Chapitre 35 : Berlin
Georges Roche était assis dans son appartement baigné dans la lumière tamisée d'une bougie. On lui a raconté l'histoire de Mathieu, on lui a donné les moindres détails : les coups, le sang, le lavabo, la douleur. Le jeune homme en était à sa troisième bière Valstar.
— Putain, c'est affreux, a-t-il dit.
Intérieurement, il sentait un mélange de colère et de tristesse l’envahir. Comment pouvait-on être aussi cruel envers un humain ? Ces images de violence le hantaient. Elles lui rappelaient à quel point l’existence avait la capacité d’être impitoyable. Il a hoché la tête et a ajouté :
— C'est vraiment terrible.
Son regard s'est perdu dans la flamme vacillante de la bougie, une lueur d'impuissance dans ses yeux. Il se sentait soudainement si petit face à la brutalité des gens, comme si chaque bouffée de cette saga écrasait un peu plus son cœur. Le poids de l'injustice et de la souffrance semblait le broyer, le forçant à affronter la dure réalité de la vie. Il se leva, examina son visage dans un miroir, puis alla caler une cassette de Lou Reed dans le magnéto. Alors qu'il écoutait Berlin[Berlin, Lou reed-1973], une scène de leur passé refit surface. Il se revit un dimanche, un matin, assis sur un banc avec Mathieu, partageant une bouteille de vin bon marché sur la pelouse de la basilique Saint-Sernin, près du marché aux puces. Ils riaient aux éclats, parlant de leurs rêves et de leurs espoirs. Son camarade, malgré ses défauts, se démarquait du commun des mortels dans sa propre épopée. À l’évocation de ces souvenirs, si vifs et si réels, les larmes montèrent aux yeux. Maintenant, les notes de musique évoquaient les rues sombres et réalistes d’une ville fantôme, où son ami se perdait. Et cela évoqua pourquoi il avait choisi cette chanson et ce qu'elle avait à voir avec lui. Il voulait à présent rappeler à son esprit que tout cela était là, qu'il n’était pas en mesure d’ignorer l’histoire et la géhenne que ce sujet racontait.
« Come watch the sun go down in Berlin,
See that girl with the raven hair,
She's so unique, she's so rare,
Walking the night like a queen,
In the air In a city so dark and so real. »
À la fin de la cassette, il comprit qu’il ne reverrait plus Mathieu. Les paroles de Lou Reed résonnèrent dans son esprit, renforçant le sentiment de désespoir et de réalité brute imprégnant son propre récit. Progressivement, le silence s'imposait dans la pièce. Il redoublait de terreur de ce que la vie pouvait engendrer. Il était devenu un adulte immobile, perdu dans ses pensées. La violence subie par son camarade n'était qu'un exemple parmi tant d'autres de la cruauté dont les êtres humains étaient capables. Il songea aux innombrables victimes anonymes qui souffraient chaque jour dans l’univers, aux enfants maltraités, aux femmes battues, aux personnes persécutées pour leurs croyances ou leur identité. Cette réalité le submergeait, le laissant avec un sentiment d'impuissance écrasant. Qu’était-il susceptible de faire, simple individu, face à tant de souffrance ? Il se rappelait les paroles d'un professeur de philosophie qui l'avait marqué.
— Nous ne pouvons pas changer le monde entier, mais nous pouvons changer le monde d'une personne à la fois.
Cette idée lui apporta un peu de réconfort. Peut-être n’avait-il pas le droit de sauver son ami ni d’éradiquer toute la férocité collective, mais il s’autorisait au moins à essayer d’être une force positive dans son entourage immédiat. Il pouvait écouter, soutenir, tendre la main à ceux qui en avaient besoin. C'était peu, certes, mais c'était déjà quelque chose. Et si chacun faisait de même, peut-être qu'ensemble, on pourrait créer des îlots de compassion et d'humanité dans cet océan de brutalité. Cette pensée apporta un semblant d'espoir, fragile, mais tenace, comme la flamme vacillante de la bougie qui continuait de briller dans l'obscurité.
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Trop de pathos ? Ce texte frôle l’indécence émotionnelle. Est-ce qu’on écoute Lou Reed ou est-ce qu’on s’en sert comme décor pour faire pleurer dans les chaumières ? Compassion ou complaisance ? La souffrance devient-elle un prétexte littéraire ? À vous de trancher.
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