La Locomogivre

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Comme après la fin des cours, Aiden s’assura que personne ne rôdait dans les parages, surtout ses camarades de chambre. Il ne les vit pas. À cette heure-ci, ils étaient très certainement en train de faire déborder les urinoirs ou d’écrire des choses sur les miroirs avec leurs crachats !

Le garçon empoigna avec vivacité son sac de classe avant de vider son contenu sur le sol et de le cacher sous son lit avec les restes de la chaise. Dedans, il fourra quelques vêtements chauds, ainsi que quelques barres chocolatées qu’il déroba dans les affaires de Myron. Avant de refermer le sac, il regarda une dernière fois la photo de ses parents avant de la glisser dedans avec la lettre. Il cacha le tout sous son lit par précaution, au cas où les trois zigotos auraient envie de lui voler une gomme ou un taille-crayon, ou bien même de lui dessiner une moustache avec son bâton de colle ! Aiden savait qu’il allait prendre de gros risques sans savoir dans quoi il s’embarquait, mais il devait le faire. Il comptait déjà les heures, et l’attente allait être longue.

Avant de quitter l’internat ; et ce, afin de brouiller toutes les pistes, il jeta ce qu’il restait de l’enveloppe dans les toilettes. Il gagna la cour en évitant au maximum de croiser la bande des sauvageons.

Pendant le dîner, Aiden constata le réfectoire avec un sourire en coin. Il était si vide… Habituellement, toutes les tables étaient bondées, et le garçon était obligé de s’asseoir à côté d’inconnus qui ajoutaient toujours de la distance avec lui en changeant de chaise. L’avantage de cette période était qu’il avait toujours une table rien que pour lui, et, afin de ne pas avoir à supporter Myron et ses deux compères, il choisissait toujours celles qui ne pouvaient accueillir que deux personnes. Elles étaient peu nombreuses, mais jamais occupées en cette période. Les autres pensionnaires formaient des groupes qui ne se mélangeaient jamais. Filles entre filles, garçons entre garçons, crétins entre crétins. Deux surveillants zigzaguaient entre les tables, ne guettant que d’un œil peu intéressé les agissements des enfants. Le repas était silencieux. Seuls les cuisiniers cachés dans leurs fourneaux produisaient un son ambiant en s’activant à la vaisselle. Le dîner n’était guère copieux. Ici, la cuisine était peu inspirée et rarement bonne. Par-dessus le marché, les cuisiniers étaient aussi gracieux que des portes de placard ! Aiden tourna et retourna inlassablement la sauce de son rôti bien trop cuit tout en réfléchissant à son plan d’évasion. L’établissement possédait plusieurs sorties de secours, mais toutes déclenchaient une sonnerie si elles étaient poussées. Sauf une. Celle des cuisines. Elle avait été désactivée pour permettre aux cuistots et aux agents d’entretien de rejoindre le parking du personnel sans avoir à faire le tour du collège. En plus de cela, la porte du réfectoire n’était jamais verrouillée en raison de l’absence d’une serrure. Il avait entendu tout cela de la bouche des agents techniques du bâtiment. Cependant, le garçon allait devoir quitter l’internat sans se faire remarquer, ce qui était un véritable challenge, étant donné que les surveillants se relayaient pour surveiller les couloirs de tout l’établissement ! La tâche allait être périlleuse, et Aiden risquait très gros, mais il était prêt à tout pour rejoindre la gare. Il finit par manger son rôti, sachant qu’il allait avoir besoin de forces pour marcher dans la nuit glaciale.

Après avoir pris sa douche le dernier, comme à son habitude, afin de ne pas se faire piéger par les autres, Aiden regagna sa chambre qui était sombre et silencieuse. Myron et les autres semblaient dormir, ce qui était inhabituel, étant donné que l’extinction des feux n’avait pas été donnée. Dubitatif, le garçon sonda le sol à la recherche d’une traînée de gel douche, d’une punaise, ou d’un fil bien tendu. Il n’y avait rien d’anormal. Pourtant, quelque chose le chiffonnait. La chambre semblait avoir changé. Ou du moins, son lit. En plissant les yeux, il comprit. Son matelas était à nu.

