Le Mont - 3

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Armand était inquiet et impatient. Il redoutait à tout moment voir les soldats paraître de nouveau.

– Cette femme t’en veut, elle pourrait te dénoncer et les mener à nous.

Daniel ne pensait pas Bérangère capable d’une telle vilenie, aussi fort soit son ressentiment. Mais il avait déjà été si souvent trahi qu’il n’osait plus jurer de rien. Il se méfiait davantage d’Armand. Qu’un ange protecteur lui soit ainsi envoyé par sa dame disparue lui paraissait trop beau pour vraiment y croire. Il lui était étrange d’avoir cet étranger au flanc plutôt que Bérangère et les frères Amiel qu’il n’avait même osé chercher pour leur dire adieu.

– Nous devons quitter le Mont au plus vite, insistait Armand.

Ils étaient accotés contre un mur au plus bas de l’île, où se situaient les écuries.

– La marée n’est pas basse avant plusieurs heures, observa Daniel. Si les soldats en ont vraiment après nous, ils feront espionner la porte et attendront de nous y voir paraître à l’approche de son ouverture.

Armand secoua la tête.

– Il faut quitter l’île avant !

– Tu veux nous noyer !

– Si nous sommes à cheval et qu’elle n’est plus très haute, ça ira ! Je puis bien payer les portiers pour qu’ils nous ouvrent la poterne une heure en avance.

– C’est folie ! Même avec un guide, nous ne saurons pas reconnaître le chemin. Attendons qu’un flux important de pèlerins quitte le Mont et mêlons-nous à eux, c’est la meilleure façon de n’être pas aperçus.

A la fin, Armand dut reconnaître que c’était là l’option la plus sage. Il réfréna son impatience en allant s’occuper de son cheval.

– Ça me fait penser qu’il t’en faut un.

– Les chevaux nous rendent visibles. Ne vaudrait-il pas mieux être à pied ?

– Je ne vais pas abandonner mon cheval au Mont. De toute façon, je préfère que nous soyons rapides.

– Nous ne serons pas rapides au moment de quitter le Mont si nous sommes dans le flot de pèlerins.

Mais Armand ne se laissa pas convaincre sur ce point. Daniel le comprenait : il avait lui-même été très attaché aux montures qu’il avait eues par le passé. Il ne fut d’ailleurs pas mécontent lorsqu’Armand lui choisit une belle jument et lui acheta en sus tout le harnachement. Il passa quelque temps avec l’animal pour qu’ils fassent connaissance, parvint même à y percher Amelina qui ne semblait nullement effrayée.

– On va galoper ?

– Pas tout de suite, petit oiseau, on attend que la mer descende.

– C’est quand ?

– Bientôt.

– Dans moins d’une heure, intervint Armand qui revenait d’une fraîche cueillette de l’information.

– Mais nous ne partirons pas dans les premiers, rappela Daniel.

Armand grogna. Il sortit de nouveau pour tâcher d’apaiser sa nervosité. Après s’être amusée un temps sur la jument, Amelina tendit les bras pour être récupérée par Daniel ; quand il voulut la poser au sol, elle s’accrocha à son cou et déclara :

– Je veux que Léon vienne avec nous.

– … Ce n’est pas possible, petit oiseau. Léon reste avec sa mère et ils ne peuvent plus nous accompagner.

– Pourquoi ?

– Des hommes nous cherchent, les soldats de tout à l’heure. Nous mettrions Bérangère et Léon en danger. D’ailleurs, Bérangère veut rentrer à Paris et nous, nous allons à…

Armand surgit de nouveau, essoufflé et le regard affolé.

– Les soldats arrivent ! Il faut partir tout de suite !

– Armand ! Tu t’es fait repérer ?

– Ils ont dû mettre des yeux partout dans la ville basse ! Je n’y peux rien !

La panique d’Armand était si palpable qu’il était difficile de ne pas se laisser contaminer par elle. Avec un terrible sentiment d’avoir déjà été dans cette situation trop de fois, Daniel détacha sa nouvelle monture et la tira hors des écuries pour y percher de nouveau Amelina. Quelques instants plus tard, ils galopaient vers la porte des remparts où les pèlerins sortants s’amassaient déjà. Armand ne ralentit pas son allure et les piétons effrayés s’ouvrirent comme la Mer Rouge devant son coursier. Arrêtant brusquement celui-ci à hauteur du portier, il lui cria :

– Ouvre la poterne !

L’homme les regarda avec ébahissement.

– La marée n’est point assez basse, messires, vous ne pouvez…

Le jeune cavalier blond n’était pas d’humeur à palabrer. Il dégaina son épée et la pointa vers l’homme.

– Ouvre !

Le portier s’exécuta, non sans marmonner fortement dans sa barbe.

– L’eau recouvre le chemin, ces fous-là seront pris dans une fondrière, oui, ce ne sera pas faute de les avoir avertis, pauvre Claude…

Il avait raison : un rideau d’eau couvrait encore la baie comme un miroir presque uniforme. Armand s’y élança pourtant, le galop de son coursier projetant de grandes éclaboussures. Daniel n’eut d’autre choix que de le suivre, tout en tâchant de crier :

– Arrête ! Mieux vaut encore nous battre !

– A deux contre cinq ! Mais tu auras peut-être ta chance, les voilà déjà !

Jetant un œil en arrière sur le coursier à pleine vitesse, Daniel constata avec alarme que son compagnon disait vrai : ils étaient déjà poursuivis. Cinq silhouettes de cavaliers se dessinaient devant le Mont. Ils paraissaient hésiter à les suivre – ce qui était peut-être l’espoir d’Armand.

