Chapitre 44 : Le Départ de Jessica
— Oh là là ! Jessica a disparu ! Je ne l’ai pas entendue partir hier soir. Je me demande bien où elle peut être allée avec cette vieille 2 CV. Elle est tellement imprévisible, cette fille ! J'espère qu'elle n'a pas fait une bêtise, cria Georges Roche.
— Elle est sans doute allée se préparer pour voir défiler les militaires du 14 juillet, lui répondit alors Alain avec un sourire malicieux.
— Ah non, Alain ! Tu sais bien que ton amie déteste les événements trop protocolaires !
Alain pensa : « C’est vrai que nous étions ensemble, elle détestait les occasions formelles. »
Son interlocuteur lança :
— Elle est partie pour s'aérer l'esprit. Elle n’allait pas bien ces derniers temps. J’en connais la raison. Je crois savoir pourquoi. J'espère qu'elle est en sécurité où qu'elle soit, cette tête de mule !
Il raconta à son camarade l’épisode de l’adoptante blonde. Il lui apprit aussi l’existence de Virginie, la fillette abandonnée. Alain, d'ordinaire taquin et enjoué, parut soudain interloqué et sérieux. Ses sourcils se froncèrent légèrement tandis qu'il assimilait l'histoire avec empathie.
— Ce n’est pas rock 'n' roll, mec, cette nouvelle. C’est incroyable ! Elle ne m’en a jamais parlé. C’est une situation atroce ! Peut-être est-elle partie réfléchir à tout ça, prendre du recul, murmura-t-il, ses propres pensées tournées vers l'amie commune dont il découvrait l’étonnant secret.
— J'espère juste qu'elle ne s'est pas mise en danger. Elle peut être si impulsive quand elle est bouleversée, reprit Roche.
Le salon était baigné d'une lumière brute, filtrée à travers les rideaux vaporeux. La senteur délicate de patchouli flottait dans l'atmosphère, rappelant les champs ensoleillés du sud. Le parfum terreux doucement boisé donnait une note sucrée. Georges, assis sur le canapé, touchait le tissu rugueux sous ses doigts. La texture évoquait les nombreuses soirées passées à discuter avec sa fiancée. Alain, de son côté, se tenait près de la fenêtre entrouverte, laissant entrer un maigre courant d’air qui agitait lentement les rideaux. Il pouvait entendre le léger murmure des personnes passant dans la rue, ajoutant une dimension de solennité. Les mots du jeune homme résonnaient dans sa tête, accompagnés des paroles assourdies de la ville. Chaque détail de la pièce semblait amplifié dans le silence pesant qui s'était installé, renforçant l'émotion qui étreignait les deux camarades alors qu'ils cherchaient des réponses à la disparition mystérieuse de Jessica.
— Peut-être est-elle partie avec quelqu’un ? extériorisa Georges.
— Cela m'étonnerait, elle n'est pas comme cela, rétorqua Alain.
Son ami hocha la tête, perplexe. La fille était devenue une énigme, un paradoxe vivant. Tout à coup, elle était si différente, si insaisissable. Il se souvenait de leur conversation tard dans la nuit, à la lueur de bougies, quand ils avaient volé ensemble le disque des Stooges. Elle avait cette façon de le regarder, comme si elle cherchait des réponses dans la pupille de ses yeux. C'était comme une danse entre leurs regards, une chorégraphie émotionnelle où chaque pas laissait entrevoir une facette actuelle de la jolie rousse. Il ajouta :
— Elle a toujours été attirée par l’inconnu, Alain. Certainement qu’elle a fait quelque chose qui nous dépasse.
— Les femmes sont des énigmes, mon poteau. Et Jessica est la plus grande de toutes. Mais, je suis sûr d’une chose : elle sera là bientôt.
Mais il pensa en même temps :
— Je suis persuadé que c’est lié à sa fille. Elle cherche quelque chose pour se consoler de l’avoir abandonnée, quelque chose qu’elle n’avait pas trouvé à mon côté et que son fiancé actuel n’a pas réussi à lui procurer non plus.