« C’est pas vrai… »

Il n’eut pas le temps d’aller au bout de sa pensée que l’obscurité l’enroba. Des rires fusèrent, puis son corps fut projeté d’avant en arrière.

― Quel bel arbre de Noël ! Si tu remplaces celui du réfectoire, avec un peu de chance, le père Noël ramènera tes parents à la vie ! s’esclaffa Myron avant de lui faire un croche-pied qui le fit plonger en avant.

Fort heureusement, la couverture amortit sa chute. Le garçon ne répondit rien et garda son calme. Mais il était blessé. Un jour, lorsqu’il était en famille d’accueil, il avait écrit au père Noël qu’il souhaitait que ce dernier redonne vie à ses parents. C’était son plus grand souhait. Malheureusement, il n’avait eu droit qu’à deux papillotes et une clémentine.

― Allez, bonne nuit, l’enguirlandé !

Aiden demeura inerte pendant de longues minutes avant de se relever et de rejoindre son lit. Au-dessus de lui, l’un des balourds de Myron ronflait déjà très fort. Chaque fois qu’il remuait dans son lit, le garçon craignait qu’il ne lui tombe dessus. Il resta assis, attendant que tous s’endorment, et que le couloir finisse par s’éteindre. Il consulta sa montre et réalisa qu’il n’avait pas beaucoup de temps pour rejoindre la gare de Dewhurt. Elle n’était pas très loin, mais son évasion allait prendre du temps. S’il ratait son train, tout était fini pour lui !

Lorsque la lumière disparut, son cœur se mit à marteler plus rapidement. 21 h. Le temps pressait, et ses inquiétudes s’amplifiaient. Et si ses camarades ne dormaient pas ? Et s’il se faisait repérer par l’un des surveillants ? Il devait arrêter de se questionner et se focaliser sur son objectif. Silencieusement, il tira le sac de sous son lit, récupéra précautionneusement son manteau suspendu dans le placard, puis s’avança doucement vers la porte. Soudain, une puissante lumière se braqua sur lui. Horreur ! L’un des camarades de Myron était réveillé. Ce dernier le contemplait suspicieusement.

― Où est-ce que tu vas, l’affreux ? Faire une randonnée nocturne ?

Le cœur du garçon battit à tout rompre. Sans plus réfléchir, il adressa un puissant coup de poing au visage de son camarade dont la tête se reposa sur le coussin, et dont la minuscule lampe de poche tomba sur le sol avant de rouler sous son lit. Aiden souffla un bon coup avant d’ouvrir minutieusement la porte. Il jeta un œil à droite puis à gauche et fut soulagé de voir qu’aucun surveillant ne se trouvait sur son chemin. Seulement quelques mètres le séparaient de la porte, mais c’était déjà un obstacle conséquent ! N’importe qui pouvait débouler à tout moment et compromettre son plan. Il avança à pas de souris, scrutant les chambres avec angoisse. La porte se rapprochait, mais semblait encore si loin. Il accéléra un peu la cadence, sentant qu’un mystérieux poids pesait sur ses épaules, comme pour l’avertir que quelqu’un approchait. Alors qu’il était tout proche, la chambre de l’un des surveillants s’ouvrit. Aiden s’engouffra dans une pièce au hasard et retint son souffle. Il se trouvait avec des filles ! S’il se faisait attraper ici, la sentence allait être salée. Il entendit les pas de l’adulte, entrecoupés par les petits ronflements de ses camarades paisiblement endormies. Habituellement, les surveillants se contentaient d’errer dans les couloirs, mais Aiden priait pour que la porte reste fermée, ainsi que celle de sa chambre. Le surveillant passa devant la porte en balayant le couloir avec une lampe de poche. Le souffle coupé, le jeune garçon sentait la sueur couler le long de ses tempes. Il attendit que l’individu s’éloigne avant de jeter un regard dans le couloir. Il poursuivait tranquillement sa ronde sans s’arrêter. En raison des risques d’incendie dus aux défauts de conception du bâtiment et de son manque d’entretien, la porte de l’internat restait toujours ouverte afin de faciliter une potentielle évacuation. Lorsque Aiden la poussa, il prit soin de la retenir derrière lui pour ne pas qu’elle claque. Il se hâta de gagner le réfectoire. L’atmosphère générale du collège n’était pas très rassurante de jour ; de nuit, elle était terrifiante. L’établissement faisait très vieillot en raison de son manque de budget. Il était coincé dans une autre époque. En traversant le couloir principal, il vit un faisceau lumineux à proximité du hall d’entrée et courut sur la pointe des pieds. Lorsqu’il franchit la porte du réfectoire, Aiden fut assailli par les odeurs de nourriture. Il contourna le coin self pour s’engouffrer dans les cuisines. C’était la première fois qu’il y mettait les pieds, et il fut soulagé de ne pas y être allé avant. Tout était sale et très mal entretenu. Le plan de travail principal était souillé de taches en tout genre et jonché d’ustensiles sales ; les éviers étaient bondés de vaisselle laissée à l’abandon ; les hottes maculées de graisses ; et certains des quelques réfrigérateurs fuyaient. Jamais il n’avait vu une cuisine dans un tel état ! Il ne s’attarda guère sur le bazar et se dirigea vers la sortie de secours. Il la poussa avec force et sentit l’air glacial s’engouffrer dans la pièce. Un frisson le parcourut. Il réalisa qu’une fois en dehors des murs du collège, il n’allait plus pouvoir faire demi-tour. Il prit une grande inspiration, sentant l’air gelé infiltrer ses poumons, puis s’engagea à l’extérieur.

