Chapitre 15 - Adolescence Rebelle à Toulouse

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Quatre mois après son arrivée à Toulouse, Georges était devenu un adolescent dont voici le

portrait : visage fin, yeux marron acérés et dans un blue-jean à pattes d'éléphant, un petit postérieur qui lui allait à merveille. Son frère avait un regard plus ouvert et un nez proéminent en forme d'éteignoir qui recouvrait presque sa lèvre supérieure. La famille emménagea dans un appartement étroit situé au 54 boulevard Gabriel-Koenigs. Le logement était si proche des arènes du Soleil-d’Or que les Roche auraient pu donner le signal de départ des corridas depuis leurs fenêtres.

La date de Notre-Dame-du-Rosaire[7 octobre] étant passée, Toulouse, à l'instar de la France, s'ennuyait ferme. La folle parenthèse de 1968 était à présent fermée. Pour les frères Roche, l'urgence était de se faire des connaissances.

Les adolescents d'aujourd'hui peineront à imaginer à quel point communiquer se révélait laborieux. À l'époque du début des années 1970, les disputes familiales ne surgissaient pas à cause des téléphones portables, comme c'est fréquemment le cas de nos jours. La proximité des corps et la jouissance de la parole comme seul vecteur des liens entre individus représentaient les règles uniques dans les échanges interpersonnels. En vue des contacts lointains, on adressait vaguement une lettre et puis on recevait, tout aussi vaguement et souvent par hasard, une autre en réponse. Telle une rose sauvage perdue dans l'immensité de la nature, la solitude pour les jeunes constituait un écho intemporel. Elle aiguillonnait les cœurs vers les jardins musicaux dans lesquels des âmes cherchaient leur éclat dans les parterres des clubs.

C'est de la sorte qu'un matin, le benjamin interpella l’aîné.

— Je me sens seul, Georges. Toutes mes potes ont des petites amies. Pas moi !

— Moi aussi, je ressens la même chose. Mais, pourquoi me dis-tu cela ?

— Je ne sais pas, j'ai l'impression que je fais toujours les mêmes actions, que ma vie est monotone.

— Certes, la routine peut être ennuyeuse, mais nous devons chercher des moyens de pimenter notre quotidien, de sortir de notre train-train.

— Oui, peut-être que tu as raison. Alors, comment découvrir d’autres horizons ?

— Trouvons de nouveaux amis. Échappons-nous, allons voir des personnes différentes. Il y a tellement à faire à Toulouse !

— Véridique, je suis d’accord. Nous devrions mettre le nez hors de la maison et tenter de rencontrer des gens.

— Absolument. Il y a assurément de jolies filles à draguer, il suffit de connaître les bons endroits.

— On m'a parlé d'une boîte de nuit, L’Abreuvoir, au 34 de la rue Montoulieu Vélane.

— Est-ce que tu l’as déjà essayée ?

— Non, pas à ce jour.

— Allons-y ce soir, ce sera une formidable occasion de la découvrir.

— D'accord, je viendrai avec toi.

C'est ainsi qu'ils comprirent comment il fallait faire. Il suffisait de fréquenter assidûment les endroits à la mode où toute la jeunesse branchée se donnait rendez-vous.

Pour les amateurs du Toulouse interlope, les boîtes homosexuelles avaient leur préférence. Dans ces lieux, la rencontre entre l'énergie rebelle des musiciens et la beauté énigmatique des femmes, ainsi que l'harmonie entre les adolescents effrontés et les personnalités médiatiques, représentait une fusion artistique singulière. Les deux frères se retranchaient à l'intérieur des night-clubs, derrière des barbelés de strass et de paillettes. Ils réussissaient à contourner les interdictions dues à leur âge en apprivoisant les différents videurs. Ils arrivaient de la sorte à pénétrer en discothèque assez facilement. Les Roche prisaient La Mendigote, place Arnaud-Bernard. C'était le lieu le plus doux, le plus huppé et le plus luxueux de la Ville Rose. Cela consistait d'abord en une entrée parfaitement circulaire, haute d'environ trois mètres et faisant le triple en diamètre. Les murs étaient tendus de satin pastel baignant dans la lumière colorée de minuscules projecteurs qui donnaient aux teintes un aspect voyant de bon goût. Le décor de la piste de danse figurait une création de pyramides exécutées en carton pailleté. Cette pièce, orientée vers le nord, était le réceptacle de belles lesbiennes qui venaient s'y rencontrer dans le but de consommer des boissons autour de tables à bordures fluorescentes. Ensuite, lié au premier local, il y avait un volume intime moins haut et affectant une forme de poire avec un axe qui obliquait vers l'ouest. Les noctambules y paraissaient d'autant plus nombreux parce qu'ils devaient s'entasser à l'étroit dans un espace très resserré. Les deux salles communiquaient par un couloir sombre dans lequel se mélangeaient les âges, les genres, les pouvoirs d'achat. L'endroit en entier sentait la viande fraîche et appétissante. On croisait souvent le fils du maire et le propriétaire de La Dépêche qui parlaient entre eux un « broken English » truffé de barbarismes, dans le but de se donner un air branché. C'est ici qu’on entendit pour la première fois en France la reprise du morceau « Let's Stay Together » par Al Green qui a posé les bases de la musique soul pour le reste de l’éternité.

« I’m, I’m so in love with you

Whatever you want to do

Is all right with me

‘Cause you make me feel so brand new

And I want to spend my live with you. »

*

L'année 1970 s'acheva dans une douce atmosphère de rencontres et de promesses pour Georges et Patrick. Alors que les jours raccourcissaient et que l'hiver s'installait peu à peu sur la capitale de l’Occitanie, une nouvelle étincelle venait raviver les flammes de leur adolescence. Alain Scalia, le camarade d'enfance et compagnon de jeu depuis leurs tendres années, fit son retour dans leur vie d'une manière inattendue.

Ce fils de harki décida de poser ses valises à Toulouse, rejoignant ainsi le cercle d'amitié qui avait marqué leurs souvenirs les plus précieux. Ce fut comme si la pendule faisait une pirouette, rapportant les échos joyeux des parties de patins à roulettes dans les rues d’Auch. Les frères Roche accueillirent Alain avec chaleur et enthousiasme, comme si son retour avait été écrit depuis toujours dans les étoiles du destin. Les retrouvailles furent empreintes de nostalgie et de bonheur, comme si chaque instant passé ensemble était une occasion de revivre les meilleurs moments de leurs tendres années.

Ainsi, l'aventure des intimes se prolongea avec une intensité renouvelée. Les rues bruissaient de vie, les klaxons des voitures se mêlaient aux cris ponctués de « Putain » des passants. Les bars que les jeunes fréquentaient déversaient leur musique pop dans l’air ; les odeurs de pain frais et de café se mélangeaient, créant une symphonie de saveurs urbaines. Les pavés sous leurs pieds résonnaient des pas pressés des habitants, pendant que les enseignes lumineuses clignotaient en rythme avec les battements de cœur de la cité.

Dans cette métropole, le passé et le présent se mêlaient harmonieusement. Alain Scalia trouva sa place aux côtés de Georges et Patrick, comme s'il avait toujours été destiné à faire partie de leur saga. Et tandis que les années défilaient, leur fraternité demeurait un phare dans les tourments de la vie.

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