Chapitre 15 : Cook

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23 août 2115

Campement Terrien

Depuis deux semaines, l'incident avec le capitaine Buton avait rapproché le lieutenant Henri et Salia Abdelkrim. On les voyait très souvent ensemble, toujours en train de s'aider ou simplement en train de discuter. Parfois, quelques membres de Columbus adressaient des clins d'œil amusés au Français, qui ne manquait pas de les remettre en place en les renvoyant à leur mission. Ce jour là, Abdelkrim avait envoyé son assistant scientifique superviser plusieurs expériences dans le laboratoire improvisé qui avait été creusé dans la montagne, et se retrouvait seule pour ses propres tests. Elle fit appel au lieutenant, qui d'abord prit peur devant sa non-connaissance de la chose, mais qui fut bien vite rassurée par la responsable de la recherche. Une heure plus tard, on le voyait manier éprouvettes, erlenmeyers et autres instruments scientifiques, sous le regard satisfait de sa professeure de fortune. Parfois, il faisait une erreur ou renversait quelque chose. Mais Abdelkrim, au lieu de le réprimander, ne faisait que rire, ce qui faisait immanquablement rire à la suite Henri. En revanche, ce n'était pas le cas de tous au campement. Buton et Ravishna les observaient avec méfiance, et décidèrent de profiter du fait qu'ils soient occupés pour aller interroger différents membres de l'expédition.

« Le lieutenant ? Il est excellent. Toujours avec nous, toujours en train de travailler, et pourtant toujours aussi souriant.

-Ce n'est pas qu'il est influencé par Tenson, c'est que d'une certaine façon, on est tous imprégnés par Tenson. Ce type est incroyable ! Ah oui, ce n'est pas le sujet, pardon.

-Tant qu'on parle, capitaine Buton. Vous ne pourriez pas aider notre lieutenant ? Parce que bon, il est très efficace et très sérieux, mais le travail de trois pour un seul...

-Comment ça « Henri et Abelkrim » ? Qu'est ce que j'en sais moi si il y a quelque chose ! Vous n'avez que ce genre de questions alors qu'on est en train de travailler ?

-Ah oui, les deux là... Ecoutez, honnêtement, personne n'en sait rien. Par contre, je croise les doigts pour que ca arrive, croyez moi ! D'ailleurs vous deux, ça ne vous dit pas ? Ahem, bon, d'accord.

-Vous savez, ca peut arriver hein. Mais pourquoi ca vous intéresse tellement ? C'est vrai quoi, ils font tous les deux leur boulot comme personne, alors on s'en fiche. Vous pourriez en faire autant. »

Parfaitement insatisfaits des réponses aussi nombreuses que non-utilisables, les deux supérieurs retournèrent dans la navette de commandement de Ravishna, qui était furieux.

« C'est fini ! Plus jamais je n'engage la parole avec ces fous de Columbus ! Pas un ou une pour donner une réponse intelligente ou correcte. Un vrai calvaire. Non seulement nous ne sommes pas plus avancés, mais en plus, ils m'ont donné un mal de crâne effroyable.

-Il y a un élément qui ressort tout de même. C'est que ca n'a l'air de déranger personne, contrairement à ce que je pensais. Dans mes rangs, ce serait impensable.

-Ce sont des soldats de base, écoutez. Ils n'ont pas les mêmes priorités. Mais ce n'est pas grave, la ministre est parfaitement d'accord avec nous : s'il y a quelque chose, c'est mauvais pour l'opération. Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour découvrir la vérité et réagir en conséquence.

-Nous devrons demander au colonel Taizhong de réagir également.

-Evidemment. Taizhong est de notre côté. Un excellent colonel ! Les membres d'équipages devraient être plus que ravis d'avoir un homme aussi compétent, discipliné à leur tête. Lui, il a de la carrure. Mais non, ils n'en ont que pour ce Tenson. Tenson, Tenson, Tenson ! J'ai l'impression que je ne peux pas traverser le camp sans entendre Tenson ! Et Tenson par ci, et Tenson par cela ! Tenson nous a dit ci, Tenson voudrait cela ! Ca m'agace ! Je n'en peux plus ! Qu'est ce qu'il a, franchement ? Il ne fait que suivre les ordres, c'est tout. Donc un bon officier, mais sans plus.

-J'espère qu'un jour je pourrai le rencontrer. Histoire d'évaluer ce soi-disant capitaine. Encore un sorti du rang.

-Ne vous inquiétez pas. S'il revient, malgré votre grade équivalent, vous serez son supérieur, puisque je vous ai également nommé au sein de l'expédition Columbus. Je n'ai pas envie que le plus haut subalterne soit cet homme.