Tout en jetant de brefs coups d’œil derrière lui, il marcha jusqu’à se retrouver face au portail du collège. Aiden était très gauche et avait très facilement le vertige. Il avait si peur du vide qu’il ne pouvait se mettre debout sur une chaise ! Mais il savait que cette fois-ci, il devait mettre sa peur de côté. Il lança son sac en l’air pour l’envoyer par-dessus l’obstacle, mais ce dernier n’eut pas assez d’élan et lui retomba sur la tête. Il grogna, se frotta le sommet du crâne et retenta sa chance. Ce coup-ci, le sac se retrouva de l’autre côté. Aiden sauta et parvint à s’agripper à l’une des traverses du portail métallique. Le froid lui brûla les mains, mais il refusa de lâcher prise. Le portail s’élevait sur plus de deux mètres, dissuadant facilement les fugueurs. Le garçon tira sur ses bras flageolants et poussa sur les barreaux avec ses jambes. Il se hissa péniblement, manqua plusieurs fois de chuter, mais savoura le répit que lui offrit le sommet du portail. Il se laissa choir sur le sol, de l’autre côté, et fut stupéfait de ne s’être rien abîmé en retombant. Comme les élèves qui avaient la chance de rentrer chez eux, il emprunta l’allée et rejoignit l’emplacement des bus. Il savoura cet instant. Il était libre. La rue était déserte, et seul le léger grésillement des lampadaires comblait le silence. Les habitations alentour dormaient. Aiden se mit en route pour la gare. Il ne pouvait donner sa localisation exacte, mais il savait qu’elle se trouvait non loin d’un fleuriste et d’une vieille bâtisse qui appartenait à un dentiste réputé. Ses quelques sorties scolaires lui avaient permis de mémoriser la route qu’il fallait emprunter. Il s’engagea dans une petite rue où les maisons se ressemblaient pratiquement toutes. Il suivit l’itinéraire qu’il connaissait le mieux, tournant à droite, puis à gauche, longeant des conteneurs à déchets, bifurquant avant une petite impasse fleurissante. Parfois, il jetait un œil aux différents panneaux pour s’assurer qu’il allait dans la bonne direction. Il se demandait si ses camarades ainsi que le personnel de l’établissement allaient s’inquiéter. Personne ne s’était jamais inquiété pour lui, et Aiden se demandait s’il avait un minimum d’importance pour quelqu’un. Il ne connaissait ni l’amitié ni l’amour. Il enviait parfois les personnes qui étaient habitées par ces sentiments positifs, mais se rappelait toujours qu’ils pouvaient être aussi bénéfiques que destructeurs. Aiden était une statue d’argile extrêmement fragile et facile à déséquilibrer. La moindre bourrasque pouvait le faire s’effondrer, ce qui éveillait en lui une profonde colère. Pourquoi n’était-il pas assez fort ? Pourquoi chaque défaite était un véritable coup de massue ? Il n’en savait rien, et bien qu’il était habitué à l’échec, ce dernier lui poignardait toujours le cœur.

