Le chancelier - 1

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La porte de la chambre de parement s’ouvrit et on annonça :

– Edouard de Pondor !

Victor se leva pour accueillir son ami. Il le trouva peu changé, si ce n’était un nouveau trait de mélancolie sur le coin de sa bouche. En revanche, Edouard le considéra attentivement, ce qui était chez lui la seule marque de la surprise, son visage restant éternellement affable et un rien cynique par ailleurs.

– Victor, mon ami, je suis heureux de te revoir, mais permets-moi de te dire que ton accession au duché ne semble pas réussir à ta santé.

Victor avait grossi puis démesurément maigri de nouveau, il le savait. Cela donnait comme l’impression qu’il flottait dans une peau trop grande pour lui. Des cernes tombantes entouraient ses yeux et son teint était cireux. Victor n’ignorait rien de tout cela mais la remarque de son compagnon l’atteignit pourtant au cœur. « Il est pourtant bien vrai que mon rêve le plus cher s’est réalisé et que je suis plus malheureux que jamais. »

– Tu m’as bien manqué, Edouard ! J’aurais eu grand besoin de tes conseils avisés. Je ne suis ici entouré que d’ennemis, il me semble.

Edouard s’assit sans y être invité devant la petite table de collation, et, toujours sans y être invité, se servit une rasade de vin dans la coupe qu’il savait avoir été préparée à son intention. Victor n’était certes pas porté sur le protocole et les courtoisies, et le sachant, Edouard ne s’en formalisait ni ne s’en embarrassait. Il servit aussi son ami et poussa sa coupe vers lui.

– Mon cher Victor, tu sais bien que la famille de feu mon épouse ne réside pas précisément dans le patelin voisin.

– Une absence de presque deux ans tout de même !

Edouard secoua vaguement la tête sans se justifier davantage. La mort de son épouse germanique l’avait affectée plus qu’il ne le laissait paraître. Son séjour prolongé dans les contrées allemandes lui avait paru si doux qu’il avait bien failli demeurer à jamais sur les terres d’enfance de sa femme défunte.

– Je sais que tu n’as pas particulièrement la bonhomie et le sourire facile qui attirent les amitiés, mon bon Victor, mais tout de même, que des ennemis, n’exagères-tu pas un peu ? Je gage que bien des alliances doivent être recherchées avec le duc d’Autremont.

– Ça, des alliances ! Ce bailli qui s’est hâté de me fourrer sa fille frigide entre les pattes ! Qui s’est probablement empressée de grossir le rang des conspirations contre moi.

– Rien que ça, des conspirations ! Tu es devenu un homme important, dis-moi, pour être l’objet de conspirations, dit Edouard d’un ton parfaitement égal en sirotant son vin.

Comme bien souvent, Victor le regarda, hésitant à se mettre en colère. Edouard gardait toujours un visage impassible et une voix unie pour énoncer des paroles sarcastiques, si bien qu’on ne savait s’il se moquait ou non.

– Ecoute, reprit Victor, et quelque chose dans sa voix fit enfin redresser la tête à l’imperturbable Edouard. Que fais-je mal ? Autremont s’appauvrit. Mes vassaux traînent à obéir à mes requêtes, que cela soit en hommes ou en argent. On me discrédite auprès du roi, je perds de l’influence. Je suis pratiquement certain qu’un réseau au sein d’Autremont – peut-être même au sein du château – recherche Amelina pour m’opposer une rivale. Je voudrais pourtant qu’Autremont soit florissant ! Je voudrais que les regards se lèvent sur mon passage et brillent ! Que l’on pense « voilà le bon duc ! » Que fais-je moins bien que les anciens ducs, dis-moi ? Ta terre est riche et prospère. Conseille-moi !

– Mon ami, il me faudrait bien plus qu’un instant de réflexion pour t’aider en la matière. Il faudrait que j’étudie…

– Sois mon chancelier, interrompit Victor.

Cette fois, Edouard lui-même fut pris au dépourvu. Ce n’était pas une mince charge que lui était proposée là.

