Chapitre 31 : Bonjour, je suis le Christ

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Le troisième samedi de novembre s’était enfin levé. Il enveloppait Toulouse d’une couverture dorée. Les feuilles d’or et de rouille dansaient dans les rues, portées par une brise légère, tandis que le soleil, plus timide et plus tendre, baignait la ville d’une lumière douce et apaisante. L’air était imprégné d’une odeur de terre humide et de frondaison automnale. Les passants se blottissaient dans leurs écharpes pour se protéger du froid naissant. Les cris joyeux des enfants jouant dans les parcs résonnaient, mêlés au bruissement des feuilles mortes sous leurs pieds. C’était un moment suspendu, où la nature et la ville paraissaient fusionner, créant une harmonie éphémère et enchanteresse. Pour Mathieu, c'était le jour de son pèlerinage à la majestueuse basilique Saint-Sernin, un rituel sacré où il exprimait son culte à Jésus et offrait ses prières. Chaque année, il s’y rendait solennellement. Cet édifice imposant était empli d'une aura de contemplation et de recueillement. Le jeune homme renouvelait sa croyance et trouvait réconfort dans la présence divine. Il essaya de persuader son ami Georges de l'accompagner. Celui-ci avait décliné l'invitation. Résigné à effectuer ce voyage spirituel seul, le garçon se prépara mentalement à cette journée spéciale, sachant que sa dévotion et sa foi n'en seraient que plus intenses. Il décida donc de se rendre à l'église, porté par une mystique inébranlable et sincère. Sur le chemin, chaque coin de rue évoquait pour lui des souvenirs chers, imprégnés de l'esprit estival, même en cette saison automnale. Mais, parmi tous ces trésors urbains, la basilique romane demeurait son refuge de transe, un lieu où sa connexion avec Dieu semblait la plus profonde.

Alors que Mathieu contournait des débris encombrants jonchant le trottoir, se dressa devant lui, surgi de nulle part, un barbu, vêtu d'une toge usée et de sandales défraîchies. Surpris, le jeune homme resserra instinctivement le manche de son couteau dissimulé dans sa poche.

— Seigneur Dieu ! Que me veux-tu ? demanda-t-il d'une voix empreinte de méfiance.

L'homme le fixa intensément et répliqua :

— Ne m'as-tu pas reconnu ?

— Non.

— Je suis le Christ, le Crucifié qui est ressuscité. Je suis revenu sur Terre, pour montrer aux hommes le chemin de la vérité et de la rédemption.

Le Messie étendit sa main droite, l'index et le majeur tendus. Il bénit Mathieu et, pour faire bonne figure, toute la rue Saint-Rome. Le garçon, stupéfié et incrédule, cligna des yeux. Ses jambes tremblaient légèrement. Puis, il se signa et fit une génuflexion comme une jeune communiante. Son cœur battait la chamade et il n'osait pas regarder le Sauveur hirsute dans les yeux. Il avait entendu tant d'histoires de rencontres divines, mais il ne pouvait pas croire que c'était vrai. Le barbu dit :

— Maintenant, tu es béni.

Les mots de l'homme troublèrent profondément Mathieu. Il sentit une étrange certitude grandir en lui.

— J’ai foi en toi, le Rédempteur, finit-il par murmurer, conscient de la portée de ses paroles.

Ses craintes et ses doutes s'étaient évaporés dans l'air automnal. Un sourire illumina le visage du Christ et il déclara :

— Alors, tu es sauvé, mon ami. Que mon père te protège et te guide sur ton chemin spirituel. Le Fils de Dieu posa une main sur l’épaule du jeune homme. La foi est un voyage, mon frère. Continue à chercher la vérité.

Le garçon sentit la chaleur de la paume sur sa peau. Il resta là, les larmes aux yeux, tandis que le barbu s’éloignait, sa silhouette se fondant dans la lumière dorée. Mais, bien entendu, dans la réalité, le Christ n’était pas le Christ, mais était juste un déséquilibré qui avait dépassé la date de péremption de la sagesse et qui avait basculé dans la folie. Jésus, quand il n’était pas en mode divin (ce qui, soyons honnêtes, arrivait aussi souvent qu’une éclipse solaire), dirigeait un petit centre de massage rue Marengo. Ses clients venaient pour des soins de l’âme, mais repartaient avec des nœuds dans le dos en prime. Il était grand amateur de drogues diverses. Elles avaient laissé des traces dans son cerveau. Désormais, il se prenait pour le Fils de Dieu.