-S'il revient. »

Tandis que les deux hommes se livraient à leurs mesquines occupations, le colonel Taizhong était au contraire très occupé. Il pouvait désormais se mettre en communication avec l'expédition Cook, partie quelques jours auparavant de la Terre. L'officier qu'il avait en vue sur l'écran était une femme, d'un âge similaire aux officiers de Columbus.

« Colonel Taizhong, honorée. Je suis le capitaine Moira MacLean. Officier de la Légion Écossaise, en mission pour l'opération Gaïa. Comment se déroulent les choses sur Mars ? Il paraît que tout change.

-Elles se compliquent depuis un moment, capitaine. J'ai deux officiers manquants et les locaux y sont en partie pour quelque chose, malgré des rapports officiels qui étaient amicaux.

-Oh, je suis plus que désolée pour vous et vos hommes. Nous vous aiderons à arranger la situation.

-Elles commenceront à s'arranger lorsque vous arriverez. Nous avons besoin de renforts pour la sécurité, cette opération n'est plus aussi scientifique qu'elle devait l'être. Nous avons un mal fou à contacter le ministère, quelles sont les forces dont vous disposez ?

-L'expédition Cook est un mélange de l'expédition Columbus et de l'expédition Magalhaes. Nous apportons une quarantaine de militaires réguliers pour renforcer la capacité défensive de l'expédition. Mais nous apportons aussi d'autres ouvriers et du préfabriqué. Nous allons pouvoir monter de vrais bâtiments et de vrais murs d'enceinte pour votre base, cela améliorera les conditions de travail et prouvera que nous sommes installés. J'espère seulement que les Martiens ne le prendront pas mal, ce n'est pas le but.

-Nous n'avons malheureusement pas le choix.

-Certes. Mais je n'ai pas envie de rajouter de la tension à une situation déjà quasi explosive. S'il le faut, je préfère attendre une amélioration des relations et un retour au calme parfait avant d'ordonner à mes hommes de construire.

-En tant que supérieur, je vous préviens d'avance. La construction débutera lorsque l'ingénieur-chef l'aura décidé. Moi-même, je ne suis pas en mesure d'interférer avec son autorité ici. Les directives gouvernementales sont très claires et il insiste suffisamment là-dessus.

-Je vois. Alors il devra se référer au colonel Ricardo, qui est dans l'autre navette, lorsque nous arriverons. C'est lui qui est en charge de Cook, c'est lui qui aura la main sur cette décision, et sur toutes celles qui concerneront directement nos hommes.

-Nous n'avions pas cette information. Le gouvernement change vraiment tous les plans. Il n'a pas souhaité participer à notre échange ?

-Il est extrêmement occupé. Il dévore les rapports de ce lieutenant Henri depuis que nous sommes partis. J'ai l'impression qu'il aura beaucoup de choses à lui demander une fois que nous nous serons posés.

-Je comprends. Nous ne nous attendions pas à au quart de ce que nous vivons, alors préparez-vous. A ce propos, avez-vous une idée de quand vous arriverez ?

-Les techniciens me disaient tout à l'heure qu'un mois serait peut-être dur. Comptez un mois et demi. Mais pas plus de deux, ce sera amplement suffisant. Sur Terre, je crois que l'intégralité de la communauté scientifique se bat comme jamais pour développer de nouvelles navettes, de nouveaux réacteurs, etc. Un de ces jours, une semaine suffira à faire le trajet, vous allez voir.

-Si seulement. Je n'aurais pas à attendre autant de temps, menacé, pour avoir les renforts nécessaires à la bonne conduite des opérations.

-Ne vous en faites pas pour cela, nous arriverons à temps. Sauf votre respect, colonel, gardez un statu quo avec les Martiens, ne les provoquez pas, et je pense que tout ira bien.

-Ce n'est pas à moi que vous devez le dire, capitaine, croyez-moi. Nous vous attendons avec impatience. Taizhong, terminé. »

Rassuré par l'arrivée prochaine de nouveaux Terriens et d'officiers visiblement compétents et prudents, il prit les derniers rapports d'Henri et sortit de la navette. Il rejoignit Ravishna et lui proposa de les lire pour avoir les derniers comptes rendus des différents groupes de travaux. Celui-ci envoya le capitaine Buton superviser les membres et se mit de façon superficielle et distraite à la lecture aux côtés du Chinois. Le capitaine passa quelques instants à tourner dans la base, observant les équipes au travail, passa voir ses propres hommes pour leur faire quelques recommandations. Puis, en retraversant le camp, il aperçut Henri qui se séparait enfin d'Abdelkrim, et qui se rendait dans la navette qui servait d'entrepôt. Il le suivit et y pénétra quelques secondes après. Discrètement, il fouilla les salles à la recherche du Français, jusqu'à ce qu'il l'entende. Il regarda par la porte, et le vit en train de fouiller dans une caisse, sortant deux ou trois petites boîtes grises.

