Chapitre 21 - La Chute des Idoles du quartier d'Empalot
Parvenus à l’apogée de l’apprentissage, les FirePigs étaient enfin mûrs pour se produire en public et devenir des idoles. La date du premier concert du groupe fut programmée à la Maison des Jeunes et de la Culture d’Empalot. Les organisateurs attendaient deux cents personnes, mais seules cinquante-trois sont venues. Quand 20 h 30 sonna, le moment du concert arriva. Vêtus de similicuir, les trois garçons toisèrent d'abord les gens. Accoutrés ainsi, ils auraient facilement remporté le premier prix du plus beau costume au Festival du Cassoulet de Castelnaudary. Après leur entrée sur scène, les FirePigs se préparaient à livrer une performance musicale qui laisserait une empreinte indélébile dans l'esprit des spectateurs. Georges, affublé d’un bicorne, s’installa derrière la batterie et commença par un roulement maladroit ; le son donnait une note sourde qui se prolongea en un vagissement douloureux. L’importance de la phase de frappe précédant l’arrivée du chanteur est un aspect dans le rock qui n’a pas assez été évoqué par les spécialistes. Patrick surgit donc comme prévu. Lorsqu’elle vit celui-ci, la maigre assistance interrompit les conversations. À la suite de ce silence, la voix s’éleva et les premières paroles furent éjectées.
« Now, I'm ready to close my eyes
And now I'm ready to close my mind
And now I'm ready to feel your hand
And Lose my heart on the burning sands
And now I'm wanna be your dog. »
Puis, le jeu de scène du rockeur devint alors si brutal qu’il évoqua la violence qui allait régner. C'était un peu comme si Iggy Pop, le chanteur des Stooges, se trouvait à portée des yeux des spectateurs toulousains. Mais, ce n'était pas tout. L'auditoire fut stupéfié de voir ce garçon, plier le genou, tendre le bras, imiter un acte que la décence m’interdit de décrire et à la fin, se plier en arrière tel un cheval bariolé. Des personnes furent gênées par cette débauche de mouvements, d'autres n'avaient jamais pensé que chanter pouvait ressembler à cela. Finalement, le morceau « I Wanna Be Your Dog[I Wanna Be Your dog, The Stooges-1970] » se termina. La salle ne réagit pas uniformément. D'un côté, certains observaient discrètement leurs voisins afin de remarquer leurs réactions, tandis que de l'autre, certains conspuaient et riaient. Les FirePigs embrayèrent immédiatement sur la chanson « Real Cool Time[Real Cool time, The Stooges-1969] », puis sur « Not Right [Not Right, The Stooges-1969]». Patrick jouait de sa basse d'une façon minimale dans le but de ne pas perturber l'acte du chant. De son côté, le batteur avait sorti la frappe de bûcheron ; le fracas de l'ensemble sonnait à la manière du moteur de la Triumph. Cela empestait l'audace, mais pas la maîtrise, c'était du travail d'amateur. En quelques mots, il manquait du jus. Malgré de nombreuses pétarades de la guitare, les gens n’accrochaient pas. C’était la faute d’Alain Spalia. Il avait garé sa mobylette devant la MJC. Tout en jouant, d'une fenêtre, le garçon surveillait son véhicule à moteur. L'exercice se révélait, ma foi, difficile, il faut en convenir. L’adolescent souffrait de beaucoup d'anomalies, cependant pas de strabisme divergent : il ne pouvait pas regarder à deux endroits différents. D’un œil, l’instrument, de l’autre, l’engin ; et au milieu de cela, son cerveau. Tous les spécialistes vous le diraient ; laisser l'attention divaguer, c'est faire advenir inéluctablement un accident, c’est logique.
Lors de « Little Dog[Little Dog, The Stooges-1969] », il se devait de lancer des accords tranchants comme des dards. Ainsi, distrait par la vision de quelqu’un s’emparant du cyclomoteur garé à l’extérieur, il fut pris de panique et émit une note atroce, décalée et nasillarde. La dissonance était telle que les FirePigs durent interrompre leur performance, une occurrence plutôt inhabituelle.