Tout en marchant, le garçon fit le tri dans ses pensées, et sans voir le temps passer, il se retrouva devant la gare avec un peu moins de dix minutes d’avance. Il fut soulagé et gagna le quai principal en contournant le bâtiment. Au-dessus de lui, un lampadaire d’une autre époque transperçait la nuit d’une lumière jaunâtre. Le quai n’était éclairé que par une simple sphère lumineuse accrochée au mur terne du bâtiment. Bien qu’il avait enfilé des vêtements chauds avant de partir, le froid lui chatouillait le torse. Malgré son agressivité, Aiden l’appréciait. Cela lui confirmait que tout ce qu’il était en train de vivre était réel, et surtout, qu’il était vivant !

Il attendit patiemment le train tout en faisant gesticuler ses mains glacées et rouges comme de la terre cuite. Il ne pouvait s’empêcher de regarder sa montre toutes les dix secondes. Il réalisa à quel point il était long d’attendre lorsque l’on trépignait d’impatience.

21 h 58. Son cœur battit plus rapidement. Ne pouvant plus tenir en place, il se mit à faire les cent pas sur ce quai miteux et anxiogène.

22 h. Aiden inspecta sa droite et sa gauche à la recherche d’une source lumineuse en mouvement. Il contempla dubitativement le quai d’en face, dont le simple petit bâtiment ressemblait à un Abribus. S’était-il bien positionné ? Le doute était insupportable ! Aiden était une personne qui se faisait toujours un sang d’encre pour très peu. Alors, lorsqu’il se retrouvait dans une situation qui lui était parfaitement inconnue, et surtout inattendue, il était au bord de l’implosion. Il consulta plusieurs fois sa montre avec inquiétude.

22 h 02. Le train était en retard. Ou alors, il n’allait pas passer… Divisé dans ses émotions, Aiden hésitait entre garder son calme, cogner le mur du bâtiment, ou s’effondrer en larmes. À présent persuadé qu’il avait fait la plus grande erreur de sa vie, il s’imagina revenir à l’internat, déçu, et reprendre sa petite vie sans intérêt. Du moins, s’il ne se faisait pas attraper par un surveillant… Furieux envers lui-même, il lança brutalement son sac sur le seul et unique banc du quai. Il entendit la fermeture se briser et vit la photo de ses parents tomber sur le sol bétonné. Il la saisit de ses doigts gelés.

« Êtes-vous vraiment mes parents ? » pensa-t-il en essuyant une larme sur sa joue.

Non. Quelqu’un s’était moqué de lui. C’était sûrement un coup de Myron et sa bande ! Ils avaient réussi leur plus gros coup. Bouillant de colère, Aiden déchira la photo en deux et réduisit en miettes la lettre. Submergé par la noirceur, il se dit que sa vie n’avait vraiment aucun sens. Alors qu’il s’apprêtait à jeter la photo à la poubelle, il entendit une cloche tinter, ainsi qu’un puissant crissement. Il tourna la tête vers la droite et aperçut un orbe similaire à une boule de feu se diriger vers le quai. Petit à petit, il vit un train se dessiner. Un train comme il n’en avait jamais vu auparavant. Une immense cheminée trônait à l’avant, mais aucune volute de fumée ne s’en échappait. Derrière suivait une dizaine d’imposants wagons. Ce qui frappa le plus Aiden fut la couleur de la locomotive. Elle était entièrement blanche ! Il la vit s’arrêter près du quai et positionner avec une grande précision l’un des wagons à son niveau. À travers les vitres, il pouvait discerner des luminaires à la faible intensité. Était-ce le bon train ? Aiden dut forcer sur ses bras pour ouvrir la porte du wagon. Il découvrit un intérieur noble d’une autre époque. Les cabines étaient décorées de magnifiques boiseries impeccablement conservées et fraîchement cirées. Le sol était recouvert d’une moquette rouge bordeaux parsemée de motifs semblables à des losanges qui rétrécissaient en leur centre jusqu’à devenir minuscule. Des rangées de fauteuils en cuir s’étendaient le long des vitres, face à des tables en acajou de Cuba au-dessus desquelles, accrochés à la boiserie, reposaient des chandeliers. Aiden eut un moment d’hésitation avant d’embarquer, puis de péniblement refermer la porte derrière lui.

