Chapitre 55 : Phidias

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Un matin paisible, Georges Roche se retrouva plongé dans ses pensées. La lueur du jour se glissait à travers les rideaux entrebâillés. Installé dans son fauteuil préféré, le jeune homme savourait ce rituel matinal qui adoucissait un peu sa peine et sa douleur. À sa droite, un buffet élégant se dressait, orné de souvenirs et de livres anciens qui racontaient des sagas silencieuses. Sur ce buffet reposait une tasse de thé fumante, dont la vapeur dansait gracieusement dans l'air. À côté, une assiette de croissants frais attendait d'être dégustée. Il entendit frapper à la fenêtre. Il se retourna et vit un museau apparaître brusquement devant lui entre les carreaux. C’était un chat remarquable. Ils s’examinèrent un instant avec étonnement. Les yeux de l’animal étaient étranges. Ils étaient verts, mais le garçon s’aperçut que le pigment mélanique des pupilles était traversé par la lumière ; elles viraient au jaune. Cela leur donnait une teinte dorée. Ce greffier était spectaculaire, avec son pelage bicolore noir et blanc qui rappelait les contrastes saisissants de l'Histoire. Une petite masse de poils ébène sur sa tête évoquait une frange de cheveux rebelles. Tandis qu'une fine moustache au-dessus de sa lèvre supérieure semblait être une allusion discrète à une figure légendaire. En le regardant, on aurait dit que la réincarnation féline d'Adolf Hitler se tenait face à Roche, une allégorie étrange, mais évocatrice de la complexité du monde qui l'entourait. Le félin, quant à lui, observait Georges avec une curiosité non dissimulée. Ses yeux d'un vert intense paraissaient refléter une intelligence inattendue, comme s'il comprenait bien plus que ne le laissait penser son apparence carnassière. Alors que le jeune homme s'émerveillait devant sa métaphore sur la résurrection d'Adolf Hitler, la bête, elle, échappa un petit miaulement. Elle paraissait exprimer son désaccord ou sa surprise face à cette comparaison étonnante. Ses mouvements étaient agiles et mesurés, trahissant une assurance propre à un être conscient de sa singularité. Sans un mot, le chat avait une présence presque humaine qui suscitait une multitude de questions dans l'esprit du garçon. Georges ouvrit la fenêtre. L’animal entra, passa par le buffet et se jeta sur Roche afin de lui lécher le visage. Puis, il laissa l’humain finir sa tasse de thé. Enfin, le carnassier, d'un geste habile, saisit délicatement une miette de croissant qui traînait sur la table.

— Hou ! Tu es un voleur de petit-déjeuner, plaisanta l’homme en le grattouillant derrière les oreilles. Le chat, satisfait de son larcin matinal, se mit à ronronner doucement. C'est alors que le garçon eut une idée. Il décida de jouer avec et de tester son agilité et sa ruse. Il cacha une petite friandise sous un coussin et observa le matou se faufiler pour la découvrir. À sa grande surpris, le mistigri était non seulement rapide, mais aussi incroyablement astucieux. Il trouva le bonbon en un rien de temps, déjouant les attentes du jeune homme. Cette interaction ludique fit naître en Georges un sentiment d'admiration envers le félin. Il songea alors :

« Je n'ai aucune illusion sur les mobiles de cette soudaine affection. Tu es venu pour goûter le sucre. »

Y compris dans la peine, Roche restait ouvert aux rencontres et aux expériences qui élargissaient sa perspective sur le monde, même si elles pouvaient sembler étranges ou inattendues au premier abord. C'était une invitation à embrasser la diversité et la complexité de la vie, car ce sont généralement ces moments spontanés qui apportent un éclat de nouveauté et de joie à notre quotidien.

Alors que le jeune homme observait le chat jouer avec l’aliment, une idée traversa son esprit comme un éclair. Il réalisa soudain qu'il devait trouver comment nommer ce compagnon qui avait si brusquement fait irruption dans son existence. Une tasse de thé fumante entre les mains, il laissa ses pensées vagabonder vers le choix de noms qui serait à la fois significatif et empreint de respect pour cet être qui lui avait provoqué un petit émoi affectif.