Mathieu arriva devant la basilique Saint-Sernin et il s'assit sur un banc. En passant par la porte Miegeville, il entendit les cloches carillonner à tour de bras. L'autan éparpilla le son sur la ville. Dans l'église aussi grande qu'un terrain de football, les tapisseries avaient été tendues et les cierges allumés. La lueur des candélabres dansait sur les murs de pierre, créant des ombres mouvantes. Les marches, usées par des générations de fidèles, semblaient s’étirer à l’infini. L’air était épais, chargé d’encens et de mystère. Le jeune homme se rapprocha de l’autel en priant. Le cœur battant, il gravit chaque degré avec peine. Derrière lui, la foule murmurait des prières, des espoirs, des secrets. Il sentait sur son dos leurs regards, leurs attentes. Quel fardeau portait-il ? Puis, l’orgue Cavaillé-Coll commença à jouer. Les notes montèrent, puissantes et vibrantes. L’instrument colossal paraissait fusionner avec les voûtes ancestrales. Le garçon ferma les yeux, laissant la musique l’envelopper. C’était comme si chaque tuyau racontait une histoire millénaire. Les anges sculptés sur les chapiteaux paraissaient s’animer, applaudissant en silence.

Une chorale d’enfants prit le relais et se mit à entonner un Te Deum. Leurs voix cristallines s’élevèrent, emplissant l’espace. Le jeune homme se sentit transporté, comme si les voûtes s’ouvraient vers le ciel. Le chant sacré, hymne de louange et de reconnaissance, vibrait dans son âme. Il pensa à sa mère, à ses prières silencieuses, à ses mains usées par le chapelet. Perdu dans ses souvenirs, Mathieu alla au confessionnal. Le bois sombre, sculpté de motifs floraux, l’accueillit. Le curé, assis de l’autre côté du grillage, attendait. Il avait le visage bienveillant d’un vieil ami.

— Parle, mon fils, dit-il doucement.

L’ouaille hésita, puis déversa tout : ses doutes, ses péchés, ses espoirs. L’homme d’Église écouta, sans jugement, comme si chaque confession était un fragment de l’humanité. Il était pressé d’en finir. Il avait commencé le matin par les personnes les plus âgées qui n’avaient rien à se faire pardonner, puis les enfants qui étaient dans le même cas. Il avait poursuivi par les femmes, mais là, il avait dû écourter les confessions, car cela prenait du temps. Il avait terminé par les maris qui lui avaient pris une éternité. Mathieu était le dernier pénitent. Lorsqu’il sortit du confessionnal, léger comme une plume, il avait tout donné. Maintenant, il était entouré d'enfants de chœur qui faisaient tinter leurs clochettes autour d'un prie-Dieu de velours rouge. Il aperçut l’objet qui attisait son désir : un énorme reliquaire en forme de biche rempli de deux cents morceaux d'os du bienheureux. Alors, la voix du curé s’éleva :

— Bienvenue à la procession de Saint-Sernin.

L’officiant en tenue de cérémonie brandit le coffret sacré comme un trophée.

— Présentement, nous allons faire le tour de l’église de station en station et prier. Sachez que le fait de toucher la relique vous rendra heureux dans votre vie et vous protégera de toutes les maladies. Alléluia !

La foule répondit en chœur :

— Alléluia !

Des personnes s’approchèrent pour porter le reliquaire. Mathieu savait qu’il fallait être rapide. Depuis toutes les années qu’il s’adonnait à la pratique, il savait comment s’y prendre. La concurrence serait rude. Alors, le garçon opta pour une stratégie radicale ; il écrasa de son poids littéralement une vieille bigote devant lui, bouscula un paralytique sur son fauteuil roulant, broya les pieds d’une communiante. Il s’empara du coffret et se mit à marcher autour du lieu saint comme s’il faisait une randonnée. Il était suivi par les autres personnes. La foule tournait autour de lui. On se signait, se signait de nouveau et se signait encore. Derrière, des voix sournoises condamnaient le jeune homme :

— Il pourrait laisser sa place à d’autres !

Mais, celui-ci ne se laissait pas attendrir. Il galopait fièrement, plein d’allégresse, tenant fermement le coffret précieux avec dévotion. Mais, plus il avançait dans l’église, plus le nuage d’encens qui l’embaumait le faisait suffoquer. Insouciant du bruit, essoufflé, rouge et transpirant, il continuait sa route avec obstination. Vissée dans les bras du pénitent, la boîte devenait de plus en plus lourde. Il fit le tour de la maison du Seigneur et remit enfin le reliquaire au curé. Après avoir déposé les restes du saint, le garçon quitta la maison de Dieu avec un sentiment de soulagement et de fierté. Sur le chemin du retour, alors qu'il traversait la place du Peyrou, il croisa par hasard Maxime Debs, qui lui rappela la réunion du GUD[Groupe Union Défense : parti politique d’extrême droite], le lendemain en fin de matinée. Malgré son essoufflement et sa fatigue, Mathieu lui assura de sa présence, reconnaissant l'importance de cette rencontre pour son engagement politique.

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