. Ainsi, tous les peuples modernes peuvent entrer et demeurer assez longtemps dans leurs villes, même les frileux Dunes, et les elfes des Terres-Sans-Soleil.

Pourtant, si l'on examine ces arguments d'un point de vue chronologique, ils ne peuvent justifier la présence des nains sous terre. À l'époque où ils étaient encore isolés et inconnus du reste du monde, et qu'ils ne connaissaient pas encore les propriétés du fer, ils demeuraient déjà dans leurs profondes cavernes.

La réponse - bien que partielle - provient d'un ancien manuscrit entreposé dans la bibliothèque de Grand'Arch. J'y ai retrouvé la mention d'un ancien mal qui touchait autrefois tout nain qui s'aventurait hors de sa tanière et s'exposait au ciel. Aucune description n'est faite de cette maladie de l'esprit, hormis son nom à moitié évocateur : la Torpeur.

Elbert Fortz, "Bulletin sur les nains"

 Cela faisait moins d'un mois que Thrill avait trouvé et recueilli cet étrange enfant dans les catacombes et de singuliers événements étaient survenus depuis.

 À Grand'Arch, chaque semaine apportait son lot de fantaisies. Les langues qui les colportaient y associaient souvent des termes comme "magique" ou "volonté divine".

 Thrill ne croyait pas aux phénomènes surnaturels, dont la seule compréhension se voulait hors de portée du commun des mortels. Mais face aux récents événements, il avouait ne rien comprendre et doutait que quiconque y parvienne.

 Il y a huit jours, un mur était apparu. Gigantesque et parfaitement rectangulaire, tranchant Grand'Arch en deux, du sol au plafond rocheux. Thrill l'avait vu, et avait constaté l'originalité de la structure. Il était composé de terre et de pierre, comme on en trouve en creusant le sol, et le seul fait qu'il tienne en place tenait du miracle. Tous les éléments qui auraient dû en dépasser présentaient une face parfaitement lisse, comme si l'on avait découpé une large bande de terrain et qu'on l'avait posée là.

 Des attroupements s'étaient formés. Des questions avaient fusé. Qu'était-il arrivé aux personnes de l'autre côté ? Certaines avaient tenté de creuser, sans résultat.

 Puis à peine une heure après son apparition, le mur s'était volatilisé. Disparu, pas même une trace sur le sol.

 Quelles que fussent les causes de ces anomalies, certains superstitieux avaient sauté sur l'occasion pour descendre dans les rues, prêcher leurs croyances et sustenter quelques dieux en colère.

 C'est à cela que Thrill pensait, lors de sa pause pendant son travail à l'Archium, les archives tant réputées de Grand'Arch.

 Il classait, organisait et rangeait le contenu des vastes étagères en marbre taillées. Sur celles-ci ne se trouvaient pas des livres et des parchemins, mais des gemnésites. De l'ambre, du jais, de la nacre, tous infusés d'évènements qui apportaient quelques gloires à leur propriétaire.

 Il était tranquillement assis en train de ressasser ses pensées, lorsqu'un qu'il connaissait s'assit en face de lui.

  • Tu as entendu la nouvelle ?
  • Des nouvelles, il n'y a que ça en ce moment, maugréa Thrill.
  • Allons, cesse de geindre. Le prophète, enfin, le devin, ou je ne sais comment ils l'appellent... Tu n'es pas au courant ?
  • Depuis quand est-ce que tu te préoccupes des prédictions funestes des elfes, Khordan ?
  • Ah, donc tu en as entendu parler. Quand même, c'est inquiétant. Par le passé, certaines de leurs prédictions se sont produites.
  • Oui, oui, continua-t-il à maugréer. Le ciel de poussière, les ombres filantes... Et après ? Combien ne se sont jamais produites ?
  • Dans tous les cas, ça inquiète les gens...
  • Et dis-moi, qu'est-ce qui n'inquiète pas les gens ?
  • Le mur, et tout ça, ça ne fait que quelques semaines que ça dure et le commerce en a déjà pris un sérieux coup dans les lampions, continua Khordan sans faire attention à l'interruption. Et puis, il y a tous ces illuminés dans les rues. Admets qu'on a connu mieux, comme ambiance.
  • Ça va se dissiper, tu verras. Ça se dissipe toujours. Il suffit d'être patient.

