Chapitre 29 : Fuite

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18 septembre 2115, 10:30

Campement Terrien

Le ministre ne prêta pas d'importance à la plaisanterie de Tenson. Il demanda le nom de l'officier qui venait de frapper le capitaine Buton puis l'appela.

-Où vous croyez vous, lieutenant ?

-Désolé monsieur. Vous pouvez considérer cela comme un besoin vital.

-Je ne considère cela comme rien du tout. Uniquement en tant qu'une agression sur un officier supérieur. Je vais devoir donner l'ordre de vous mettre aux arrêts. Gardes ! »

Le capitaine, refusant de voir encore un membre de son expédition exposé à des sanctions, s'interposa sur le champ :

« Monsieur le ministre, permettez-moi de prendre la défense du lieutenant Federico. Son acte est condamnable, certes, mais elle avait ses propres raisons de le faire.

-C'est là votre seule défense ?

-A peu près monsieur. En fait, je ne sais pas trop quoi dire pour argumenter. Je vous demande simplement de bien réfléchir avant de réagir à ce que vous avez vu, sans savoir ce qui s'est passé.

-Lieutenant Henri ? Qu'en pensez-vous ?

-Je ne pourrais en aucun cas contredire les paroles du capitaine Tenson, monsieur. Je partage pleinement son opinion, et je pense avec sincérité que vous devriez ignorer cela.

-Je suis vraiment navré d'agir avec vos désaccords, messieurs. Mais jusqu'à ce que nous ayons examiné l'affaire, elle sera mise aux arrêts.

-Vous dirigez.

-Ah et, capitaine. N'avez-vous rien oublié ?

-Je ne pense pas.

-Je pense que si. La ministre de la recherche a clairement formulé l'ordre d'arrestation de votre personne, et j'ai dû l'approuver, ses arguments étant plus que convaincants. Je suis plus que désolé, mais je me vois contraint de vous faire arrêter vous aussi, malgré toute l'estime que j'ai pour vous et votre travail.

-J'avais dit que je n'opposerai pas de résistance.

-C'est une décision sage et honorable. Capitaine Buton ? Je vais vous demander de mettre aux arrêts le capitaine Tenson, pour insubordination et diffamation, ainsi que le lieutenant Federico, pour agression. Emmenez les dans la navette de commandement et confinez-les dans une salle. Puis vérifiez que votre nez va bien. »

Sans un mot, avec à peine un sourire, le capitaine récupéra les armes des officiers puis les escorta avec une partie de ses hommes jusqu'à ladite navette. La salle située le plus au fond était presque vide et pouvait être fermée de l'extérieur : c'est là que l'Américain décida de les enfermer. Il posta deux mercenaires devant la porte, deux autres au bout du couloir, et encore deux à la porte du bâtiment.

« Vous ne voulez pas installer de canons par hasard ? » toisa Henri.

Ayant rétabli l'ordre, le ministre demanda à voir par lui-même les résultats obtenus par l'expédition. On lui présenta en tout premier lieu la roche découverte par l'équipe d'Abdelkrim, capable de fournir en quantité de l'énergie. Plusieurs traces de présence Martienne avaient également été retrouvées en creusant un peu : deux puits avaient été forés pour analyser la première couche du sol. On lui fit visiter le campement, on lui expliqua l'organisation, les équipes des différentes expéditions, ainsi que les sites des futurs avant-postes. Il était très satisfait de l'avancée de l'opération, et savait qu'il pouvait faire un premier bilan positif au reste du gouvernement, chose qu'il décida de faire le lendemain. Devant le regard consterné de la plupart des militaires réguliers, le capitaine Buton fut remercié par Vandervoorde pour son travail et son professionnalisme. Henri et Abdelkrim se tenaient à l'écart, suspicieux.


18 septembre 2115, 23:30

Navette de commandement Terrienne

Cellule improvisée

« Capitaine ? Il ne fallait pas prendre ma défense tout à l'heure. Cela vous aurait évité ces ennuis.

-Cela fait un moment que j'en ai. Cette ministre Petrov et ce Buton... Ils auraient tout pour se détester, mais ils se rejoignent sur chaque point, particulièrement lorsqu'il s'agit de troubler l'opération. En fait de sécurité, elle veut assurer un contrôle total sur nous et sur la mission.

-Un contrôle total ? Qu'est ce que vous soupçonnez ?

-Je ne sais pas vraiment. Mais il y a quelque chose de louche. J'essaye de les titiller au maximum pour qu'ils fassent une erreur.

-Mais ca ne marche pas.

