Chapitre 38 : Retour Mouvementé

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— Oh ! Et puis zut ! Maintenant, il fallait revenir à Toulouse, simple, tel un adieu. Une sensation étrange s'emparait de l'atmosphère de la nuit. Le hululement d'une chouette retentissait comme une sorte de présage. Un frisson parcourut l'échine de Georges alors qu'il actionnait la tige du démarreur de leur fidèle 2 CV. Le moteur toussota avant de s’éveiller dans un ronronnement apaisant. Le couple jeta un dernier regard sur le paysage nocturne où les ombres des arbres dansaient sous l’effet de la brise douce. Ils savaient que chaque kilomètre les rapprocherait de la réalité qu’ils avaient cherché à fuir. Un soupir s'échappant de ses lèvres, le jeune homme enclencha la première vitesse et la vieille automobile prit son envol sur la route déserte, ses phares perçant l'obscurité tel un guide à travers leur avenir incertain. C'était la fin d'un long week-end ; la nature se transmutait en un univers à part. Une brume d'été gommait un peu la couleur blanche des façades de Cadaqués. Les lampadaires bordant les rues brillaient d'un jaune fade. On distinguait à peine les contours flous des montagnes proches. Le village dormait encore, ses venelles silencieuses gardaient les secrets de la nuit passée. Georges, l’esprit déterminé, sentait le magnétisme énigmatique de Jessica à ses côtés. Un phare de voiture éclaira brièvement la peau et les cheveux roux de la jeune fille. Mais, dans l'air, il y avait une présence indéfinissable qui planait dans les ténèbres. La 2 CV serpentait sur les routes sinueuses, un symbole de leur voyage à travers les complexités de la vie. Chaque tournant semblait leur proposer une nouvelle perspective, chaque montée un défi à surmonter. Bientôt, le couple se trouva sur une hauteur. Ils s’arrêtèrent un instant pour deviner la mer Méditerranée dans la noirceur matinale. De là, ils purent pressentir une chose qu’ils ne connaissaient pas encore, mais que leur esprit leur laissait présager. Jessica, ravie, prononça ces mots :

— C’est tellement beau, ici ! C’est un endroit merveilleux où mourir.

Elle se mit à rire. Puis, elle inspira profondément. Une légère brise commença à caresser son visage.

— Repartons, dit-elle.

Un peu plus loin, ils s’engagèrent sur une départementale. Le soleil n’était pas visible. Dans l’attente de son lever, le monde baignait dans une obscurité douce et réfléchissante. Les contours de la réalité s’estompaient, laissant place à une toile vierge où les pensées et les sensations pouvaient se peindre en couleurs abstraites. L’air frais du matin était pareil à un pinceau trempé dans l’encre de la nuit, traçant des lignes floues entre le sommeil et l’éveil. Les étoiles, dernières sentinelles nocturnes, scintillaient faiblement dans la brume, leurs lumières vacillantes semblables à des souvenirs d’un rêve enfantin. Le silence se dressait tel un canevas, invitant toute âme à y projeter ses propres espoirs et craintes. Lorsque la purée de pois voulait céder un peu de terrain, on devinait la présence de l'astre du jour prêt à bondir. Il attendait patiemment six heures trente pour répandre sa lumineuse clarté sur la Terre. Mais, le brouillard, d'une façon vigoureuse, résistait toujours tel un rempart. Cependant, à l'heure dite, avec la précision d'un horloger, au bout du chemin, une lueur sous forme de trait vert. C’est alors que les premières étincelles du jour commencèrent d’infiltrer le panorama, tissant lentement un nouveau récit. Le soleil, encore timide, tenu par d’indivisibles fils, embrasait le paysage brumeux dans un élan d’amour éternel, promettant de révéler bientôt toute sa splendeur. C'est ainsi que le gradient de la température provoqua un brusque réchauffement de l’asphalte. Ensuite, sous forme de mirage, à l'horizon, suspendue par une illusion d'optique, la mer Méditerranée apparut comme une sorte d'effet miroir. L'image monta, puis se mua en vert pour finalement, virer et se dégrader en bleu. C'est enfin qu'une forme sombre émergea dans le rétroviseur, une silhouette obscure comme la nuit.

