Chapitre 9 - Une Famille Brisée par la Violence
Les Roche vivaient au cœur d’un appartement modeste juché au premier étage d'un petit immeuble pour pauvres qui donnait sur une placette. Ils partageaient le bâtiment avec un étudiant discret qui habitait au rez-de-chaussée.
Le printemps touchait à sa fin, laissant place à l'été qui se profilait à l'horizon. C'était un mauvais dimanche de juin. Il était 18 h 30. Le vent martelait les vitres, tel un présage sinistre de la tempête à venir. L'atmosphère pesante s’infiltrait dans chaque recoin, telle une ombre inquiétante. Les murs, témoins silencieux de tant de drames, semblaient se resserrer en étouffant tout espoir. Rosa, vêtue d’une robe à fleurs échancrée, préparait une soupe. Georges était assis à ses côtés. Pour passer le temps, il suçait la manche gauche de sa chemise.
C'est à ce moment-là qu'on entendit le bruit de la porte de l'immeuble claquer, un coup de poing ébranla la cuisine. René apparut ; il était ivre et titubait. Tous ses membres heurtaient dangereusement les meubles, semblables à ceux d'une marionnette désarticulée. Ses yeux, injectés de sang, recherchaient désespérément un point d'ancrage salvateur. Chacun de ses pas sourds grondait tel l’orage qui menaçait. L'ambiance de la pièce se chargeait d'électricité. Les mots qui s'échappaient de sa bouche étaient identiques à des éclairs sonores. Sa présence même paraissait remplir l'espace. La furie alcoolisée semblait prête à engloutir tout sur son passage.
Il s’adressa à Rosa en désignant le fils :
— Cet idiot mordille bêtement un bout de tissu.
— C’est notre enfant.
— Non, non, c'est uniquement le tien.
— Quoi ? C’est le nôtre. Tu dis n'importe quoi quand tu as bu.
Ces paroles ne firent qu'attiser la colère de l’homme. Son regard se durcit, les traits du visage se crispèrent tandis qu'une veine palpitait sur sa tempe. René fixa Georges d'un air mauvais, le dévisageant comme s'il était la source de tous ses maux. Le geste anodin de ronger la chemise, qui aurait dû susciter la tendresse, ne fit que déchaîner sa fureur. Incapable de contenir plus longtemps une rage intérieure. Il explosa en perdant le contrôle de lui-même. Après avoir saisi sur la table une marmite en fonte, il ouvrit la porte de la cuisine et la jeta du haut des escaliers. Le bruit qui en résulta fut assourdissant, semblable à celui d'une tôle mécanique que l’on froisse.
L'étudiant du dessous ne bougeait pas, préférant rester prostré sous les draps, apeuré et hagard, en attendant la fin de l'orage.
René gifla son fils. Celui-ci mettait les mains sur les oreilles. Malgré cette précaution, il entendait les cris du père furieux. Des frissons de terreur couraient le long du dos. Il avait peur. C'est normal, à neuf ans.
Rosa implorait.
— Laisse le petit ! Laisse-le ! Je t'en supplie !
Le père saisit l’enfant tel qu’on le fait avec un chiot. Il le découvrit et flagella les jambes nues avec le ceinturon de son pantalon. Il le projeta dans un placard sous l'évier. Puis, René interpella sa femme.
— Je t'interdis de le sortir de là. As-tu compris ?
Celle-ci acquiesça. Elle songea :
Il vaut mieux qu'il soit là en sécurité.
Alors, l’homme quitta la pièce. Le parquet ne tremblait plus.
Dans l'exigu cagibi, Georges sentait un goût étrange à l’intérieur de sa bouche. Le sang coulait de son nez, telle une saveur désagréable et métallique. Dans son refuge improvisé, il ferma les yeux, essayant d'imaginer un monde différent. Un monde où les dimanches étaient remplis de rires et de jeux, où les pères ne se transformaient pas en monstres quand le soleil commençait à décliner. Rosa passa la nuit allongée sur le sol devant l'évier. Le noir, les sanglots de sa mère et la peur de l'enfant, tout cela resterait gravé dans sa mémoire.
Le lendemain matin, la lumière du jour filtrait timidement à travers les rideaux, révélant les stigmates de la nuit passée. Des éclats de verre brillaient sur le sol comme autant de larmes cristallisées, témoins muets de la violence qui avait secoué le foyer.
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