Chapitre 48 : Sa Sabolla

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Comment est-ce que l’esprit réagit face à la mort d’un proche ?

Dans un premier temps, celui de Georges tourbillonna, tel un sirocco machiavélique qui balaya toutes ses idées. Il laissa échapper quelques larmes qui s’évanouirent sous les rayons ardents du soleil. Le premier réflexe du garçon fut de rejoindre la place centrale et de s’asseoir sur un banc. Il se tenait là, hébété, les yeux perdus dans le vide.

Roche se remémora alors la fois où il s’était assis sur ce banc avec son grand père Joseph. Le garçon ne pouvait s’empêcher de pénétrer un vortex mystérieux dans lequel le passé et le présent s'entrelaçaient. Un maelstrom donnant la vie aussi facilement qu’il la reprenait.

Il se souvint arrivant en retard au rendez-vous, dans l'obscurité matinale. C'était un jour chargé de promesses, où les contes des anciennes générations se mélangeaient aux aspirations des nouvelles. Le voyage avait été comme une suite d’actions empreintes de la volonté de réaliser un rêve commun. Chaque kilomètre parcouru liant d’une façon indéfectible les attaches familiales et les songes partagés. Ce fut un moment dans lequel la vie et la passion se mêlèrent dans un ballet harmonieux. Puis, dans un flash-back, lui revint avec confusion l'escapade à Cadaqués qu'il avait proposée à Jessica. Cette échappée avait été un moyen pour sa fiancée de s'évader de ses tourments et de s'immerger dans de nouveaux horizons.

Pour le jeune homme, la Catalogne et Figueras incarnaient la dualité de l’existence. La ville était un microcosme où chaque ruelle semblait raconter une histoire de naissance et de mort, d’amour et de perte. Dans son cœur, il savait que tout pas dans ces rues était un pas dans les méandres de son âme, tout pavé d’un fragment de son être. Chaque place, chaque coin, était un plateau sur lequel se jouait un drame, les émois comme autant de personnages qui se croisaient, se heurtaient, s’unissaient dans un ballet poignant. Tout souffle de vent, tout rayon de soleil étaient les éclairages changeants d'un théâtre céleste, orchestrant la mise en scène de ses pensées et de ses remords les plus profonds. Aucun mur ne hurlait les secrets du futur, aucune fenêtre ne taisait les espoirs du passé. Cette cité avait la capacité d’être saisie à travers les existences qu’elle façonnait et détruisait.

Il se leva et marcha. Sur la Rambla, les balayeuses mécaniques faisaient des ronds en arrosant la dalle, dérangeant quelques habitants joyeux et bronzés. Georges parcourut de nombreuses fois, la promenade principale, véritable centre vital de la zone urbaine comme de sa vie personnelle. La tristesse l’étouffait vraiment, lui suggérant que le monde n'avait plus de place pour lui. Alors, après une profonde respiration, il se dirigea vers sa voiture. Après s’être assis sur le siège en tissu usé et avoir engagé la clef dans le démarreur, il partit.

Se précisaient dans son esprit, le souvenir des cercueils alignés, des fleurs fanées, des larmes silencieuses des familles endeuillées. Tout cela avait laissé une empreinte indélébile sur son âme. Mais, maintenant, quelque chose était différent. Quelque chose de plus sombre, de plus insaisissable. L’automobile gravit d'abord le col de Perafita, puis traversa de longues vignes maigres et bien enracinées. Les cèpes semblaient murmurer des contes morbides, tandis que le vent soufflait des énigmes par un mouvement transversal d’un bout à l’autre des fenêtres entrouvertes. L'odeur des tamaris était pareille à une symphonie éparse, une mélodie subtile qui se déployait dans l'air telle une gifle fugace. Quelques ombres dansaient sur le pare-brise, tels des spectres cherchant à révéler leur histoire. Le soleil brillait intensément, enveloppant le véhicule d’un voile de flamme.

Georges se demanda ce qui l’attendait au bout du chemin. Il continua à avancer, résolu à percer le mystère. Il avait la sensation de suivre les traces d’un destin inconnu, guidé par des forces invisibles. Qu’était-ce qui l’appelait ? Quelle vérité se cachait au-delà des collines ?

Alors que la route serpentait, s’enfonçant dans la chaleur ardente, le garçon aperçut au loin le littoral. La voie se fit plus étroite, les arbres plus serrés. Et puis, la voiture bifurqua sur la droite et longea une plage bondée de touristes rougis par la canicule. Il passa devant des maisons de pêcheurs humbles, des promenades pleines de tamaris suivant le bord de mer. Là, des petites barques, dont les mâts, les vergues et les cordages, bruissaient dans l’azur éclatant. Les voix graves des travailleurs conféraient une curieuse mélodie à la scène, une harmonie tacite du spectacle humain. Plus loin, le long de la plage, des enfants s'amusaient et gloussaient comme si rien ne pouvait les atteindre. Mais, ce rire résonnait dans le cerveau du jeune homme au même titre que des ricanements de fantômes. Le tableau avait quelque chose de tragique.

Puis, d’un coup, les yeux de Georges se brouillèrent. Les couleurs naturelles telles que celles d'une toile de Dali devinrent soudainement pâles. Le rouge des feuilles de tamaris, le bleu intense du firmament, l’ocre du sable, le blanc des mouettes envoûtantes s’estompaient et s’assombrissaient. Le garçon s'arrêtait. Alors qu'il sortait de l’automobile et se mettait à marcher lentement à travers les embruns des flots, provoqués par les rochers, une vague de larmes coula sur ses joues. Elles baignaient sa peau et apportaient une fraîcheur amicale. Une fois qu’il eut retrouvé ses esprits, il reprit le volant. À Port de la Selva, Georges gravit en crescendo jusqu'en haut d'une colline escarpée et arriva au sommet. En bas, la jolie crique de Sa Sabolla reflétait les ruines d'un ancien monastère. Le garçon remarqua des marques sur la chaussée et reconnut des traces de pneu créées par un véhicule. Face à lui, dans un grand cratère déchiqueté, apparut l'épave réduite de la 2 CV. Elle gisait au milieu d’un vallon abrupt, représentant un petit point brillant dans un univers de poussière jaunâtre. Le cœur du jeune homme se serra à l'horreur de la scène. Pendant un long moment, il resta là, figé, à examiner le sol, la route et le trou, ne sachant pas quoi faire, comme s’il cherchait à déchiffrer les énigmes du passé. Dans le ciel, le soleil dardait la nature de ses rayons, des oiseaux chantaient. Le garçon ne les entendait pas. Ce jeudi, en fin d'après-midi, la lumière incommodante brûlait l’astre du jour. Au-dessus de la tête de Georges Roche, une coupole de craie pratiquait une sorte de tunnel qui ventilait un souffle fielleux. Finalement, la détermination dans son cœur lui donna le courage de rejoindre l’épave dans le creux de la montagne. Jessica était morte ici et lui avec elle.

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