Chapitre 36 : Retrouvailles Inattendues
Après la disparition soudaine de Mathieu, Georges se retrouva seul, enveloppé à l’intérieur d’un silence oppressant qui amplifiait sa désorientation, tel un navigateur perdu en pleine mer, sans étoiles pour guider sa route. Cherchant désespérément à comprendre les circonstances entourant le départ de son ami, il se lança dans une quête émotionnelle et mentale avec l’objectif de trouver des réponses. Au cœur de la tourmente de ses pensées, le garçon fouillait chaque recoin de sa mémoire, espérant y détecter un indice, une lumière au fin fond de l’obscurité de son esprit. Tout souvenir semblait telle une vague qui le ramenait inlassablement vers le rivage de la réalité, où la présence de Mathieu n’était désormais qu’une empreinte éphémère sur le sable mouillé.
*
Georges errait parmi les rues de Toulouse, l'esprit troublé par les événements récents. Il reconnut un visage familier qui attira son attention. Assis à la terrasse du bar La Frégate, sirotant tranquillement son café, se trouvait Alain Spalia, qu'il n'avait pas revu depuis longtemps. Le garçon s'approcha, hésitant, surpris de le rencontrer là, au moment même où il en avait le plus besoin.
— Alain ? appela-t-il, incertain.
Le jeune homme leva les yeux de sa tasse et un large sourire éclaira son visage.
— Quel étonnement de te voir ici ! Viens, assieds-toi. Ça fait une éternité. Les FirePigs se reforment.
— C'est drôle de te croiser, je ne m'y attendais pas du tout.
Alain inclina la tête, observant l'expression soucieuse de son camarade.
— Tu sais Georges, beaucoup de choses ont changé depuis notre dernière rencontre. J'ai enfin réussi à me débarrasser de cette dépendance qui me rongeait.
Son interlocuteur leva un sourcil et demanda :
— Vraiment ? Comment as-tu fait ?
Alain soupira, ses yeux s’échappant un instant dans le vide.
— Ça n'a pas été facile. J'ai touché le fond. J'étais à deux doigts de tout perdre, ma santé, mes amis, ma dignité. Mais un jour, j'ai eu un moment de lucidité. J'ai réalisé que je ne pouvais guère continuer ainsi. J'ai demandé de l'aide, j'ai suivi un programme de sevrage et j'ai trouvé la force de me battre. Aujourd'hui, je suis sobre. Georges hocha la tête, impressionné.
— Je suis vraiment content pour toi, mon pote. C'est un sacré parcours.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Alain. Tu sembles préoccupé.
Cédant à son besoin de confier ses tourments, son camarade décida de lui parler de Mathieu et de sa disparition inexplicable. Son ami l'écouta attentivement, hochant parfois la tête ou posant des questions pertinentes dans l’optique de mieux comprendre la situation. Il affirma d’un ton compatissant.
— Je suis désolé d'apprendre cela. Ce doit être difficile pour toi. Certes, tu sais, certaines réponses se trouvent là où on s'y attend le moins.
Les mots du garçon apportèrent un certain réconfort à Georges. Il se sentait rasséréné maintenant qu'il avait quelqu'un avec qui partager ses soucis. Puis, la discussion se porta très vite sur les souvenirs communs.
— Eh ! Alain, te rappelles-tu ce concert désastreux des FirePigs à la Maison des Jeunes et de la Culture d’Empalot ?
— Comment pourrais-je l'oublier ? C'était épique, dans le mauvais sens du terme. On aurait dit qu'on jouait au cœur d'un film détestable de série B.
— Te souviens-tu quand tu as détaché ta guitare et as plongé au milieu de la foule afin de distribuer des coups de poing ?
— Oh, comment le pourrais-je ? J'ai cru d’un coup que je me battais sur un ring de catch plutôt que sur une scène de musique.
— Et Patrick qui est remonté sur le plateau dans l’intention de leur dire qu'ils ne seraient pas remboursés ! Quel moment !
— Un grand Patrick, imperturbable, malgré l'émeute qui éclatait autour de nous. Mais sérieusement, c’était digne d'une comédie burlesque.
— On peut dire que ça nous a donné une histoire à raconter pendant des années. Au moins, cela a renforcé notre amitié.
— C'est clair. Rien de tel qu'une bonne catastrophe dans la perspective de rapprocher les gens. Néanmoins, j'espère qu'on ne revivra jamais un truc comme ça.
— Amen, mon ami ! Désormais, on peut en rire, certes, sur l’instant, c'était tout sauf drôle.
— C'est certain. Mais bon, ça nous a laissé des traces mémorables et quelques cicatrices qui témoignent de cette folle soirée.
Au fil de la discussion, Georges sentit progressivement le poids de la disparition de Mathieu s’alléger. Son absence, si pesante quelques heures plus tôt, paraissait maintenant plus lointaine. Le rappel de bons moments l’avait éclipsée. Cela agissait comme un baume sur une blessure encore fraîche. Peu à peu, la douleur lancinante qui l’habitait se dissipait remplacée par une excitation nouvelle. Il se surprit à rire aux éclats. Les anecdotes sur le passé ravivaient en lui une flamme qu’il croyait éteinte. Il en vint même à oublier la raison qui l’avait poussé à errer dans les rues. Il dit :
— Ah, les souvenirs de jeunesse... On ne les échangerait pour rien au monde, même s'ils sont parfois un peu chaotiques.