« Que faites vous, lieutenant ? »

Surpris, l'interrogé se retourna et vit la personne qui s'adressait à lui.

« Je rapporte à madame Abdelkrim ce dont elle a besoin pour continuer de travailler.

-Ah oui. La petite Abdelkrim. »

Il laissa alors échapper un petit rire gras.

« Vous avez un problème ?

-Lieutenant, lieutenant... Pourquoi êtes-vous si nerveux.

-Qu'avez-vous contre elle ?

-C'est elle qui a quelque chose contre moi, pas l'inverse. Je ne cherche qu'à comprendre pourquoi elle laisse autant de secrets persister autour de son travail.

-Il n'y a aucun secret. Ce qu'elle fait, elle le rapporte. Je le lis, je l'ajoute aux autres rapports pour en faire une synthèse et je le transmets à mes supérieurs. Si son travail vous intéresse, lisez les rapports. Même si je me doute que lire n'est pas votre fort.

-Toujours aussi virulent à ce que je vois. Mais elle ne vous transmet que ce qu'elle veut. Je sais qu'il y a quelque chose qui se cache derrière son innocent travail. Elle ne parle jamais d'elle, de son parcours, de ses affectations. Ne trouvez vous pas cela suspect ?

-Peut-être considère t-elle que sa vie ne vous regarde pas ?

-Est-ce qu'elle vous en parle ?

-Absolument pas. Mais pourquoi lui en tiendrais-je rigueur ? Et est-ce une raison pour vous en prendre à elle, comme l'autre soir ?

-M'en prendre à elle ! Allons donc, vous divaguez. Je ne voulais que récupérer ses notes. Je vais vous dire la même chose qu'à elle : je suis en charge de la sécurité, alors je dois savoir ce que chacun fait, sinon, je ne peux pas faire mon travail. Vous aimeriez, vous, que quelqu'un vous empêche de faire votre travail ?

-De la sécurité ? Un responsable de la sécurité qui ne sait pas se battre, c'est assez cocasse. »

Buton eut encore un petit rire. Il se retourna et referma la porte, avant de mettre la clé dans sa poche.

« Vous vous croyez fort ? Vous pensez pouvoir gagner à tous les coups ? Ce soir là, vous faisiez le beau. Vous vouliez simplement vous rendre intéressant devant Abdelkrim.

-J'ai d'autres préoccupations que vos bas instincts. Donnez-moi cette clé et sortons d'ici avant que je ne me vois obligé de vous corriger. Je vais finir par y prendre plaisir.

-C'est une menace lieutenant ?

-Absolument pas. Une simple vérité. Allez, soyez sérieux, donnez-moi cette clé.

-Vous pouvez tout me dire. Sommes-nous intéressés par la même chose chez elle ? 

-Touchez là et vous serez le premier Terrien à avoir droit à une tombe sur cette planète, je vous le garantis.

-C'est charmant. Mais Ravishna et Taizhong sont au courant de vos petites affaires, et la sanction va tomber, lieutenant.

-Au courant ? Mais il n'y a rien.

-Ce n'est pas vraiment ce que je leur ai dis.

-Pauvre homme. Dans ce cas, je crois que j'aurai moi aussi deux ou trois choses à raconter aux supérieurs, comme cette petite histoire en dehors du campement.

-Ce sera ma parole contre la vôtre. Et puis, vous ne direz rien du tout.

-Vous comptez m'en empêcher ?

-Oui et non. Mais je constate que les Martiens font disparaître beaucoup d'officiers, ici. Imaginez les conséquences si un de plus venait à se faire enlever, ou pire.

-Une petite ordure. C'est tout ce que vous êtes. Un jour, vous allez sérieusement payer votre stupidité. Par moi, je ne sais pas. Si c'est quelqu'un d'autre qui en a l'honneur, je le considérerai comme un ami !

-Drôle, toujours. Vous êtes à mourir de rire, lieutenant.

-Je peux être à mourir tout court. Ouvrez cette porte, et dégagez. »

Cette fois, le capitaine resta froid. Il ressortit la clé, ouvra la porte et s'en alla. Henri souffla et calma ses nerfs. Il récupéra les boîtes demandées par Abdelkrim et partit la rejoindre, sans lui parler de ce qui venait de se passer.

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