Chapitre 18 - Ludivine ou Plongée dans la Passion

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— Ça y est, l’heure est arrivée ! Patrick venait d’entrer dans la chambre et s’adressait à Georges.

Celui-ci était allongé sur le lit ; l'ambiance du lieu était comme un paysage hivernal, où le plafond blanc paraissait s’ouvrir au-dessus de lui, telle une voûte suspendue d'une grotte glacée. Son frère s’approchait doucement ; ses pas résonnaient au plus profond de la pièce dans un écho de joie.

— C’est le jour ! Nous devons aller au concert des Stooges ! Leurs riffs sont déchirants ! Cela va être épique !

L’aîné hochait la tête, le cœur battant. Il avait attendu ce jour, espéré ce jour. L’heure était venue de voir l’idole américaine. Les murs semblaient s’ouvrir davantage, comme s’ils voulaient le sauver de la monotonie du quotidien. Il se leva et sentit l’excitation monter en lui. Iggy Pop se tenait prêt à lui offrir une échappée vers l’extase musicale. Amen, pensa-t-il, en hommage à la puissance des notes et à l’ivresse de la scène.

Ainsi, le temps s’écoula très vite. À l’arrivée sur place, l’ambiance était électrique. Des groupies grouillaient impatientes de voir le chanteur se produire. La foule était tassée telles des sardines en boîte, mais elle s'amusait à la manière des enfants au milieu d’une aire de jeux géante. Tous étaient en effervescence. Les frères étaient emportés par l'énergie brute du rock 'n' roll. Les cheveux longs sautaient en rythme ; les mains masculines caressaient le bas des dos féminins, les cris rauques remplissaient les gosiers. La bière coulait à flots. Après une première partie dont je ne me rappelle plus le nom, le groupe entrait. La performance était attendue comme un mélange des deux premiers albums. La préparation d’Iggy Pop était telle celle d’un athlète de haut niveau. Il avait jeûné vingt-quatre heures auparavant et s’était adonné à des séances de qi gong pour apporter de l’intensité. Cela laissait imaginer que l’atmosphère serait à la fois forte et captivante, reflétant la passion qui caractérisait les réalisations de l’artiste. Sur la scène surélevée, les musiciens se tenaient à l’instar des guerriers, les mains rapides et agressives grattaient sur les cordes férocement. Le leader du groupe, debout, martelait la cadence avec une précision diabolique, comme s'il menait une armée au combat. L’aîné des Roche se faufila jusqu'au premier rang et se mêla aux spectateurs les plus déchaînés. Là, il remarqua une fille aux cheveux flamboyants et noirs, qui dansait, illuminée d’une intensité passionnée, captivant son attention. Elle était petite, portait une mini-jupe courte et était très maquillée. Sur ses joues pendaient deux boucles rouges, telles deux oreilles de cocker. Le jeune homme se pressa contre la femme et, gagné par le délire du rythme, se démena au milieu du public à la manière d’une grande marionnette dégingandée. Il demanda à la fille aux oreilles de cocker :

— Salut ! Je te prie de m’excuser, est-ce que je te dérange ?

— Hello ! Pas du tout !

— C’est difficile de parler. Tout ce bruit.

— Exact.

— On se voit à la fin ?

— Ça marche, à tout à l’heure, répondit la brunette aux boucles rouges.

Une heure après, alors que la foule se dispersait dans les rues alentours, Georges s'approchait d'elle, impressionné par sa présence et sa connexion avec le décor. Il lui dit alors d’une voix rauque :

— Salut. On se retrouve encore. Tu danses formidablement bien.

– Merci, c’est gentil, rétorqua-t-elle, embarrassée. Puis, elle sourit et haussa les épaules en faisant une jolie moue.

Les deux se regardèrent de longues minutes, avant que le garçon ne parle.

— Puis-je t’inviter à prendre un café ?

Elle accepta et ils allèrent à l’intérieur d’un petit bar non loin de là. Elle lui donna immédiatement son prénom de Ludivine. Ils échangèrent quelques mots sur leur passion pour la musique et se découvrirent une affinité instantanée. Ils décidèrent ensuite de prolonger la nuit ensemble, marchant au travers des rues teintées par les lumières de la ville. Ils discutèrent de leurs rêves et de leur amour commun pour l'art et la liberté d'expression. La chimie entre eux parut indéniable. Ils regardèrent les étoiles au plus profond du ciel nocturne, échangeant des confidences et des rires complices. C'était un instant de grâce et de connexion puissante entre deux âmes passionnées par la vie. La fille formula le désir de rentrer se reposer. Quand ils se séparèrent, les deux décidèrent de se donner rendez-vous au square du Capitole en fin de soirée.

*

Dans la journée, Georges sentit une vague de mélancolie l'envahir. L'excitation du spectacle laissait place à une réflexion plus profonde sur sa vie et ses relations. Cette introspection le rendait plus attentif aux émotions des autres, notamment celles de Ludivine. À vingt heures elle était là. Lorsque Georges apercevait de dos sa jolie silhouette, ses yeux pétillaient. Il la regardait de haut en bas, scrutant chaque détail de son corps. Il se sentait irrésistiblement attiré vers elle, comme si un fil invisible les liait.

— Bonjour. Merci d’être venue au rendez-vous, balança le garçon.

— Hello !

— Aimes-tu cet endroit ?