 Khordan renifla un grand coup, jeta un rapide coup d'oeil autour de lui, puis approcha sa tête de Thrill. Il baissa d'un ton.

  • Pas cette fois. Ces... bizarreries... vont peut-être avoir des conséquences plus graves que tu ne le penses. Là-haut, à Dessus-le-Trou, il y a un chariot qui est passé à travers un pont. Oui, oui, à travers le pont te dis-je, comme dans de l'eau, répéta-t-il en réponse au haussement de sourcils de Thrill. Le pont est intact, mais le pauvre bougre qui le conduisait a fini en bouillie pour raton.
  • Et alors ? Les accidents, ça arrive.
  • Oui, répondit Khordan en abaissant encore sa voix. Mais les humains là-haut, ils en ont profité et se sont jetés sur les restes de la carriole comme des vautours affamés. La cargaison a entièrement disparu.
  • Mais... qu'est-ce qu'il y avait, dans cette carriole ?
  • J'en sais rien, moi, répondit Khordan en haussant les épaules et en portant sa chopine aux lèvres.

 Thrill attendit patiemment qu'il reprenne. Il savait que Khordan aimait bien faire monter le suspens, et il ne voulait pas lui faire le plaisir d'y réagir.

  • Le roi est très en colère. Le spectacle, continua-t-il en hésitant sur ce mot, a été vu par quelques voyageurs. La route est principalement utilisée par le clan Grommond. Ils exportent de la vaisselle, des armes et des vêtements, à ces barbares de dune, là-bas à l'ouest, vers le zénith, dit-il en agitant la main.
  • Abrège, l'interrompit Thrill.
  • Le clan Grommond, comme tu le sais, est le clan d'origine de la reine, et son frère, le beau-frère du roi, fait pression sur lui pour engager une réponse contre ce pillage. Ça fait longtemps que Dessus-le-Trou ternit l'image de Grand'Arch. Ça nuit au commerce, c'est donc le prétexte rêvé pour agir. Puis, valait mieux ça que de laisser la rumeur d'une route maudite se répandre. La superstition est à la mode, en ce moment, ç'aurait été encore pire.
  • C'est quand même un peu exagéré comme réaction, pour une simple carriole, tu ne trouves pas ?
  • Peux-être. Mais, va savoir, elle contenait peut-être quelque chose de précieux.

 Thrill resta un instant silencieux. Les deux nains en profitèrent pour boire une gorgée, puis il reprit.

  • Mais, pourquoi est-ce que tu me racontes ça ?
  • Oh, toi alors. Si l'on t'écoutait, personne ne devrait parler avec personne s'il n'y a pas nécessité ! Je voulais simplement discuter.

 Thrill n'y croyait qu'à moitié. Il connaissait Khordan depuis longtemps, et avait fini par comprendre qu'il ne révélait jamais ce qu'il savait par simple amitié. Il n'eut pas longtemps à attendre.

  • En parlant de ça, reprit Khordan d'une voix désintéressée, il paraît que toi, mon collègue le grand taciturne, tu as passé un agréable moment arrosé avec le garde de la nécropole. Les morts auraient-ils éveillé en toi le besoin de te faire des amis ?

 Thrill lui adressa un regard noir.

  • Fait attention aux bizarreries, lui répondit-il en se levant, il y en a une qui pourrait très bien amener mon poing sur ta face de chèvre des grottes, un de ces jours.
  • Allons Thrill ! Je ne voulais pas te vexer !

 Mais il ne se retourna pas, et s'éloigna vers la sortie de l'Archium. Il dépassa les grandes colonnades, descendit les escaliers avec entrain, puis se dirigea vers le quartier des habitations.

 Plus loin, un nain vêtu d'une simple robe de jute scandait quelques paroles fielleuses, cerclé d'un attroupement de badauds.

  • Fils des Roches ! Une tempête approche, apportée par ceux-d'en-haut ! Voyez notre foyer, la Pierre qui nous a hébergé depuis tant de temps, relégué à une vulgaire place marchande ! Nous y avons introduit des dunes, des humains, des elfes... Ils n'ont aucun respect pour elle ! Fils des Roches, méfiez-vous, une tempête approche ! La Pierre nous en veut...

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