Ce n'était pas simplement une rencontre fortuite sur la route déserte, mais plutôt le début d'une série d'événements étranges et inexplicables. Ceux-ci allaient bouleverser le voyage et les plonger dans un monde où la frontière entre la réalité et le surnaturel semblait s'estomper. Une Volkswagen, d'un noir profond, avançait vers eux à une vitesse déconcertante, ses phares, pareils à un guide, perçant la nature . Georges éprouva une surprenante appréhension l'envahir alors que l’automobile enténébrée les dépassait dans un éclair, comme si elle était mue par une force invisible. Il resserra sa prise sur le volant, son instinct lui criant de se préparer à l’inévitable. Jessica, sentant la tension, posa sa main sur son bras en un geste apaisant. Leurs yeux se rencontrèrent, un mélange de terreur et de détermination se reflétant dans leur regard. D’abord, le véhicule noir actionna son klaxon sur l’air de la « Cucaracha* » :

« Le cafard, le cafard,

Ne peut plus marcher,

Parce qu'il manque, qu'il manque,

De la marijuana à fumer. »

Puis, la Volkswagen sombre dépassa la 2 CV d'une rapidité telle que l'air autour d'eux vibra. Georges, les mains crispées sur le volant, sentit la voiture tanguer sous la force de l’automobile qui les frôlait. Jessica se pencha instinctivement vers lui, comme pour se protéger. Ils tentèrent de distinguer le conducteur à travers les vitres teintées, mais seul un reflet obscur leur renvoya leur propre image empreinte de peur. Le bolide disparut aussi vite qu’il était apparu, laissant derrière lui un silence oppressant. Le jeune couple échangea un regard, se demandant s’il avait été la cible d’une menace ou si c’était simplement l’imprudence d’un autre chauffeur. Le soulagement de l’avoir évité se mêlait à l’angoisse de l’inconnu et ils reprirent leur route, l’adrénaline lentement remplacée par une vigilance accrue. Soudain, dans le rétroviseur, la silhouette agressive de la Volkswagen réapparut, se rapprochant à une allure effrénée. Elle les dépassa de nouveau, cette fois-ci, avec une proximité alarmante, frôlant le côté de la 2 CV. Sans crier gare, l’automobile donna un coup latéral. Un choc sourd résonna et la vieille voiture se mit à chavirer dangereusement. Jessica poussa un cri étouffé, se cramponnant au siège. Georges sentit une bouffée de peur monter en lui. Il lutta pour garder le contrôle, le volant vibrant sous ses mains. Le véhicule pencha vers le fossé, les pneus crissant contre le bitume, projetant des gravillons dans les airs. Le jeune homme parvint à redresser la 2 CV de justesse, évitant de peu la tranchée qui aurait pu les engloutir. Jessica, blême, regardait fixement devant elle, trop choquée pour parler. Ils étaient sains et saufs, mais l’avertissement de la voiture ténébreuse planait toujours, tel un spectre dans une brume matinale. Alors que la tension montait et que l’automobile reprenait péniblement sa pérégrination, un nouvel élément vint bouleverser la scène. Dans le lointain, les gyrophares d’un fourgon de police percèrent le brouillard, leur lumière bleue et rouge se reflétant sur les gouttelettes d’eau en suspension. Leur apparition soudaine sembla faire effet : la Volkswagen, qui avait jusqu’alors mené un jeu inquiétant, disparut aussi rapidement qu’elle était advenue, se fondant dans le paysage comme si elle n’avait jamais existé.

L’estafette de gendarmerie fit des appels de phare pour indiquer au couple qu’il devait stopper la 2 CV. Ce qu’il fit.

— Bonjour, monsieur, bonjour madame. Gendarmerie nationale. Nous avons reçu des signalements d'une conduite dangereuse dans cette zone. Tout va bien ? demanda le gardien de la paix.

— Bonjour. Oui, tout va bien, merci. Nous avons juste eu un petit problème matériel, mais rien de grave, répondit Georges.

Cette réaction de déni pourrait paraître paradoxale. Mais, dans le tumulte de l’incident, le couple se retrouva submergé par un état de choc, une réaction humaine instinctive face au risque imminent. L’adrénaline, inondant leur système, aiguisa leurs sens, mais voila également leur jugement, les conduisant à minimiser l’agression. Cette réaction, bien que contre-intuitive, fut un mécanisme de défense psychologique. Ainsi l’esprit chercha à protéger l’individu de l’ampleur réelle d’un traumatisme. Dans cet état altéré, Georges et Jessica prirent des décisions teintées d'une rationalisation forcée. Ils tentèrent de maintenir une façade de normalité malgré leur chaos intérieur. Leur choix de ne pas divulguer la vérité aux gendarmes reflétait la complexité d’un tiraillement entre le désir de se défendre et la volonté de ne pas chercher des complications supplémentaires. C’est dans cette dualité que résidait l’essence commune du couple, des êtres humains façonnés par leurs expériences, leurs peurs et leurs espoirs, oscillant entre vulnérabilité et bravoure. Le policier les crut sur parole, n’ayant pas perçu de nervosité notable chez le couple. Il ajouta :

— Nous avons été informés qu'une voiture noire agresse les automobilistes. Avez-vous été menacés d'une quelconque manière ?