Daniel avait-il, en se retournant, dévié son coursier de la ligne tracée par son compagnon devant lui ? Il sentit la jument perdre pied, tâcher à grand effort de redresser sa course, finalement glisser et s’enfoncer dans le sol devenu brusquement meuble sous ses sabots. Son hennissement de détresse retentit dans la baie. Amelina faillit tomber dans la vase mais Daniel la retint in extremis sur le dos du cheval. Celui-ci patinait désespérément mais ne parvenait pas à s’extirper de la fondrière où il était enfoncé jusqu’au poitrail.

– Armand !

– J’arrive !

Un instant plus tard, il était auprès d’eux et démontait. Approchant avec précaution du bord invisible de la fondrière, il tendit les bras pour recevoir Amelina que lui présentait Daniel et la jucha sur sa propre monture. Puis il aida Daniel à sortir à son tour de la vase qui s’agrippait à ses vêtements comme si elle relâchait à regrets sa proie. A eux deux, ils s’arc-boutèrent pour tirer sur les rênes afin de tenter de dégager le cheval prisonnier. Jetant un coup d’œil en arrière, Armand jura : voyant leur difficulté, les cavaliers s’étaient décidés et fonçaient maintenant vers eux.

– Daniel. Ecoute…

Armand lâcha les rênes et poussa brutalement son compagnon sur le côté. Daniel atterrit les deux mains dans l’eau.

– Nous sommes trop lourds à trois sur un seul cheval. Je suis désolé. Je te promets que je ramènerai Amelina à sa mère.

Ayant dit, Armand se détourna vivement pour rejoindre sa monture et sauta sur son dos derrière Amelina. Celle-ci poussa un cri lorsqu’il éperonna le cheval.

– Dan’ !

Elle se tortilla pour s’échapper, mais le jeune homme la tenait trop fermement.

– Dan’, Dan’ !

Armand n’avait pas vraiment frappé Daniel, mais il resta comme assommé quelques secondes, regardant avec ébahissement le cheval s’éloigner et emporter sa nièce. Puis se relevant, il tâcha dans un effort vain de tirer tout seul la pauvre jument de son piège, trop conscient du bruit toujours approchant de l’eau martelée par le galop de ses poursuivants. Enfin il dut admettre qu’il ne parviendrait pas à s’enfuir ; tâchant de retrouver un sol ferme sous ses pieds, il dégaina son ancienne épée tout juste retrouvée. Il sentait éminemment comme il était pitoyable dans cette position, l’eau lui montant presque jusqu’en haut de ses chausses, tout couvert de vase qu’il était, seul face aux cinq cavaliers. Il ne bénéficiait pas, cette fois, du couvert de la forêt ; cette fois, il le savait bien, il ne vaincrait pas face à tant d’hommes.

Ceux-ci ne prirent pas la peine de lui laisser l’occasion d’un affrontement : ils l’entourèrent, puis le plus âgé des cinq abaissa tranquillement sa lance jusqu’à Daniel, bientôt imité des autres.

– Lâche tes armes.

Daniel n’avait pas d’autre issue, il ne l’ignorait pas ; mais il peinait à s’y résoudre, serrant fort la poignée de l’épée offerte par Vivian, qu’il avait retrouvée trop brièvement. C’était la fin de la course, la fin de la fuite, après tant d’années – il ne pouvait y croire. Le temps d’un battement de cœur, il écarta légèrement ses paumes pleines de vases pour admirer le chevron gravé sur la poignée de sa lame. Puis, avisant l’espace entre deux cavaliers, il lança l’arme aussi loin qu’il put en direction des fondrières. Elle acheva son vol à quelques mètres et disparut sous l’eau. Comme les soldats avaient brièvement tourné la tête pour suivre sa course, il dévia l’une des pointes face à lui d’un brusque mouvement du bras et tira sur la tige de toutes ses forces. D’instinct, le soldat s’y accrocha et bascula à bas de cheval. Daniel se jeta dans l’espace libre en tirant l'épée du malandrin, dans l’espoir fou de pouvoir tuer ce soldat et s’emparer de son cheval ; mais un coup violent lui vrilla la tête et il tomba en avant. Son arme lui fut aussitôt retirée et quelqu’un lui tira les cheveux pour le redresser.

– Diable d’homme ! cria la voix de fer au-dessus de lui. C’était ton dernier tour et tu regretteras de n’avoir pas été encore plus malin ! Alain, attache-le.

Alors que Daniel, à demi-étourdi, était maintenu, l’adolescent androgyne rencontré quelques heures plus tôt descendit de cheval et s’approcha sans beaucoup de hâte. Ses yeux étaient brûlants d’un mélange de frayeur, de défi et de haine. Daniel en aurait été étonné, s’il lui était resté la capacité de ressentir un tel sentiment. Qu’est-ce qui pouvait provoquer une réaction si passionnée chez un garçon qu’il ne connaissait pas ? Il ne lui opposa pas de résistance mais ça n’empêcha pas le jeune soldat de serrer les liens à lui écorcher la peau.

– Et les autres ? demanda le troisième acolyte.

– Cette baie est trop traître, répliqua celui qui semblait être le chef. Soit ils seront piégés à leur tour et nous n’aurons plus qu’à les cueillir lorsque l’eau aura baissé. Soit nous parviendrons bien à suivre leur trace. Retournons au Mont.

– Mais le chanoine a dit…

– Le chanoine ne descend pas jusqu’à la ville basse et d’ailleurs peu m’importe, il nous a suffisamment mis de bâtons dans les roues.

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