Une illumination soudaine semble parfois faire bifurquer une destinée.

- Antoine de Saint-Exupéry.

Pas besoin de brosser le sable de vos habits, car l'aventure ne fait que commencer. En 1970, la famille Roche quitta Auch pour échapper à la pauvreté de la ville. C’est donc deux mois après avoir fêté ses dix-huit ans que Georges débarqua à Toulouse, énorme village entouré de dix autres plus petits. À la sortie de la gare principale, il aperçut une représentation de l'ingénieur du Canal du Midi, Paul Riquet, sculptée dans un bloc de marbre blanc. Elle se dressait au sixième étage d'un socle de pierre, positionnée au carrefour de trois boulevards. L’adolescent, fasciné par la majesté de la statue, ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une étrange fascination vis-à-vis de cette figure minérale. La posture de Riquet, avec sa main gauche reposant délicatement sur sa poitrine et sa main droite tendue vers l'avant, semblait presque vivante, comme si l'ingénieur lui-même invitait les personnes à suivre un chemin prédestiné. Alors que Georges était captivé par la statue, son père, désireux de capturer cet instant, prépara son Polaroid. Il souhaitait immortaliser ce moment et garder un souvenir de la famille devant le monument. Tandis qu'il préparait son appareil, il remarqua un touriste anglais à l'allure discrète qui observait la scène avec intérêt. Il lui demanda poliment de prendre la famille en photo. Une fois que cela fut fait, tandis que tous se dispersaient, Georges examina à nouveau la statue. Il s'extasia des lignes douces du corps qui s'élevaient vers le ciel. Les yeux de marbre espionnaient l'adolescent. Intrigué, celui-ci s'approcha pour mieux observer. Il toucha la surface lisse et froide de la pierre. Chaque détail, chaque courbe, chaque aspérité paraissait transmettre une signification plus profonde. Tandis que le jeune homme examinait le bras droit tendu, raide et glacial, son esprit éprouva quelque chose d'inexplicable. Il eut l'impression que le buste vivait et que ses membres étaient animés. Il recula et secoua la tête pour effacer l’étrange vision. Riquet lui faisait signe de venir à lui de sa main droite. Il essaya de fixer cette image étrange. Cela lui provoqua un bref malaise qu’il ne put définir. C'était comme s'il y avait un sens caché dans le colosse qui dépassait le simple matériau de la sculpture. Ce sentiment embrouilla ses pensées. Après un instant de confusion, le garçon comprit que le marbre ne bougeait pas, c'était juste son imagination qui lui jouait des tours. En s’éloignant lentement, laissant derrière lui la colonne, il réfléchit.

— Pourquoi ai-je une sensation si bizarre ? Comme si une idole me parlait, comme si elle avait quelque chose d'important à me dire. C'est absurde, non ? Une sculpture n'a pas de vie, ce n'est que de la pierre, une simple œuvre d'art. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de sentir une présence. Peut-être est-ce le poids de l'histoire, la grandeur de l'ingénieur qu'elle représente. Est-ce tout bonnement mon imaginaire qui est trop fertile ? Mais non, c'est plus que ça, c'est tel un appel, une sorte de destin qui m'interpelle. Que me veux-tu, Paul Riquet ? Que me réserve l'avenir ? Est-ce un signe que je dois suivre un chemin particulier ? Je vais me calmer, ce n'est rien de plus qu'une illusion… ou bien est-ce vraiment un message pour moi ?

L’adolescent se retourna soudainement et ne vit rien de spécial, excepté le monument sur son piédestal. Plus tard, il comprendra que c'était l'allégorie de la destinée qui, incognito, lui donnait rendez-vous. Désormais adulte, il se rappellera ce jour étrange. Ce sentiment inexplicable, cette impression d'être appelé par une force invisible, se matérialisera à nouveau. Il comprendra enfin que ce jour-là, devant la statue, c'était bien plus qu'une simple illusion. C'était un signe, un appel à embrasser son destin. Paul Riquet, à travers le marbre froid, lui avait murmuré la voie à suivre et Georges, sans le savoir réellement, répondit à cet appel.