Chapitre 31 : Gurracha

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19 septembre 2115, 13:00

Zavodar

Aire d'atterrissage Z-13

Séparés des Martiens, les deux Terriens étaient escortés par plusieurs pirates armés de fusils. Ces derniers les amenaient sur l'aire d'atterrissage la plus proche, sur laquelle était posés plusieurs vaisseaux, dont un plus gros que les autres, en forme de V. Ceux-ci étaient de couleur grise, avec un canon très fin de chaque côté. Le plus gros en possédait quatre et semblait pouvoir contenir sans souci une dizaine de personnes. C'est dans celui-ci que tout le monde pénétra. Les prisonniers furent installés dans le pont principal, juste derrière le cockpit. Ils pouvaient voir les pilotes et les techniciens qui s'affairaient, mais aussi quelques autres pirates, apparemment des chefs, en train d'étudier des cartes galactiques. On les laissa là pendant un moment, isolés, jusqu'à ce qu'un homme entre à son tour. Tous se retournèrent vers lui et s'inclinèrent. Il s'avança jusqu'à ses « invités » et se planta devant eux. C'était l'homme qui avait parlé devant l'assemblée il y a quelques minutes à peine, et il était bel et bien humain. Peut-être une cinquantaine d'années, les cheveux aussi noirs que ses yeux qu'il plissait, rasé de près, les pommettes saillantes, un peu plus d'un mètre soixante-dix. Il scruta longuement les yeux des deux personnes qu'il avait devant lui, mais ceux-ci ne baissaient pas les yeux. Tout à coup, son visage s'illumina presque :

« Je suis tellement ravi ! Si vous saviez comme mon cœur se réchauffe de voir des frères.

-Des frères ? Vous êtes donc vraiment Terrien ?

-Mais bien sûr. Ah, depuis le temps que j'attends ce moment : enfin vous êtes venus.

-Comment cela ?

-Et bien, après la mission.

-Quelle mission ? »

Cette fois, le visage du chef des pirates redevînt obscur.

« La mission Procky IV. Avez-vous déjà entendu parler de cela ?

-Jamais. Qu'est ce que c'est ?

-Une mission d'exploration spatiale. En 2095, quatre Terriens ont été envoyés sur Mars pour comprendre si la planète était habitable ou non.

-Mais ? C'est notre mission ?

-Votre mission ? Procky IV ?

-Non, non. Nous faisons tous les deux partie de l'expédition Columbus, rattachée à l'Opération Gaïa, qui a visiblement les mêmes buts que Procky IV.

-Oh, je vois. Ils ont retenté donc.

-Retenté ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

-Un incident. Nous avons été attaqués rapidement par un groupe de pirates Martiens, et notre module a été si endommagé que nous ne pouvions plus repartir. Nous avons juste pu contacter la Terre et les prévenir de notre situation. Ils ont dit qu'ils enverraient une équipe de secours, mais cela fait un moment que l'on attend.

-Depuis 2095 ?

-Oui. Vous avez été long !

-C'est que, monsieur... Nous n'étions pas au courant de votre venue ou de votre présence.

-Pardon ?

-Nous devions être les premiers. Depuis l'arrêt de la conquête spatiale en 2043, plus rien n'était censé se dérouler. Votre mission secrète n'a jamais été éventée.

-Mais... C'est impossible ! Cela fait vingt ans. Ils n'ont pas pu nous laisser là ?

-Il y a eu beaucoup de perturbations depuis. Je suis certain qu'ils ne vous ont pas laissé tomber.

-Bon sang. Alors je vous dois des explications, et maintenant.

-Nous vous écoutons.

-Mon véritable nom est Gurracha. Je suis né en Mongolie. J'ai fini par devenir cosmonaute et Procky IV était une mission spatiale comme j'en avais déjà fait, à ceci près que cette fois, il fallait mettre le pied sur Mars. Puisque vous avez eu la même, pas besoin de vous la détailler. Puis, une attaque de pirates Martiens. Les jours ont passé, nous ne pouvions plus contacter la Terre, et nous avons fini par nous rendre. Quand ils ont compris qu'ils ne pourraient pas avoir de rançon, ils ont bien pensé à nous tuer. Mais ils se sont ravisés et se sont dit que nous pourrions les servir plus efficacement en restant vivants. Ils nous ont donc envoyé sur une autre planète, à leur chef.

-Sur une autre planète ? Les pirates Martiens obéissent à quelqu'un d'autre ?