— Absolument ! Et puis ça nous a permis de découvrir que la musique peut quelquefois être plus mouvementée que prévu.
— On peut dire ça comme ça. Bon, espérons que nos futures aventures seront un peu moins agitées. Mais si jamais on se retrouve dans une situation semblable, alors on saura comment réagir.
Alain se recula un peu de la table et dit :
— Et en attendant, on peut toujours se remémorer de cette fameuse soirée avec un délicieux verre de bière et un éclat de rire.
— Ça me semble être un excellent plan, mon ami. Rien de tel qu'un peu d'humour afin d’égayer nos pensées les plus tumultueuses.
Alain prit sa tasse de café et finit de boire le contenu. Il dit.
— Eh, poteau, te remémores-tu nos folles aventures en compagnie du gorille Victor au Jardin des Plantes ?
— Ah, comment oublier ça ? Victor, le gorille le plus rock 'n' roll de tout Toulouse !
— Tu te rappelles quand il se mettait à « jouer de la batterie » sur les barreaux de sa cage ? Ça nous faisait toujours éclater de rire.
— Oh oui. Ses regards malicieux, comme s'il voulait nous dire : « Regardez-moi, je suis une vraie rockstar en prison. »
— Et puis bien sûr, la fameuse finale ! « The » performance artistique.
— Ha ! Ha ! Juste un spectacle unique en son genre.
— Et pendant ce temps-là, nous, les FirePigs, on essayait désespérément de rivaliser avec ses excentricités. Rien que de penser à nos aventures loufoques, ça me redonne le sourire.
— C'est sûr que nos journées étaient loin d'être ennuyeuses avec notre routine du café Bibent au Jardin des Plantes.
— Ces histoires ! Simplement inoubliables ! On était vraiment des as dans l'art de passer du bon temps, n'est-ce pas ?
— Absolument ! Et on peut dire qu'on a bien mérité notre titre de maîtres de la fantaisie à la toulousaine.
— Ah, ces images resteront gravées au plus profond de nos cerveaux pour toujours, mon ami.
— En mémoire de Victor, on devrait recommencer à faire le show dans les rues de Toulouse.
— Exact ! Rien de tel qu'un peu de folie afin de pimenter la vie.
Ils continuèrent à discuter longuement, évoquant la mémoire du passé et des occasions partagées. À mesure que la conversation avançait, des rappels subtils sur leur relation antérieure étaient disséminés. Georges constatait à quel point il avait négligé l'amitié d'Alain depuis l'arrivée de Mathieu. Il se promit de ne jamais refaire cette erreur. Puis, alors que la discussion prenait une pause, il se racla la gorge, cherchant comment introduire l'information délicate.
— Au fait, poteau, il y a quelque chose dont je voulais te parler, commença-t-il doucement. Jessica, ton ancienne petite amie, va s'installer avec moi pour un certain temps. Son camarade sembla surpris, mais ne laissa pas transparaître de malaise.
— Oh, je vois, répondit-il, un petit sourire au bout des lèvres. C'est une nouvelle intéressante. J'espère que ça se passera bien pour vous deux.
Alors que l'échange se prolongeait, Georges acquiesça, ses yeux exprimant une compréhension empreinte de nuances face au sous-entendu de son ami. À travers les reflets de la baie du bar, les contours de son visage traduisaient un mélange subtil d'assentiment et de réserve. C'est ainsi, à l’intérieur de cette atmosphère feutrée où les murmures des conversations environnantes se mêlaient au léger tintement des verres, malgré sa curiosité persistante, il décida de ne pas pousser davantage sur le sujet. Il respectait le passé d'Alain Spalia tout en gardant une certaine vigilance pour l'avenir. En fin de compte, les deux amis se levèrent, échangèrent leurs nouvelles adresses. Ils se promirent de ne plus jamais laisser une semaine s'écouler sans se retrouver dans l’optique de partager un verre et de fumer l'herbe qui les faisait tant rire.
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Et si le vrai scandale, c’était ça ?
Qu’on parle de la disparition d’un ami entre deux cafés crème,
qu’on ressuscite les souvenirs punk d’un gorille toulousain pendant qu’un type s’efface en silence,
qu’on glisse d’un deuil à une anecdote de concert foireux,
et qu’on termine tout ça en posant ses valises dans le lit de l’ex d’un pote ?
Voilà notre époque.
Le pathos noyé dans le bavardage.
L’amitié transformée en sitcom.
Et la mémoire ? Elle n’est plus sacrée, elle est scénarisée.
Mais au fond, peut-être que ce texte nous tend un miroir.
Celui où l'on rit trop vite pour ne pas pleurer.
Où l'on raconte n’importe quoi pour ne pas avouer qu’on ne sait plus aimer.
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