— Oui, je... Je rôde ici parfois dans le but d’errer parmi mes pensées. Ces allées sont pareilles à un refuge, où chaque pas me permet de dénouer les fils de mes réflexions.

Le jeune homme hochait la tête. Il réalisait qu'il y avait peut-être plus à connaître sur cette femme. Il remarquait alors des traces de larmes sur ses joues.

— Est-ce que cela va ? demanda-t-il doucement. Elle ne répondit pas immédiatement. Elle se mit à parler avec une lenteur qui l'étonna. Elle lui expliquait que son petit ami l'avait quittée et que son monde s'écroulait. Elle ne savait pas quoi faire. Georges resta silencieux un moment. Il s'approcha d’elle et lui prit la main. Sentant une connexion sincère avec Ludivine, Georges proposa de continuer leur discussion dans un endroit plus calme. Il espérait mieux la connaître et partager un moment de complicité loin de l'agitation de la ville.

— Je connais un hôtel isolé. Souhaites-tu m’y accompagner ? Nous serons tranquilles.

— Pourquoi pas.

Elle songea :

Je me demande où il veut m'emmener. Est-ce que je devrais lui faire confiance ? Pourquoi pas, après tout, il semble différent des autres.

Elle le suivit donc dans le quartier Marengo. Il y avait là des femmes un peu trop maquillées. Des clochards cherchaient des substances donnant des étoiles au sein d’un ciel sans éclat. Au détour d'une rue, le couple découvrait un zombie. Manifestement, un voyeur agissait comme un limaçon curieux, le bas-ventre écrasé contre un mur et le nez collé à une fenêtre. En s’approchant de lui, Georges jeta un coup d’œil sur son épaule, il vit une scène de sexe. Il n'aimait pas cela, il tournait la page de son regard. Le couple entra à l’intérieur d’un hôtel. Le gérant débonnaire lisait un magazine à l’accueil, accompagné d’un chapeau noir.

— Bonsoir. Auriez-vous une chambre ? demanda le garçon.

L’hôtelier d’un œil complice et malicieux.

— Bien sûr. Pas de problème. J’ai ce qu’il vous faut. Je comprends que c'est en prévision de consommer tout de suite, dit-il, d’un air salace.

Le jeune homme ne sut que répondre. Le gérant s'empressa d’ajouter.

— Ne vous en faites pas, vous êtes au sein d’un lieu idéal et réellement discret. Vous serez tranquilles.

Après avoir indiqué le numéro de chambre, il leur donna la clef et se remit à lire. Le garçon s'assura que sa compagne le suivait. C’était le cas. Il la sentit un peu nerveuse. Ils montèrent au premier étage. La pièce était basique, mais le mobilier demeurait suffisant pour ce dont ils avaient besoin. Au milieu, un poêle à bois ronronnait. On entendait crépiter les bûchettes dans l'âtre. Georges regardait par la vitre et remarquait le brouhaha au fond de la rue Marengo. Puis, il prenait une douche, mais pas Ludivine. Elle était dans la chambre attenante, assise sur un lit recouvert d'un vieux tissu écossais. Lorsque le jeune homme finit de se laver, elle était allongée, nue, ayant gardé ses chaussettes blanches de sport. Ce n’était pas trop attirant. Il s'approcha d'elle et vit dans le miroir, posé derrière la jeune fille, que sa morphologie frôlait la perfection. Il se retrouva assis au bord de la couche. Son regard, empreint de curiosité, parcourait finement les formes du corps féminin. Les doigts fins de la femme effleurèrent doucement la peau de son amant, explorant ses contours d’ une délicatesse palpable. Des gestes taquins et des caresses subtiles firent peu à peu monter le plaisir chez Georges, dont les soupirs de contentement témoignaient de l'intimité grandissante. La gamine savait instinctivement comment éveiller ses sens, en accordant une attention particulière aux zones sensibles, dans une danse érotique. L’homme se laissait emporter par ce jeu, appréciant chaque sensation. Lorsque Ludivine se rapprocha dans le but de lui murmurer quelques mots à l'oreille, l'excitation monta d'un cran. Leur échange se conclut par une plénitude partagée, où le langage du corps exprimait bien plus que des paroles ne pourraient le faire. Une fois cette parenthèse refermée, la fille se leva afin de remettre ses vêtements. Alors qu'elle se dirigeait vers la porte pour rejoindre la salle de bains, le garçon l'arrêta d'une voix douce :

— Attends, s'il te plaît. Ne pars pas encore. Il y a tant de choses dont j’aimerais parler avec toi.

Ses yeux cherchaient les siens, implorant une chance de communiquer. Ludivine hésita, le regard incertain, puis acquiesça lentement. Il lui reparla du concert et des Stooges. Lorsqu’il eut fini de s’exprimer, elle le prit par les deux oreilles et l’embrassa sur le front. Au petit matin, le couple descendit les escaliers. Les rayons de lune se reflétaient encore sur le trottoir au moment où ils commencèrent à marcher. Ils sentirent à peine la fraîcheur de l'air qui leur caressait le visage. Ils étaient muets. Ils se dirigèrent vers un bar et s’assirent à l'intérieur. Après avoir consommé, le garçon paya l’addition. Le soleil illumina la voie et ils traversèrent le quartier. Le jeune homme retourna alors à l'appartement de ses parents et la fille disparut dans la Ville Rose.

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