-Vous allez comprendre. Nous avons été mis en relation avec une autre bande de pirates, des aliens cette fois. Des vrais en quelque sorte, qui ne nous ressemblent pas. Au début nous étions de simples serviteurs, mais le hasard a fait que nous avons fini par les aider sur le terrain, lorsqu'une bande rivale les a attaqués. Ils ont cru que nous nous battions à leurs côtés alors que nous ne faisions que nous défendre nous même. Quoi qu'il en soit, ils ont apprécié et nous ont recommandé à leur chef. Le vrai. Il était à la tête d'une organisation pirate qui s'était implantée sur de nombreuses planètes.

-Votre Lune Pourpre ?

-C'est cela. Il nous a félicité et nous a gardé tout les quatre. Chez les pirates, la confiance est dure à obtenir et facile à perdre : il se méfiait de tout le monde. Mais étrangement, il nous faisait confiance. Petit à petit, nous étions de plus en plus écoutés et donc respectés. Jusqu'à ce qu'un complot de ses lieutenants ne soit déjoué par nous-mêmes : c'était l'occasion ou jamais de se faire bien remarquer. Pour nous remercier de lui avoir sauvé la vie, il a fait de nous ses nouveaux lieutenants. Chez les pirates, nous étions appelés « les Etrangers ». Nous avons aidé à remettre en ordre l'organisation qui était composée de multiples branches plus ou moins indépendantes. En centralisant tout cela, nous avons affermi le pouvoir de notre chef. Jusqu'à ce qu'il perde la vie, dans son lit, de la façon la plus respectable qui soit. J'étais son préféré, et de l'avis de tous, le plus capable de prendre sa succession. Il me désigna donc nouveau chef de la Lune Pourpre, et mes trois camarades continuèrent à être les principaux lieutenants de l'organisation. Nous avons diversifié nos actions, devenant un véritable consortium puis un petit empire très lucratif.

-Monsieur joue donc au roi des pirates ?

-C'est un peu cela. Mais aujourd'hui, c'est fini ! On m'a tout expliqué depuis longtemps sur ce qu'il s'est passé avec les Terriens. Cela fait trop de temps que notre peuple est prisonnier, et il est l'heure d'en finir.

-En attaquant une assemblée qui devait traiter la question avec pacifisme ?

-Ils n'auraient rien traité du tout. Depuis le temps que je suis ici, je sais comment cela fonctionne. Ils auraient discuté en rond, comme les braves bureaucrates qu'ils sont, certains auraient voulu nous rayer de la carte ou nous expulser, et voilà tout. Parfois, il faut agir brusquement et savoir forcer le destin.

-En somme, vous faites un coup d'Etat ?

-Pas exactement. Je récupère le pouvoir momentanément et je guide les autres membres de la Communauté. Mon organisation me permet d'obtenir d'importants soutiens partout. Sauf sur Mars. La branche Martienne de la Lune Pourpre semble avoir été totalement anéantie, ce qui est très surprenant. Peut-être m'apprendrez-vous ce qu'il s'est passé.

-Et que comptez-vous faire ensuite ?

-Contacter la Terre, leur rappeler qui je suis, ce que nous faisons. Et surtout, envoyer autant de vaisseaux que possible sur Terre. Nous allons transférer toute la population !

-Toute ? Et où donc ? Nous sommes actuellement 21 milliards.

-J'ai pensé à tout. Avez-vous déjà entendu parler de la planète Namaria ? Elle est totalement vierge, et on croirait la Terre il y a des siècles, même en plus verdoyant. C'est le meilleur endroit de la galaxie, et elle pourra facilement accueillir tout le monde. Mais j'expliquerais tout cela à l'assemblée que nous allons réorganiser sous notre contrôle. Notre cauchemar va bientôt se finir. Au fait, je ne vous ai même pas demandé vos noms et d'où vous veniez ?

-Capitaine Tom Tenson, Britannique, et mon lieutenant Carmen Federico, Espagnole.

-Bien, bien. Je retiendrais. Nous gardons la délégation Martienne avec nous pour le moment, mais nous allons vous renvoyer parmi les nôtres.

-C'est que, nous étions arrêtés et nous avons dû nous évader pour venir ici. Je crains que nous ne puissions pas rentrer aussi facilement.

-C'est qu'ils n'ont pas compris votre utilité. J'accepte donc que vous restiez auprès de nous. J'expliquerai à vos supérieurs que vous n'avez pas à être inquiété lorsque nous nous révélerons. Bien : j'ai encore du travail. Vous me voyez désolé de vous laisser, mais j'y suis contraint. Ce vaisseau est le vôtre : allez où vous voulez. »

Il se dirigea immédiatement vers la sortie, de nouveau salué par l'intégralité de l'équipage. Les deux Terriens sortirent par la même porte et se mirent assis sur les sièges qui étaient à l'entrée de la navette personnelle de ce chef pirate.