Une fraction de l’audience, croyant à une mise en scène, resta de marbre tandis que la plupart sifflait, trouvant la situation insupportable. Les limites de la tolérance avaient été atteintes. Des cris et des huées s’élevèrent.
— C’est nul ! Hou ! Hou, allez vous coucher, les nazes !
S’ensuivirent deux réactions en chaîne. Alain, d’abord, détacha sa guitare et se jeta au milieu de la foule, distribuant des coups avec ses mains agiles. Puis, Patrick, quittant les planches, saisit le guitariste afin de le soustraire à la colère du public.
Trois minutes plus tard, assis au fond d’un couloir silencieux et humide de la MJC, les FirePigs semblaient désemparés. Patrick, enragé, arpentait le corridor. Ensuite, remontant seul sur le plateau, il s’empara du microphone. Il s’exclama :
— Vous n'avez pas apprécié le concert ?
— Exactement ! Votre prestation est décevante ! Barrez-vous ! répondit la foule.
— Souhaitez-vous que nous arrêtions ?
— Oui ! Dégagez ! Partez ! Remboursez !
— Voulez-vous être remboursés ?
— Oui !
— Hey ! Les ploucs ! C'est hors de question !
Et ce fut une émeute à la MJC. Près de Georges qui était vautré à même le sol, désemparé, un blond boudiné venait d'arriver.
Il était passé là par hasard. Le garçon de vingt-deux ans avait un embonpoint précoce. Rond de partout, il possédait des cheveux très longs, jaunes comme les blés et drus tel l'orage. On aurait pensé en le voyant à un guerrier gaulois qui, lors des combats, arborait fièrement une chevelure bien coiffée. Il s'assit face au musicien. Il venait juste de rentrer d’une réunion politique et avait entendu du bruit. Il était entré là par curiosité. Il demanda au batteur :
— Seigneur Dieu ! Que se passe-t-il ici ? Pourquoi ces gens vocifèrent-ils de la sorte ?
— Ce ne sont que quelques personnes ignares qui ne comprennent rien à rien.
Un groupe sortait de la salle dans une grande agitation. Émergeant de celui-ci, un spectateur mécontent fit un doigt d'honneur au musicien. En réponse, Georges haussa simplement les épaules et questionna le blondinet boudiné.
— Comment t’appelles-tu ?
— Mathieu. Je travaille comme responsable de la sécurité dans une boîte de nuit.
— Tu peux me donner une clope ? Où bosses-tu ?
Mathieu lui tendit une Boule d'Or.
— À l’Ubu, tu connais ?
Georges répondit avec un sourire malicieux qu'il connaissait plusieurs lieux de débauche. D’un coup, pour se décontracter et conjurer son stress, il se leva. La cigarette à la bouche, il se dirigea vers la porte de la MJC. À cet endroit, il prit un moment pour admirer les étoiles. On aurait dit qu'elles étaient si proches qu'il aurait pu les attraper avec une épuisette, comme s'il pêchait des poissons célestes. Au fin fond du ciel, il vit une comète briller et s'éteindre lentement. Quelque chose dans ce spectacle le remplit d'espoir et de courage. Rosa lui avait toujours dit que les astres étaient des âmes bienveillantes qui apportaient de bonnes nouvelles. Peut-être qu'en ce moment, sa mère était en train de regarder les mêmes planètes.
Il songea en lui-même :
Je m'engage à poursuivre ma passion pour le rock avec détermination et persévérance. Je travaillerai sans relâche pour améliorer mes compétences et offrir des performances qui captiveront et inspireront le public. Malgré les obstacles et les critiques, je resterai fidèle à mon art et continuerai à partager ma musique avec le monde, sachant que chaque expérience, même difficile, est une opportunité d'apprentissage et de croissance.
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