Chapitre CVIII (1/2)

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Une demi-heure après avoir débarqué du voilier, et non sans avoir salué aussi poliment que possible la princesse Sanaâ qui avait semblé bien surprise de me voir, je serrais dans mes bras mes deux petites bouilles d’amour. Je pleurais comme la mousson sur les forêts lointaines, tandis que Tempeta et Delphinus m’observaient de leurs grands yeux de pierres précieuses, beaux comme des astres et imperturbables comme le temps qui passe.

Pouvaient-ils ne serait-ce que me reconnaître, du haut de leur jeunesse abyssale, après toutes ces semaines de défection maternelle ? Rien n’était moins sûr ! Mais moi, je reconnaissais leur peau, leur odeur, leur lumière. Je les couvris de baisers excessifs pendant une bonne dizaine de minutes, sous le regard gris et attendri de Milos qui patienta sans un mot, avec un sourire, jusqu’à ce que je reprenne mon souffle après cette émotion essorante, mais vivifiante.

« Eh bien, Lumi, pour une surprise, c’est une surprise !

- Je sais… Mais je n’en pouvais plus, d’être séparée d’eux. Alors… Enfin, je te raconterai. Comment vont-ils ? Et toi, comment vas-tu ?

- Bien ! Nous allons bien, tous les trois.

- Ils ont beaucoup changé…

- Ils ont grandi, oui.

- J’ai loupé tellement de choses…

- Tu es là, maintenant… Vous allez pouvoir rattraper le temps perdu.

- Oui… Tu n’as pas de nouvelles d’Orcinus ?

- Non. Aucune. Je suis désolé, Lumi.

- …

- En tout cas, ils lui ressemblent toujours autant.

- C’est vrai. Mais ils n’ont pas du tout la même gestuelle. Orcinus n’est que souplesse, adresse, altesse, parce qu’il a vécu dans les vents et dans les vagues, dans un mouvement permanent. Vos enfants grandissent à l’ombre d’un palais, ils sont plus calmes, plus raides.

- C’est normal, j’imagine, pour des petits qui vivent enfermés ! Les pauvres, ils sont punis alors qu’ils n’ont rien fait de mal.

- Je sais… Moi aussi, je trouve cela injuste ! Mais au moins, les murs sont solides, à Héliopolis.

- …

- Tu vas rester longtemps ?

- Je vais rester, tout court.

- Tu quittes la troupe ?

- S’il faut choisir entre vivre à bord et voir mes enfants, je choisis mes enfants. En espérant qu’un jour, nous puissions sortir de cette prison dorée.

- L’équipage va te manquer.

- Oui. Mais vivre avec les Lointains, sans Orcinus, sans les petits, c’était comme s’il me manquait une jambe. Ici, au moins, dans les chaleurs et les couleurs du désert, je peux embrasser mes enfants aussi souvent que cela me chante. Et tout ne me fait pas penser à leur père, tout le temps.

- …

- Enfin, ce n'est pas complètement vrai : Tempeta et Delphinus me font penser à lui tout le temps ! Mais quand même, c’est moins difficile.

- Je comprends.

- …

- Lumi, si cela ne te dérange pas, je vais te laisser profiter un peu de tes enfants et aller saluer nos capitaines et toute la troupe, au port, avant qu’ils ne reprennent la mer. D’accord ?

- Bien sûr ! Va donc, Milos, tu as bien mérité une petite heure de liberté. Mais dépêche-toi, Rutila voulait appareiller dès ce soir. »

Le médecin quitta la pièce en douceur, mais d’un pas décidé. Il devait être impatient de retrouver ses anciens compagnons de route ! Quant à moi, je restai seule dans cet appartement au luxe confortable, avec mes deux petits soleils pleins de câlins et d’énergie comme une fontaine d’eau de jouvence. Je ne me lassais pas de les regarder, de les toucher, de les ressentir, comme si une petite partie de moi s’étonnait d’avoir pu survivre sans eux ne serait-ce que quelques minutes.

Je les inondai de mots d’amour ridicules et de longues phrases auxquelles ils me répondaient de leurs grands yeux où le jade se mêlait au cuivre et au noisette, sourires bleus, peaux de miel, regards droits. Enfin, j’étais libre de les aimer, libre de les élever, dans ce pays où nul homme ne pouvait imposer sa volonté à une femme. Même Rotu, avant sa mort, n’avait jamais osé débarquer ses troupes devant la capitale effervescente et fière qui se dressait sous mes fenêtres, avec une majesté digne de l’élégance de sa princesse.

Sanaâ, justement, me fut d’une aide précieuse dans les semaines qui suivirent. Car une fois les Lointains repartis, une fois ma soif maternelle rassasiée de la présence rafraîchissante de ma progéniture, j’eus bien du mal à trouver mes marques dans cette vie de château. J’étais une femme libre au pays des femmes libres, pourtant, je me sentais prisonnière d’un destin qui n’était pas vraiment le mien. Allait-on devoir vivre et mourir ainsi, mes enfants et moi, à l’ombre des murs et des armures de la garde royale d’Héliopolis ?

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