— Non, non. Juste un conducteur pressé qui nous a dépassés un peu trop rapidement. Rien d'inquiétant, répondit le garçon. Oui, nous avons eu seulement un moment d'appréhension, mais tout est rentré dans l'ordre maintenant.

— Êtes-vous sûr ? Si vous avez été intimidé ou si vous vous sentez en danger, nous pouvons vous aider.

— Je vous assure que tout va bien. Nous apprécions votre intervention, mais il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Nous allons juste continuer notre chemin. Nous allons être vigilants, ne vous angoissez pas.

— D'accord, mais restez prudent.

— Merci beaucoup.

— Bonne journée.

— Bonne journée à vous aussi.

Les deux jeunes, continuèrent leur trajet, le silence entre eux, interrompu seulement par le bruit sourd du moteur et le grincement occasionnel de la carrosserie. Ils ne purent s’empêcher de jeter des regards inquiets dans le rétroviseur, mais le bitume derrière eux restait étrangement vide. Quelques kilomètres plus loin, alors qu’ils approchaient d’un bar routier isolé, ils aperçurent la silhouette familière de la Volkswagen. Elle était là, stationnée nonchalamment, comme si de rien n’était. Même à l'arrêt, elle paraissait agressive, féroce. Georges ralentit, hésitant sur la conduite à tenir. La présence de la voiture de police, qui avait continué son itinéraire, leur offrait une sécurité précaire. Il décida de s’arrêter pour aller voir le conducteur. D’abord, il s’approcha de l’habitacle de l’automobile. Il n’y avait personne. Les contours du volant semblaient figés dans une position de départ, comme si le véhicule attendait son prochain voyageur. Pourtant, il n’y avait aucune trace de passagers ; pas de manteau oublié sur le siège arrière, pas de clés pendues au contact, rien. Il contourna l’auto et se dirigea vers le bar. Le café, avec ses silhouettes étranges, l’attendait. Georges regarda discrètement dedans. L’établissement était plongé dans une semi-obscurité, seulement éclairé par les rayons du soleil qui se levait à l’est. Il y avait là, une femme et une dizaine d’hommes, chacun portant son propre mystère. Le garçon chercha du regard celui qui avait tenté de le tuer. Lequel d’entre eux était le conducteur diabolique ? Était-ce le grand échalas aux yeux rougis par l’alcool ? Le petit gros aux allures de tueur ? Cette femme blonde qui ressemblait à une fée maléfique ? C’est alors que Jessica surgit de nulle part. Elle attrapa le bras du jeune homme, lui murmurant à voix basse de rebrousser chemin. La présence de l’individu menaçant qui était dans ce lieu ne laissait aucun doute quant au danger qui les guettait. Sans demander leur reste, le couple quitta précipitamment la fenêtre du bar, laissant derrière eux le personnage énigmatique qui semblait s'agripper à leurs talons. Leurs pas hâtifs résonnaient dans le silence oppressant de l’endroit, les poussant avec une urgence pressante. À chaque instant, ils craignaient de sentir quelqu’un ou quelque chose s'abattre sur eux. Ils se cramponnaient à l'espoir d'atteindre la sécurité de leur voiture. Georges ouvrit la porte d’un geste précipité, ses mains tremblantes témoignant de la tension qui parcourait son corps. Jessica glissa sur le siège passager avec une impatience fébrile, ses yeux toujours anxieux. Le moteur de la 2 CV vrombit comme un appel à la sérénité, promettant un répit bienvenu loin des périls qui les avaient accablés. Le véhicule s'élança sur l’asphalte désert du début de journée tel un éclat d'espoir. Ils laissèrent derrière eux le bar maudit, mais l'ombre menaçante persistait, un rappel constant de la fragilité de leur sécurité dans ce monde incertain. Le vent de la matinée, porteur d'avertissements sinistres, prenait désormais une tonalité plus douce, comme s'il leur murmurait des garanties de quiétude et de liberté. Les cœurs battant fort se calmèrent lentement, remplacés par une anticipation fiévreuse alors qu'ils se rapprochaient de le soir même, où ils assisteraient au concert tant attendu de Léo Masset. L’automobile, tel un vaisseau vers un nouveau départ, les emmenait vers un horizon où l'excitation de la musique et les cris de rébellion se mêlaient harmonieusement, annonçant une expérience transformatrice et libératrice.

[*Cucarcha, Espagne-1818]

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