Georges perdit son regard dans celui de son camarade. Une géhenne, presque palpable, s'empara de lui, comme si son cœur était en proie à une tempête intérieure. Il ressentait une angoisse grandissante, semblable à celle d'un amoureux éperdu prêt à gravir les montagnes les plus hautes pour retrouver sa bien-aimée.
— Je suis étonné de voir l'inventivité des femmes pour nous faire souffrir. Enfin, je veux dire, nous les hommes, bien sûr, objecta Roche, un brin perplexe.
Alain répliqua d'une voix douce, mais une lueur d'inquiétude traversait ses yeux.
— Je pense qu'elle est partie pour se changer les idées et oublier un peu son désarroi. Tu devrais être plus confiant en elle et la laisser faire ce qu'elle veut. Je suis sûr qu'elle reviendra bientôt.
Il tentait de rassurer son ami, bien que ses propres doutes se mêlaient à ses paroles, créant un écho d'incertitude. Mais, au fond de lui, son camarade se demandait si son optimisme était simplement une façade pour cacher sa confusion face à cette situation.
— Je pense que je devrais aller bloquer les comptes bancaires, proféra Georges.
— Non, je ne te conseille pas de faire cela. Après tout, elle a le droit de profiter de sa vie et de prendre des décisions. Tu devrais lui faire confiance, répondit Alain, mais il sentait le poids des émotions complexes qui se tordaient en lui, révélant la fragilité de son optimiste apparent.
— Tu as peut-être raison... Je ne sais plus. Toi qui fréquentes du monde en ville, tu peux essayer de la chercher et me la récupérer ?
— Écoute, je vais voir ce que je peux faire. N'oublie pas, elle a le droit de faire ce qu'elle veut et tu ne dois pas lui en vouloir.
— Moi, je pense que c'est la douleur qui l'a rendue insensée plutôt.
— Allons, ne dis pas ça. Tu devrais essayer de décompresser un peu et de te laisser aller. Alain voulait aider le déplacement du chemin sombre des sentiments de son ami, comme une canne guide un aveugle perdu dans la ville.
— Se détendre, c'est facile à dire, mais pas facile à réaliser. Je l'adore cette garce !
— Nous l’aimons bien ! reprit Alain qui avait un nouveau regain d’intérêt pour la jolie rousse.
— Ne dis pas cela ! Tu devrais être plus optimiste et rester confiant. Elle nous reviendra bientôt et tu verras qu'elle n'est pas du genre à s'enfuir pour toujours. Toi, tu joues trop avec ton cœur et tes nerfs. Et ça finit généralement mal.
— Tu as raison, je vais essayer de me lâcher un peu. Merci, Alain, je sais que je peux compter sur toi. Mais, j’ai un mauvais pressentiment.
— Pas de problème, je vais tout faire pour la ramener chez nous. Je te promets que nous la reverrons.
— Vas-tu agir en mode commando ? demanda Georges, le regard animé d'une mise en scène d'action, prêt à défier tous les obstacles pour retrouver celle qu'il aime.
— Non, je ne ferai pas du cinéma. Je vais juste me renseigner auprès de mes camarades et voir si quelqu'un l'a aperçue. Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. Si je la raccroche, je la ramènerai par la peau des fesses. Tu peux compter sur moi.
— Oui, mais uniquement quand tu n'es pas ivre, répondit son ami, en souriant pour la première fois.
— Bah alors ! Je te promets de ne pas boire de la journée. Je trouverai sûrement des indices.
— À son retour, si je lui faisais une surprise ? Un billet d'avion pour un voyage en Italie, par exemple ?
— Tu pourrais lui faire une surprise, mais je ne pense pas que cela soit nécessaire. Tu devrais tenter de te changer les idées, crois-moi.
Le silence du studio fut brisé par quelqu'un frappant à la porte.
—
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