Chapitre CXI (1/2)

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Je passai la journée obstinément cloîtrée dans mon appartement, comme on recule pour mieux sauter. Je ne parus ni au déjeuner, ni au dîner, restant à l’abri de l’ombre et du silence qui régnaient dans cette aile très isolée du reste du palais princier. Sous ma fenêtre, le deux-mâts frémissait doucement au bout de ses amarres, les échoppes de la ville débordaient de vie et de couleurs et mes enfants, sentant sûrement que le temps était à l’orage, ne s’étaient jamais montrés aussi sages depuis que je les avais mis au monde.

Je n’avais qu’une crainte, une terreur absolue : qu’Orcinus, par hasard ou parce qu’il me cherchait, se perde dans les méandres des couloirs jusqu’à venir frapper à la porte. C’était absurde, d’abord parce que nous étions sous bonne garde, ensuite parce qu’il n’avait montré aucune envie de prolonger la triste discussion que nous avions eue à son arrivée… Mais je ne pouvais pas m’empêcher de l’espérer, tout en frissonnant de terreur à l’idée qu’il se retrouve ainsi nez-à-nez avec mes enfants. Ses enfants…

Je passai donc la journée, puis la nuit, ridiculement collée à eux. Je dormis à peine, noyée sous des pensées tantôt résignées, tantôt pleines d’espoir. Orcinus était en vie, Orcinus était là… Quelle équation de l’univers avait pu nous conduire, en même temps, jusqu’à Héliopolis où ni lui ni moi n’avions prévu de nous trouver quelques semaines plus tôt ? A cette pensée, je sentais mon coeur faire des cabrioles dans ma poitrine. Mais très vite, il trébuchait et plongeait dans un abîme de désespoir et de résignation. Mon amour était en vie, mon amour était là, mais visiblement, il ne m’aimait plus. Cette idée me déchirait le ventre.

Et ce fut justement mon estomac qui me poussa à sortir de mon isolement, après presque vingt-quatre heures passées comme une recluse dans mes appartements. Le soleil commençait à poindre sur la ligne d’horizon, c’était mon heure préférée de la journée, celle où la mer s’embrasait comme un incendie sous des lueurs de safran et de bronze incandescents… Je descendis très doucement vers la salle commune, vêtue de lin blanc comme une Héliopola. A chaque pas, je me rassurais en me disant qu’Orcinus devait encore dormir, à bord de son voilier, à quelques centaines de mètres en contrebas.

Mais j’avais tout faux ! Car lorsque je m’avançai vers l’immense table oblongue en bois d’ébène et d’acajou, je reconnus immédiatement la courbe de ses épaules, parées de ce bleu vif qu’il portait souvent et qui lui allait si bien. Il me tournait le dos, et pendant un quart de seconde, je faillis faire demi-tour. Mais il m’avait entendu, puisqu’il se tourna vers moi… Ses yeux attrapèrent les miens, et je ne pouvais plus reculer ! Heureusement pour moi, il était seul.

Je me dirigeai donc, aussi sereinement que possible, vers le côté opposé de la table pour prendre place en face de lui. Quatre ou cinq mètres nous séparaient, mais il ne m’avait jamais paru aussi lointain et, je dois bien le dire, aussi peu Lointain.

« - Bonjour, Lumi.

- Bonjour…

- As-tu bien dormi ?

- Ah, pas de Majesté ce matin ?
- …

- Je n’ai pas très bien dormi, non. Et toi ?

- Moi non plus.

- Que fais-tu à Héliopolis, Orcinus ?

- Sanaâ te l’a dit hier… A la fin des pourparlers, après que tu aies choisi… Enfin, quand je suis reparti avec les loyalistes, elle m’a dit qu’elle avait des choses pour moi, des choses qui venaient de ma mère. Sur le moment, franchement, ça ne m’intéressait pas du tout ! Mais finalement, je me suis dit que je n’avais rien à perdre à faire un petit détour pour la voir.

- …

- Et toi, Lumi, que fais-tu ici ?

- Je vis à Héliopolis depuis quelques mois.

- Tu as quitté la troupe ?

- Oui… Et alors, Sanaâ t’a donné des souvenirs de ta mère ?

- Un anneau en or, quelques livres, et une gravure de Muraena, toute jeune, avec ma mère encore enfant assise sur ses genoux.

- Ce doit être assez étrange, pour toi, de récupérer tout cela alors que tu n’as aucun souvenir d’elle ?

- Un peu… Mais Sanaâ semblait très contente de pouvoir me les donner, alors… Maintenant, je peux partir.

- Pour toujours ?

- Oui.

- Où cela ?

- Je ne sais pas. Loin.

- …

- Et toi, Lumi, comment vas-tu ?

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