– Tu n’en as pas ?

– Je ne fais confiance à personne… sauf à toi.

Edouard porta son hanap à ses lèvres et sirota une gorgée de vin. Son regard se fit rêveur. Victor suivit anxieusement le cheminement de sa réflexion sur son visage jusqu’à ce que son ami dise enfin :

– J’en serais honoré.

Victor s’éclaira.

– Je te paierai royalement, promit-il. Je vais demander tout de suite à ce que l’on te prépare une pièce pour ton office.

– Victor, je puis t’aider à redresser l’économie de ton fief, mais il est un combat politique que tu devras bientôt affronter seul.

– Lequel ?

– Sur le retour, j’ai entendu dire que dame Jehanne de Beljour était en vie et avait récupéré son comté.

Edouard se rappela trop tard que Victor était sujet à des crises sous l’effet d’émotions fortes. Il vit son ami pâlir et comme suffoquer ; il se leva d’un bond pour appeler au secours. Mais Victor le retint par le tissu de sa cotte au moment où il passait devant lui.

– Je… je vais bien. Inutile d’appeler.

Sa voix presque inaudible démentait ses propos, mais son visage affichait maintenant une sorte de grimace qui ressemblait à un sourire qui n’ose éclore.

– Jehanne… vivante ? En es-tu sûr ? Non, tu me donnes de faux espoirs ! Je l’ai vu moi-même chuter d’une hauteur mortelle !

– Il semble pourtant que ce soit elle. La maisonnée de Beljour l’a reconnue et personne ne conteste son retour. As-tu vraiment des raisons de te réjouir, mon ami ? Il me semble que dame Jehanne est actuellement en passe d’être ton plus grand adversaire sur le trône ducal. Son retour met ta légitimité en péril.

– En péril ? Ah, oui, cette femme est un péril…

Le regard de Victor se fit lointain et Edouard se demanda si son ami était devenu tout à fait fou. Un large sourire lui transfigurait à présent le visage. Puis il sembla émerger d’un rêve et déclara :

– Edouard, elle est au contraire ma meilleure chance d’asseoir ma légitimité. J’en ferai mon épouse comme me l’avait promis le roi et personne n’osera plus contester ma place.

Edouard pinça les lèvres d’un air dubitatif.

– Victor, tu es déjà marié.

– Bah ! Le mariage n’a jamais été consommé. Je le ferai annuler !

Edouard leva un sourcil mais ne posa pas davantage de question.

– Il me semble que tu oublies aussi que tu es responsable de la mort de son défunt mari ; que tu as pourchassé sa fille jusqu’à Beljour, que tu as ensuite tenté d’annexer par les armes ; et que la dame a sans doute déjà appris tout cela. Pour récupérer son comté, t’ai-je dit ? Elle s’est battu contre son frère et l’a pratiquement étendu mort. C’est une femme implacable qui vient chercher vengeance. Comment peux-tu espérer en faire ton épouse ?

– Ah, elle a vaincu son frère ! Cela ne m’étonne pas ! Ce lâche ne fait certes pas le poids face à elle. Ne te souviens-tu d’elle, Edouard ? Quelle femme c’était ! Un mistral, une flamme ardente !

– Une flamme ardente qui a toutes les raisons de te voir consumé.

– Elle se soumettra au roi néanmoins.

– Et quel bonheur espères-tu avec une telle femme mariée par contrainte ? Elle me semble de taille à te faire vivre un enfer, à tout le moins.

Les plis barrèrent un instant le front de Victor. Il se passa les mains sur le visage, comme pour y tâter la peau de ses joues. Puis il acheva son geste comme pour écarter d’un revers de main toutes ces objections.

– Allons ! J’en fais mon affaire. Je saurai bien la faire changer d’avis. Je trouverai sa fille, et cette fois pour la prendre sous ma garde, tu verras ! Elle n’osera rien me refuser alors… je lui ferai un fils, ce sera quand même ma lignée qui sera sur le trône ducal.

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