Les rescapées - 1

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– Je t’assure, Jehanne, Camille n’était au courant de rien. Crois-moi, elle t’est plus loyale qu’à…

– Assez.

Jehanne réprimait avec peine sa fureur, les poings serrés. Aubin devant elle avait une mine figée et pitoyable, Camille était éplorée, courbée, presque à genoux.

– Ma dame, la faute m’incombe à moi seul, dit Gontran derrière le jeune homme. Si vous devez punir quelqu’un, c’est moi. J’ai failli à ma…

– J’ai dit silence !

Et silence se fit, épais de toutes les accusations et de l’accablement qui planaient. Le sang de Jehanne bouillait, mais il fallait qu’elle retrouve son calme, car elle devait réagir très rapidement.

– Où est le servant qui était chargé de nourrir Stéphane ? Gontran, trouve-le et amène-le. Je le veux à la salle de parement à l’instant. Camille, retourne à tes quartiers et restes-y jusqu’à nouvel ordre : si j’apprends que tu as mis un pied dehors sans mon autorisation, je te considérerai comme une traîtresse.

Gontran quitta aussitôt la pièce. Camille ouvrit la bouche et la referma. Les larmes aux yeux, elle disparut. Ostensiblement, Jehanne ouvrit un coffre et accrocha une dague à sa ceinture. Sans regarder personne, mais escomptant qu’Aubin et Laurine la suivraient, elle se dirigea vers la salle de parement à grandes enjambées. Ses pensées tourbillonnaient.

A qui faire confiance désormais ? Il était évident que Stéphane avait bénéficié de complicité pour parvenir à s’enfuir. Le fait que Camille s’était engagée auprès d’elle peu avant était-il vraiment une coïncidence ? Et Gontran, l’ancien soldat de son frère, n’avait-il pas été tenté de fermer les yeux sur qui entrait et sortait de la chambre du prisonnier ? Elle soupçonnait jusqu’à Claude Beauregard, qui aurait pu lui ouvrir la poterne et la grille qui menait à la rivière. Comment savoir à qui faire confiance désormais ? Il lui semblait être entourée d’un réseau de traîtres, comme un filet invisible qui un jour serrerait ses rets autour d’elle.

Le servant lui fut bientôt amené. Il arborait une mine calme mais sa bouche tressautait nerveusement. Il nia tout, mais ses réponses laconiques même étaient une preuve de sa culpabilité : il s’attendait à être interrogé et avait préparé ses réponses. Jehanne se sentit prise d’une haine irraisonnée envers cet homme. « Il faut qu’il parle ! »

Un souvenir lui revint soudain à la mémoire. « Alors, qui est le père de ton enfant ? » Et une douleur aiguë. Elle se souvenait où exactement.

– Tiens-le, Gontran.

Elle prit le bras du servant immobilisé et vint appuyer à un point précis. L’homme eut un hoquet. Jehanne renforça la pression et il laissa échapper une sorte de jappement.

– Je sais que tu me mens. Je puis te tourmenter bien plus encore. Dis-moi la vérité et je serai peut-être clémente.

– Ma… dame…

– Parle !

– Je… Pardonnez-moi ! C’est dame Hersande qui m’a donné les ordres…

Elle le relâcha. Elle voyait la terreur dans ses yeux. Il la croyait capable de le faire torturer à présent. Il avoua tout, la manière dont Stéphane et Hersande échangeaient par message, le carreau brisé qu’il avait vu le soir de sa fuite.

– Qui d’autre est dans la confidence ?

– Je… je l’ignore… je vous le jure ! Je n’ai reçu des ordres que de dame Hersande…

Jehanne le crut, parce qu’il aurait été idiot de la part de dame Hersande de lui laisser savoir davantage et elle ne pensait pas que dame Hersande fût stupide. Comme le château des Beljour ne comportait pas de geôle, elle ordonna à Gontran d’enfermer le servant dans un débarras et de garder la clef par-devers lui. Puis elle se prépara à la seconde joute. Elle se doutait que celle-ci serait plus difficile.

***

Le claquement du métal contre le métal fit dresser l’oreille à Hersande. Elle se dressa aussitôt sur son siège, composant son attitude. La clef acheva de faire jouer le mécanisme et la porte s’ouvrit. Hersande s’attendait à cette visite. Jehanne et elle se firent face, la comtesse déchue assise, et la comtesse revenue debout.

– J’ai été trop clémente avec vous. J’aurais dû vous faire mettre aux fers avec votre époux.

Hersande laissa voir un infime rictus de victoire. Ainsi la fuite de Stéphane avait réussi.

– Gardes ! cria Jehanne.

Hersande se raidit, mais elle resta digne, même quand les deux soldats l’empoignèrent. Ce n’étaient pas ses hommes, ils ne l’aideraient pas. Jehanne s’approcha d’elle tandis qu’elle était ainsi maintenue. Ses yeux flamboyaient cruellement.

– Quelle récompense devrais-je vous donner pour toutes vos perfidies, chère belle-sœur ? Devrais-je vous couper la main comme il semblait être de coutume ici ?

Hersande pâlit, mais ne dit rien. De quoiqu’on la menace, elle ne supplierait pas.

– Votre cher époux vous a abandonnée, à ce qu’il semble. Vous pensait-il à l’abri de mon courroux ?

Elle fit un signe aux gardes.

– Allons.

Elle lui conduisit vers la tour la plus au nord, tout à son faîte. Une seule porte permettait de déboucher sur le chemin de ronde qui accédait par quelques marches à une large terrasse. Les créneaux y étaient gluants de gel. Il n’y avait nul endroit pour s’abriter de la bise hivernale et des intempéries. Lorsque Jehanne y eût amené sa prisonnière, elle se tourna vers elle. Hersande grelottait déjà.

– Votre robe est bien fine, chère belle-sœur. Il est vrai que vous aviez un bon feu chez vous. Combien de temps pourrez-vous tenir ici, je me le demande ?

Hersande tâcha de rester digne, mais un éclair de détresse jaillit de ses yeux.

– Donnez-moi le nom de tous ceux qui vous ont aidée à faire évader mon frère, et je me laisserai peut-être apitoyer… Non ? Nous verrons si vous ne guérirez pas de votre mutisme ici. Soyez heureuse que je ne vous fasse pas déshabiller entièrement… cela pourrait survenir, si vous me faites trop perdre patience. Et n’espérez pas qu’un de vos complices vous vienne en aide : seule Laurine vous délivrera vos repas… de temps à autre. Et si vous vous jetez, ne croyez pas que je vous pleurerai.

Hersande eut un mouvement, trop tard, lorsque la seule porte qui menait vers un abri fut close et verrouillée.

***

– Jehanne…

Laurine et Aubin avaient suivi de nouveau Jehanne jusqu’à sa chambre, comme deux ombres silencieuses. Mais Laurine n’avait pu s’empêcher, arrivée à l’orée de ladite chambre, de prendre Jehanne par le bras pour tâcher de la faire se tourner vers elle, pour chercher dans son regard une trace de l’ancienne Jehanne qu’elle connaissait. Mais Jehanne la repoussa rudement.

– Laisse-moi. Et toi aussi, Aubin. Je veux être seule.

La porte se referma avec brutalité sur les deux jeunes gens.

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