Chapitre CXIII (2/2)
(La princesse parut interloquée.)
(Princesse Sanaâ) - Vous ne l’aimez pas ?
(L'autre Lumi) - Non… Je l’apprécie, je le trouve beau, droit, intéressant. Je sais qu’il ne me fera pas de mal. Mais je ne l’aime pas vraiment. J’aime ma liberté avant tout. Cette union n’en sera pas une. Je le sais, il le sait. Même si, qui sait, peut-être qu’un jour…
- Mais alors… Pourquoi vous marier, tous les deux ?
- Pour mon père. Pour laver mon honneur… Ou plutôt, pour laver son honneur à lui ! Il est flatté de me donner à celui qu’il considère comme l’héritier légitime du trône de Champarfait.
- …
- Lomu me laissera libre ; me laissera vivre ! Il m’emmènera loin de mes mauvais souvenirs. Loin de mon peuple qui me tient responsable du crime d’un autre. Comme si c’était la faute des femmes ! Je n’en peux plus. J’étouffe, chez les loyalistes. Je voulais partir, et Lomu m’a permis de le faire. C’est tout. Je n’attends rien d’autre de lui. Même si…
- Même si ?
- Je ne suis pas aveugle ! Si je devais un jour vraiment aimer un homme, ce serait lui que je choisirais. Alors autant qu’il soit déjà mon mari…
- Même si vous le pensez toujours amoureux d’une autre ?
- Le temps et la distance régleront cela. Cette situation me convient. Il a besoin de temps… Et moi aussi. Du moment qu’il n’abandonne pas une ribambelle d’enfants illégitimes quelque part !
(Je sentis une chaleur sourde, brûlante, parcourir mon corps comme du plomb fondu.)
- Que c’est compliqué, toutes vos histoires de mariage, d’alliance, de devoir, de résignation… Je suis bien heureuse de ne pas être champarfaitoise ! Ici, entre un homme et une femme, il n’y a que de l’air, de la lumière, de la liberté. Une femme qui veut rester libre reste libre. Et c’est tout. Pourquoi Orcinus et toi feriez-vous ce drôle de pacte qui risque de vous coûter très cher et de ne rendre personne heureux ?
- C’est ce pacte, princesse, qui nous a permis de nous enfuir.
- Très bien ! Jusque là, je ne peux qu’approuver. Mais pourquoi devriez-vous aller au bout ? Vous avez été violentée par un homme, mais vous n’avez rien fait de mal… Pourquoi sacrifier toute votre vie en épousant mon neveu ? Et lui, doit-il renoncer à vivre comme il le souhaite sous prétexte qu’il est de sang royal ? Ses parents ont bravé toutes les conventions, toutes les traditions, tous les interdits… Tout cela pour que ces mêmes conventions étouffent leur fils ? C’est absurde !
- …
- Et toi, Lumi, enchaîna Sanaâ en se tournant ostensiblement vers moi. Tu l’aimes toujours, n’est-ce pas ? Même si tu n’as pas pu le suivre comme il l’aurait voulu, ce jour-là, pendant les pourparlers sur les îles du Soleil. Alors pourquoi tout compliquer ? L’équation n’est déjà pas simple, mais si en plus, on y ajoute ce mariage sans amour…
- …
- Pardonnez-moi, Lumi, poursuivit-elle en regardant de nouveau sur sa gauche, de me montrer aussi franche… Mais il faut bien qu’il y ait quelques avantages à être princesse souveraine ! Parler librement en fait partie. Et puis je vous aime bien. Vous êtes jolie, certes, mais vous semblez aussi franche et courageuse, bien loin de tous ces chichis que font bien souvent les demoiselles bien élevées de Champarfait. Et vous êtes si jeune… Ne pourrait-on pas imaginer une autre solution que ce mariage qui me paraît bien triste ?
- Eh bien… Je suis désolée… Lumi ! En plus, nous avons le même prénom ! Bref, je suis désolée si vous êtes vraiment celle à laquelle il pense toujours… Je ne suis pas amoureuse de lui, c’est vrai. Mais je n’ai pas pour autant envie de le perdre ! Il m’a donné sa parole. SI vous le connaissez aussi bien que ce que la princesse Sanaâ semble dire, alors vous devez savoir que jamais, ô grand jamais, il ne reprendrait sa parole maintenant qu’elle a été donnée. »
Mes yeux s’étaient trempés de larmes au fil de leur discussion, d’abord parce que l’espoir s’était infiltré petit à petit dans mon coeur comme si tout n’était pas perdu, ensuite parce que cette jeune fille, avec ses nerfs d’acier et ses airs innocents, avait trouvé l’argument ultime pour détruire en quelques secondes chaque petite miette de mon espérance. Jamais Orcinus ne trahirait son engagement ! Je le savais parfaitement.
Pourtant… Si cette autre Lumi avait raison, et qu’il m’aimait toujours, serait-ce vraiment mal de ma part d’essayer de le convaincre d’annuler ce mariage ?
Perdue dans mes pensées, je n’entendis pas la fin de cette conversation. Sanaâ me regardait d’un air profondément étonné, comme si je venais d’une autre planète dont vraiment, elle ne comprenait ni les codes ni les règles. Lumi faisait comme si je n’étais pas là, sans animosité, certes, mais avec une indifférence calculée qui démontrait clairement qu’elle ne se laisserait pas dépouiller de son fiancé et de leur nouvelle vie aussi facilement.
Je rendis donc les armes, consciente d’avoir perdu la bataille, et je quittai la pièce alors que nous venions à peine de finir les entrées. J’avais l’impression que le destin s’acharnait sur moi comme un chat torturant un oiseau, prêt à jouer avec moi aussi longtemps que j’aurais de l’énergie pour bouger un peu. Et si, finalement, la seule solution était de renoncer, purement et simplement, à mon amour pour Orcinus ?
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