« Federico ? Que pensez-vous de lui ?

-Je ne sais pas. Il a causé la mort du Kolbarba et de tant d'autres. Pourrait-il être réellement avec nous ?

-Vous croyez à son histoire ?

-De Terrien ? Peut-être. C'est possible non ?

-Oui, c'est bien ce qui me trouble. Sa mission remonte à après 2043, l'année où le gouvernement a stoppé la conquête spatiale. Rien n'est sorti à cause de l'imprévu que la mission a rencontré : la présence d'une population apparemment hostile. Mais dans ce cas... Cela signifie que les responsables du projet et le gouvernement étaient au courant.

-Attendez. Ils nous auraient renvoyés en connaissant le danger ?

-Ce n'est pas pour rien que nous étions quarante, armés, régulièrement renforcés par d'autres expéditions selon un planning précis. Presque tous les envois étaient militaires. Ils étaient au courant. Ils savaient pertinemment que Mars était habitée, et ils ont voulu retenter d'une façon plus forte. 

-Vous pensez que c'est lié au plan d'évacuation ?

-Pour moi, c'est plus qu'évident. Ils nous ont menti, Carmen. Ils nous ont pris pour des demeurés et nous ont utilisés. Leur but est de réinstaller les élites par la force sur Mars.

-Et Gurracha ?

-Lui, je ne sais pas. Je pense qu'il est sincère et qu'il n'a jamais plus eu de communications avec la Terre après son incident. Mais cela risque de perturber un peu les plans du gouvernement. Ils ne comptent pas évacuer tout le monde alors que lui en a bien l'intention.

-Ce qui est mieux.

-Sans aucun doute. 

-Reste à voir comment ils réagiront.

-Ils ne pourront pas lutter s'il a la puissance de frappe de ses pirates réunis, la preuve aujourd'hui. Ils devront accepter son intervention, et nous serons obligés de le soutenir, parce qu'il a pour objectif ce qui est le plus juste.

-Par des moyens illégaux et violents.

-Oui, je le sais bien. Mais observez : la situation sur Mars est en train de se rétablir parce qu'Hanrel et Nox ont procédé à un coup d'Etat. Bien sûr, les deux sont plus que différents mais l'idée reste la même. Nous mêmes sommes hors-la-loi pour cela.

-Donc ? Que faisons-nous ?

-Pour le moment, nous attendons. Gurracha a choisi de se faire entendre par la violence mais ne va sûrement pas continuer, ou il sera considéré comme dangereux.

-Ses soutiens le lâcheraient et on ne l'écouterait plus. Donc il va négocier et dialoguer. 

-Exactement, lieutenant. Nous n'avons rien à craindre pour Hanrel et Zalos. Peut-être qu'après, nous pourrions même lui demander de retourner avec eux en attendant qu'il entre en contact avec notre base. »

*

19 septembre 2115, 13:00

Campement Terrien

« Mais madame la ministre...

-Silence Ravishna ! Vous êtes un raté et un incompétent ! Comment avez-vous pu les laisser échapper ? Et Vandervoorde ? Qu'est ce qu'il fait sur cette planète si c'est pour laisser filer tout le monde ?

-Madame, le ministre a exigé d'être très activement impliqué dans la mission, il côtoie toute la journée les équipes et n'a presque pas dormi cette nuit. Il est comme subjugué par ce qui se passe. Je n'arrive pas à le raisonner.

-Mais quel imbécile, on ne l'a pas envoyé pour ça ! Tenson évadé, c'est la meilleure.

-Federico également madame...

-Je me fous éperdument de Federico. C'est Tenson qui m'inquiète ! C'est lui qui est capable de tout bouleverser.

-Lorsque vous dites tout ?...

-Oui, monsieur l'ingénieur-chef, vous m'avez très bien compris. Je veux dire : tout. Ce serait insupportable. Je ne le tolérerais pas, et le gouvernement non plus.

-Et le ministre de la Défense ?

-Lui ? Laissez le s'amuser dans son bac à sable, il ne gêne pas. Le jour où il faudra le remplacer, le président s'en chargera et rien ne sera bousculé.

-Il est très apprécié, il ne faut pas l'oublier.

-L'Armée ne va pas faire un coup de force pour un ministre, Ravishna. Utilisez un peu votre cerveau. Nous pourrions même nous arranger pour faire croire qu'il a décidé de partir et personne ne s'affolera.

-Comme vous voudrez.

-Ce n'est pas moi qui veux, vous le savez très bien. Vous et moi avons des engagements, et mieux vaut les honorer. Petrov, terminé. »

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