-Bien sûr que si. Ils nous ont arrêtés, ce qui est une grave erreur. »

Le lieutenant Federico se mit à rire un peu, puis s'allongea à même le sol, le seul mobilier laissé par les mercenaires étant deux simples chaises. Elle resta ainsi un moment, les yeux ouverts à fixer le plafond, jusqu'à ce que Tenson brise le silence.

« Lieutenant ?

-Oui mon capitaine ?

-Puis-je vous poser une question ?

-Allez-y.

-Vous allez très sûrement me paraître indiscret mais... Zalos ? »

Un nouveau rire lui échappa, identique à celui-ci qu'elle faisait en la présence du commandant.

« Et bien, Zalos... C'est très simple comme histoire. Que voulez-vous savoir ?

-Juste une confirmation.

-Alors je confirme.

-Vous n'ignorez pas que c'est contraire au règlement.

-Oui je sais. Depuis cette histoire en 43.

-Pas simplement une histoire. Deux militaires ont trahi leur planète et tout cela a débouché sur un acte terroriste qui a tué des centaines de civils.

-Sauf votre respect, leur relation n'avait rien à voir. Ils étaient corrompus et cherchaient simplement une petite fortune. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement a interdit les relations au sein de l'armée.

-Vous vous posez encore la question ?

-Comment cela ?

-Ils ont pris le premier prétexte venu, mais il fallait le faire. C'était une question de bon sens. Cela perturbe les missions et exposent les équipes à un danger inutile.

-Là, je ne suis pas d'accord.

-Il faut savoir s'imposer une limite. Si vous l'aviez posée pour le commandant Martien, vous ne seriez pas en train de vous tourmenter à cause de lui, car c'est ce que vous faites, n'est ce pas ?

-Mon capitaine !

-Imaginez ce que d'autres diraient. J'ai bien compris ce qu'il s'est passé avec Buton, et même si cela me fait horreur, cela prouve que j'ai raison.

-Capitaine ? Comment pouvez-vous...

-Pas au sein de l'Armée, Federico. Où vous voulez, mais pas au sein de l'Armée. Nous sommes des soldats, nous avons des missions vitales, primordiales. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre et de penser comme des gens classiques, parce que nous n'en sommes pas vraiment. Notre raison d'être dépasse ce qu'on peut imaginer, et je ne peux pas laisser une opération se dérouler au gré des cœurs de ses membres.

-C'est vraiment comme cela que vous êtes à l'intérieur, capitaine ? Est-ce que la chaleur que vous apportez aux autres ne serait qu'une carapace vide ? Etes-vous réellement dénué de sentiments ? Vous me paraissez désormais froid, amer. Votre seule raison d'être est donc votre métier.

-Cela a toujours été ainsi.

-Vous pensez à votre famille ?

-Ma famille ? Federico, je ne sais pas ce qu'est une famille. Nous avons parlé de l'affaire de 43 il y a quelques instants : mes grands-parents y sont morts. Mon père est tombé dans une embuscade contre des pirates : la moitié de son groupe a péri, lui est mort, probablement pour couvrir le repli des autres. Quant à ma mère, elle a pu s'occuper de moi jusqu'à ce que j'aie quatre ou cinq ans. Puis elle a perdu son emploi et elle en a fini avec son existence, après m'avoir confié à une de ses amies, soi-disant pour la journée. Lorsqu'on dit me dit que ma mère était diplomate, ils ignorent que je ne l'ai pas connu. Je n'ai ni frère, ni sœur, je n'ai jamais rencontré d'oncles, de tantes, de cousins ou de cousines. Je ne sais pas ce qu'est la famille. Des amis ? Non, pas quand on vit reclus chez l'amie de sa mère suicidée, avec une heure d'air libre par jour. Je n'existais pour personne. Alors de grâce, ne me parlez pas de famille. Je ne peux penser à personne. Simplement à ma mission, aux gens pour qui j'aie de l'affection, c'est-à-dire les hommes et les femmes qui sont sous mon commandement. Alors oui, lieutenant, ma seule raison d'être est mon métier, parce que je n'en ai jamais eu aucune autre.

-Je... Je suis désolée capitaine. Je ne voulais pas...

-C'est moi qui suis désolé. J'ai parlé de Buton et de vous et... Je n'aurai jamais dû. Je me sens aussi idiot que lui.

