Les exilés - 3

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Cette journée d’août était particulièrement chaude : la sueur ruisselait entre les omoplates des faucheurs, qui s’activaient au milieu des étendues dorées de blé mûr. On n’entendait guère plus que leur ahanement et le vrombissement incessant des insectes, dans l’air tremblotant. Dans l’un des champs, une parcelle un peu plus petite que les autres, deux silhouettes s’affairaient, abattant leurs faux dans un mouvement précis, économe en effort, qui leur permettait de maintenir ainsi le rythme depuis plusieurs heures. L’un des paysans redressa son échine en soupirant d’aise.

– C’est du bon boulot, Daniel, félicita Florent en assénant une claque sur le dos nu de son compagnon, qui poussa un cri de douleur.

Florent leva un sourcil en observant ledit dos.

– Brûlé jusqu’à la moelle ! Quand on a une peau comme la tienne, rouquin, on ne s’amuse pas à enlever sa tunique en plein soleil. Quand bien même on veut se faire admirer des jeunes filles.

Daniel, qui tâchait assez inutilement de se tourner pour constater l’étendue de son coup de soleil, le regarda avec perplexité à cette dernière injonction, et Florent désigna d’un pouce goguenard un point derrière lui. Suivant la direction indiquée, Daniel aperçut au fond du champ fraîchement moissonné, une tête brune tranchant avec le doré des épis. Se voyant aperçue, la coupable disparue vivement.

– Romane ? C’est une gamine !

– Une gamine ? Elle serait fâchée d’entendre ça… Elle va sur ses quinze ans, tu sais ! Et il me semble que ses parents ne voudront pas tarder à vouloir la marier.

Daniel haussa les épaules.

– Bon ! Elle ne manquera pas de courtisans. Les hommes célibataires sont nombreux par ici.

– Hum ! Je te ferais remarquer, Daniel, qu’aussi nombreux soient les hommes célibataires, c’est toujours le même champ qu’elle vient espionner !

– Comment ça ? On l’a vue juste aujourd’hui !

Tu l’as vue juste aujourd’hui. Ce n’est pas la première fois. Allons, ne reste pas ainsi au soleil ! Viens à l’ombre, on va boire un coup.

Ainsi firent-ils : l’ombre épaisse d’un grand orme leur servit de refuge contre les rayons brûlants. Ils se désaltérèrent à longs traits aux gourdes qu’ils avaient apportées. Devant eux la plus grande partie du champ de blé était moissonné à ras, une dernière parcelle brandissait encore ses épis qui remuaient à peine. Au-delà, d’autres silhouettes s’affairaient : c’était encore l’heure de la pleine activité. Non loin, les toits de Saint-Benoît se laissaient voir : ils avaient encore un fier aspect de neuf.

– Tu ne songes donc jamais à te marier, Daniel ?

– Avec qui ? demanda distraitement son interlocuteur qui s’était mis à rêvasser et avait perdu le fil de la conversation.

– Avec qui ! Et de qui parle-t-on ? Avec Romane, par exemple. Ou avec une autre.

– Romane est trop jeune.

– Plus pour longtemps. C’est une brave fille, ardue à la tâche quand elle s’y met, et point laide. Que lui reproches-tu ?
-Rien de particulier. Je ne la connais pas vraiment. Elle me paraît tout de même trop jeune.

Florent lui coula un regard en biais.

– Je vais finir par croire les rumeurs.

– Allons bon. Que disent les rumeurs ?

– Que tu es bougre.

– Grand bien leur fasse. Si ça peut m’éviter de me faire poursuivre par des parents qui tâchent à toute force de marier leur fille.

Florent rit.

– Si tu te mariais, tu pourrais avoir ta tenure à toi.

– Hmm.

– Et une mère à Amelina, ce serait bien pour elle.

– A ce propos, dis-moi, rétorqua Daniel heureux de trouver moyen de détourner la conversation, est-ce qu’Estelle ne serait pas à nouveau enceinte ?

Florent en fut abasourdi.

– Comment le sais-tu ? Elle te l’a dit ?

– Non point. Cela commence à se voir, simplement.

Son jeune vis-à-vis lui renvoya un regard suspicieux.

– Ça ne se voit pas du tout. Elle en est à… à peine deux mois.

– Ah ! Je le savais bien, fit Daniel en hochant la tête avec satisfaction. Je te félicite.

Le visage de Florent s’éclaira.

– Bon ! Mais garde ta langue. Estelle ne souhaite pas le révéler tant que le troisième mois n’est pas passé. Moi-même, je n’ose pas trop espérer jusque-là. Mais vraiment, comment l’as-tu deviné ?

– Ma grand-mère est accoucheuse. Elle m’a appris à reconnaître les signes.

– Tu parles d’elle au présent. Elle est encore vivante ?

– Peut-être… je ne suis pas sûr, répondit Daniel en s’assombrissant brusquement.

Il replongea dans le silence. Florent secoua la tête. « Bah ! pensa-t-il, garde tes secrets. Ici, nous sommes tous un peu des rénégats qui cherchont une vie meilleure. »

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