Chapitre 28 : Un Préjugé non Désintégrable

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Après avoir dépensé sans compter lors de folles soirées, Georges et Jessica se sont retrouvés à court d'argent. Leur train de vie dispendieux les avait menés à la ruine. Forcés de revoir les priorités du couple, ils ont dû faire des choix plus raisonnables. Ainsi, ils durent acheter d’urgence une voiture d'occasion à petit prix, une Citroën 2 CV. Sur le papier, l’automobile semblait de bonne facture. Elle traversait un champ de labour en transportant un panier d'œufs sans en casser un seul. Le véhicule était livré avec une mallette pour réparer toutes les pannes possibles. Parmi les outils essentiels, on trouvait notamment des clés plates et des tournevis pour intervenir sur le moteur, les freins ou la suspension. De la sorte, le propriétaire pouvait réaliser lui-même la plupart des réparations courantes, contribuant ainsi à la réputation de robustesse et de fiabilité du cabriolet. Celle achetée par le couple avait un énorme défaut. Sous les pédales, la tôle du plancher était trouée, laissant voir l'asphalte défiler. Lors de l’achat, le garçon avait fait remarquer ce défaut au vendeur, qui lui avait répondu :

— Même dotée d'un plancher troué, une bagnole de ce type, si elle est bien conduite, s'avère être plus fiable que bien d'autres.

Mais, après quelques kilomètres, la voiture commença à montrer des signes de défaillance. Le jeune homme réalisa que le commercial lui avait menti. La guimbarde était une véritable catastrophe et il perdit patience. Il retourna chez le commerçant pour avoir un remboursement, mais ce dernier refusa catégoriquement. Le garçon se retrouva donc avec une automobile qui ne valait rien. Désemparé, il se demanda comment se débarrasser de cette épave et récupérer son argent.

Pour se changer les idées après ses récents déboires, il invita Mathieu à partager un moment de convivialité autour d'une discussion légère.

Il se souvenait encore de sa première rencontre avec ce blond à l’embonpoint précoce qui semblait tout droit sorti d’un tableau gaulois, sa longue chevelure drue rappelant celle d’un guerrier. C’était à la MJC d’Empalot, lors d’une soirée tumultueuse où les FirePigs avaient livré un concert désastreux. Tandis que la foule huait, le garçon était apparu comme un curieux spectateur, attiré par le chaos. Responsable de la sécurité dans une boîte de nuit, il avait ce mélange étrange de calme et d’aplomb. Ce soir-là, sous un ciel étoilé, Mathieu avait impressionné par son pragmatisme et son humour tranchant. Depuis, il était devenu une présence singulière, oscillant entre confident et provocateur, capable de discussions profondes tout comme de tirades déroutantes sur la société. C’était précisément cette dualité que Georges appréciait en lui, et qui rendait leurs échanges toujours imprévisibles.

Lorsqu'ils se retrouvèrent au Bibent, la conversation dériva sur des sujets variés et amusants. C'est alors que Mathieu, sur un ton, mi-sérieux, mi-plaisantin, évoqua l'idée d'un cambriolage dans le Tarn. Il expliqua que la maison en question était habitée par des Parisiens uniquement le week-end, ce qui en faisait une cible potentiellement facile. Il avait dit :

— Quand on habite dans une ville aussi belle que la capitale, comment peut-on venir se perdre dans un trou au fin fond du Tarn ?

— Je ne suis pas d'accord avec toi. Tout le monde a besoin de changer d'air de temps en temps. Il y a de magnifiques choses à découvrir à Albi, avait répondu son ami.

— Lorsqu’on a tous les jours Notre-Dame sous les yeux, comment peut-on préférer la cathédrale Sainte-Cécile. Les Parisiens sont des fous.

— C’est faux. Il y a des fous à Paris, comme il y en a partout dans le monde. Il est injuste de dire que tous les habitants sont dérangés, simplement en raison du lieu de résidence.

— Bien, admettons. Et leurs attitudes ? Parle-moi de leurs attitudes. Je suppose que tu les acceptes aussi ?

— Pardon ? Que me dis-tu ?

— Les Parisiens sont des bourgeois. Les bourgeois sont des êtres maniérés, c’est bien connu.

— Pas tous. Tu exagères encore.

— Moi, j'ai horreur des individus qui font du chichi. As-tu remarqué la manière dont ils manipulent la fourchette dans les restaurants ?

— Non.

— La façon dédaigneuse qu’ils ont de se moquer des autres. Avant, les membres des classes aisées avaient l'habitude de se rassembler dans des lieux spécifiques. Ils formaient leurs propres communautés. À présent, ils se mélangent à toute la société.

— C’est ce qu’on appelle la mixité sociale. Il faut s’accepter les uns les autres. Quoi qu'il en soit, ce n’est pas un péché que de vouloir paraître.

— Inexact, mon pote. C’est de l’orgueil ou de la vanité, avait surenchéri Mathieu.

— Il y a des gens simples, même dans les classes sociales aisées.

— Peut-être. Mais, mon expérience personnelle me prouve l’inverse. Les intellectuels ne veulent pas améliorer le monde.

— Ah ! Bon !

— Ils sont trop préoccupés par leur propre statut social.

— Je ne comprends pas ton point de vue. Au fait, à ce sujet, comment te considères-tu ?

— Moi, je suis tout sauf un intellectuel. Je suis un être trop pur.

— Tu ne penses pas que tu pourrais utiliser ton cerveau pour améliorer le monde ?

— Le monde, je m’en fous. Ce qui m’intéresse, c’est moi. Je veux vivre avec authenticité. Le reste m’importe peu.

— Tu es fou, mon pote.

— Je préfère passer pour un fou que de me donner des airs de grand seigneur.

— Ne serais-tu pas jaloux d’eux, par hasard ?

— Certainement que non, je ne le suis pas. Je les hais tellement que je rêve de leur tirer dessus. Je me considère comme le Fléau de Dieu.

— J’aimerais bien connaître ta philosophie, le Fléau de Dieu, dit Georges en riant.

— Pour sortir du marais putride de la société capitaliste ?

— Oui.

— Je ne réfléchis plus et je ne raisonne plus. J'expérimente le principe de l'économie neuronale. Objectif zéro pour cent. Toutes les informations qui ne servent à rien sont ignorées par mon cerveau. Je refuse de me souvenir des dates de naissance de mes frères et sœurs et j'essaie d'oublier la mienne. Et je me suis promis de ne jamais ouvrir un livre, jamais au grand jamais. En résumé, je fais tout pour paraître un gros débile. Georges, souriant, ne répondit pas. Après cet échange passionné, chacun se plongea dans ses pensées. Tous les deux contemplaient la place du Capitole humide qui s'étendait devant eux. Malgré leurs divergences, une certaine complicité subsistait entre les deux hommes, témoignant d’une amitié indéfectible.

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