Il se remémora un article d'histoire de l'art qu'il avait lu dans un livre, où il avait découvert un grand sculpteur de l'Antiquité, Phidias, connu pour son chef-d'œuvre, la statue d'Athéna Parthénos. Ce mot résonna dans son esprit avec une évidence troublante, comme si le destin avait guidé cette révélation. « Phidias », murmura-t-il, testant le son sur ses lèvres. Il regarda le chat avec un sourire empreint de reconnaissance et dit :

— Tu t'appelleras ainsi en hommage à ta prestance malgré l’affreux humain dont tu es la copie. Ce dont tu n’es pas responsable.

L’animal, comme s'il avait compris les mots, se tourna vers son nouveau maître avec ses grands yeux verts, scellant de la sorte leur lien naissant sous un nom diabolique, mais révélateur.

À partir de cet instant, la présence de la bête changea un petit peu l'atmosphère de l'appartement. Phidias devint le seigneur incontesté des lieux.

Initialement, Georges cherchait dans cette amitié féline une simple compagnie pour combler le vide laissé par Jessica, persuadé que le chat en était la substitution. Le garçon avait porté sur lui un peu de l’affection qu’il avait eue pour la jeune fille. Une sorte de compensation sentimentale en quelque sorte. Le lien entre l’homme et la bête se renforça. L'amour et la camaraderie d'un animal de compagnie apportèrent à Roche une paix intérieure qu'il croyait perdue à jamais. Ensemble, ils traversèrent les jours, tissant une relation unique qui réchauffait un cœur glacé par la disparition et la douleur. La présence de Phidias à ses côtés transformait les instants sombres qu'il vivait en moments plus tendres. Le garçon savait que sur cette terre, il y avait des êtres avec qui il pourrait partager une profonde amitié et son chat en était la preuve.

*

L’animal avait une particularité étonnante : il avait le sens de la météorologie. Lorsque le temps passait à l’orage, il grimpait sur la commode à la manière d’un fonctionnaire dans la hiérarchie. Un soir de tempête, lors d’une de ses escalades, le félin, de sa queue touffue, frôla une boîte posée en équilibre précaire sur le rebord du buffet. D'un mouvement brusque, le carton bascula et chuta lourdement sur le sol, éparpillant son contenu dans un bruit sourd. Georges, alerté par le vacarme, se précipita pour récupérer les documents épars. Il les saisit avec précaution, une lueur d'irritation mêlée à une pointe d'amusement dans le regard. Alors qu'il s'apprêtait à ranger les papiers, une photographie attira son attention. Il la prit délicatement entre ses doigts tremblants. À sa vue, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il la contempla particulièrement avec une stupeur palpable, laissant les impressions affluer dans son esprit tel un torrent tumultueux. En la regardant, il sentit une sorte de possession l'envahir. Un visage figé sur le papier jauni semblait le narguer, son sourire énigmatique dissimulant des secrets inavouables. Il pouvait presque entendre son murmure, sa voix lointaine venue d’un passé oublié.

Il caressa doucement le bord, comme pour se raccrocher à ce moment suspendu. C'était le cliché pris par un étranger de la famille Roche devant la statue de Paul Riquet, prise au Polaroid à son arrivée à Toulouse. Les lignes douces du marbre blanc paraissaient émerger du cadre. Les courbes délicates du corps sculpté paraissaient transmettre un message silencieux. En contemplant cette image, le garçon revivait le mélange d'émotions intrigantes qu'il avait ressenti ce jour-là face à l'apparente vivacité du monument. La statue ressuscitait dans son esprit un malaise qui lui dicterait sa prochaine destinée. Agité par cette redécouverte inattendue, le jeune homme décida de mettre la photo bien en vue sur le buffet.

Malgré ce petit incident, Phidias ne commit plus d’impair. Jusqu’à ce qu’un beau matin, le chat disparaisse de la maison. Le garçon n'avait aucune idée de ce qui s'était passé. Il fouilla partout, mais n'arrivait pas à récupérer l’animal fugueur. Il mena son enquête dans le quartier, interrogeant des témoins et recherchant des indices. Le félin était introuvable. Il posa des affiches avec son portrait dans tous les environs. Cette disparition plongea de nouveau Georges Roche dans une grande déprime. C’est alors que, dans cet état, un soir, il fixa la photographie révélée par le chat. Il la saisit, la regarda et la mit sur sa poitrine.

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