-Vous ne l'êtes pas. Oublions ce que nous nous sommes dit. »

Elle se rallongea tandis que lui alla s'assoir, les deux secoués par cette conversation qu'ils n'avaient jamais eu auparavant. Il porta sa main droite au front, comme pour soutenir sa tête. Federico l'aperçut et se demanda s'il était fatigué où s'il était dans le même état qu'elle. Pour se calmer, elle repensa à Zalos. Elle revoyait tout depuis le début. La première fois qu'elle le rencontrait : tous la dévisageaient avec peur, tandis que lui paraissait sympathique. Elle se remémorait la bagarre dans le « Somuz Enfoui » et le siège du Quartier Général. Lorsqu'il avait été fait prisonnier et qu'elle se surprenait à paniquer autant que pour son capitaine, puis l'évasion. Et enfin, le Palais. C'était si récent et si lointain en même temps. Elle pouvait presque sentir la neige tomber sur elle. Après des années de souffrance intérieure, elle ne réfléchissait presque plus lorsqu'elle était avec lui : elle se laissait porter et sa présence la rassurait. Puis elle se rappela lorsqu'elle lui avait avoué pour Buton. Il n'avait eu qu'à l'écouter posément et lui parler un peu pour qu'elle se sente mieux. Zalos lui procurait une force encore plus surprenante qu'auparavant. Mais à présent, elle était dans son campement, sûrement pour un bon moment, tandis que lui était reparti à Loyva. D'autres missions l'attendaient, et il devait servir son peuple. Malgré leur séparation, elle savait qu'ils se reverraient. Mais elle ne pensait pas que ce serait aussi rapide. A peine avait-elle fini sa réflexion que la clé tourna dans la serrure et que la porte s'ouvrit : le général Hanrel, arme au poing, fit irruption dans la salle, immédiatement suivi du commandant Zalos. Tenson sauta aussitôt de sa chaise et Federico se releva tout aussi rapidement.

« Général !

-Nous sommes là capitaine. Nous n'allions pas vous laisser dépérir ici. Suivez-moi, il faut sortir le plus rapidement possible, avant que d'autres de ces hommes en noir n'arrivent. »

Les quatre militaires quittèrent donc la salle, enjambant les mercenaires déjà assommés sur le chemin. Lorsqu'ils arrivèrent à la sortie, Tenson s'inquiéta de la présence de gardes dehors. Mais Henri et Abdelkrim, malicieusement, avaient empilé des caisses de fournitures et d'équipement, ce qui constituait une sorte de muret. En se penchant, le groupe put continuer sa route. Une fois les caisses dépassées, ils étaient dans l'obscurité. Quatre gardes mercenaires gardaient le pont qui constituait la sortie Est. Hanrel brancha son communicateur et chuchota :

« Un chacun. Tirs paralysants. »

Dans la foulée, les quatre hommes s'écroulèrent en silence, laissant la voie libre. Le groupe traversa et retrouva les commandants Podamis, Nazar, Varong et Koggs, tous munis de fusils de précision.

« A quoi servent donc vos soldats et vos machines si ce sont toujours vos commandants qui font le travail ? » interrogea Federico, amusée.

Le commando escorta les évadés jusqu'à un véhicule de transport, puis tous sautèrent dedans. Celui-ci fonça vers la base du gouverneur Martien.

« Etes-vous fous de nous faire évader de nos propres cellules ?

-Allons capitaine, un peu de reconnaissance. Cela fait tout de même deux fois que je vous fais sortir de prison, je ne le fais pas pour rien !

-C'est vrai. Mais j'ai peur que cela cause des problèmes. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure idée.

-Dans ce cas, il fallait rester là haut.

-Ne vous vexez pas, général. Je n'allais tout de même pas refuser la liberté. Je suis simplement inquiet.

-Tout ira bien. Nous avons juste besoin de vous.

-Besoin ?

-Oui. Le chef de guerre Kolbarba avec qui nous avons « négocié » m'a contacté dans l'après-midi. La communauté Galactique doit enfin ouvrir les yeux sur la Terre et sur les Terriens.

-Pardon ? Mais pourquoi avoir besoin de moi ? Parlez de nous ! Nous avons déjà suffisamment encouru de risques, non ?

-Cette fois, je vous jure qu'il n'y a aucun risque. Je vous explique la situation. Avec notre sénateur, vous prendrez la parole devant les représentants des différentes planètes. Vous expliquerez qui vous êtes, vos problèmes, et ce dont vous aurez besoin. Les Kolbarbas ont assuré qu'ils appuieraient vos demandes. Ils sont très influents et très respectés par tout le monde.

-Attendez, attendez. Vous voulez que j'aille devant des sénateurs de planètes inconnues pour parler de la Terre ?

-Bien sûr ! C'est peut-être ce qui va résoudre vos problèmes.

-Et que pourra faire la Communauté Galactique ?

-Aucune idée. Mais ce ne pourra pas être mal. Vous êtes tous les deux concernés, alors qu'en dites-vous ? Nous sommes d'accord ?

-Entendu.

-Entendu. »

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