« Quelqu’un va forcément venir à ma rencontre avant le départ. Je demanderai à cette personne si je suis dans le bon train. »

Il en était pratiquement sûr, mais comme d’habitude, il s’en faisait beaucoup.

Il attendit quelques instants, et, voyant qu’aucun contrôleur ne venait s’assurer de sa présence, il prit la direction des wagons suivants afin de trouver un passager.

Les wagons avaient tous la même configuration, ce qui donnait à Aiden l’étrange sensation d’y être déjà passé.

Au bout de trois wagons, il ne vit toujours personne.

« Suis-je seul dans ce train ? Non ! Il doit bien y avoir quelqu’un… »

Soudain, il sentit le véhicule entrer en mouvement.

― Hé ! Y a quelqu’un ? appela-t-il avec angoisse.

Il regarda à travers l’une des vitres et fut horrifié. Il avait oublié son sac sur le banc ! Le train se mit à avancer tout doucement.

― S’il vous plaît !

Le quai s’éloignait tout doucement. Aiden se précipita vers l’une des portes latérales du train et tenta de l’ouvrir. Il n’y parvenait pas ! La locomotive prit de la vitesse et la gare s’éloigna. Le garçon traversa les wagons dans l’autre sens. Le train accéléra. Aiden dut se cramponner au siège pour garder l’équilibre.

« Bon sang ! Pourquoi va-t-il si vite ? »

Dehors, le paysage défilait si rapidement que les maisons ne ressemblaient plus qu’à de gros rectangles étirés par la vitesse. Le sang fouettait les tempes du jeune garçon qui croyait halluciner. Alors que la sueur ruisselait abondamment sur son visage, la porte du wagon s’ouvrit sur un petit homme au long nez et aux imposantes rouflaquettes. Vêtu d’un élégant gilet rouge, d’un pantalon noir minutieusement repassé et de mocassins si brillants qu’on pouvait s’y voir dedans, il ressemblait à un châtelain à la vie aisée. Il sonda le wagon et dévisagea Aiden avec un sourire. Il avança habilement, ce qui surprit le garçon. Il se posta face à lui, et il remarqua que l’homme tenait dans sa main gauche une petite bouteille en verre contenant un liquide bleuté. Le type lui tendit une main maigrichonne et velue. Aiden hésita, puis la saisit avec délicatesse.

― Bonsoir, M Galemore ! Bienvenue à bord de la Locomogivre ! Je suis Achille Riddle, votre capitaine, votre humble conducteur, votre vaillant chauffeur…

Il se stoppa pour chercher ses mots.

― Passons ! J’espère que vous passez un agréable voyage.

L’homme débordait d’un enthousiasme très sincère, ce qui rassura un peu Aiden. Il faisait également de grands gestes en communiquant, ce qui était très drôle à regarder.

― La Locomo quoi ?

― Givre ; la Locomogivre. Le moyen de transport le plus sûr, le plus écologique, le plus rapide, le plus merveilleux…

Voyant que Aiden le regardait avec insistance, il s’arrêta avant d’éclater d’un rire spontané.

― Excusez-moi, j’en fais toujours des tonnes lorsque je parle de cette fabuleuse machine ! Mais elle si extraordinaire ! Il s’agit du seul véhicule capable de transiter entre votre monde et celui des Hautes-Neiges.

Les yeux d’Aiden s’écarquillèrent.

― Notre monde et…

Il ne comprenait strictement à tout ce charabia !

― M. Riddle ?

― Achille, le corrigea l’homme avec un sourire bienveillant.

― Achille… répéta Aiden. Où allons-nous ?

― Vous êtes tombé sur la tête, mon garçon ? Je vous conduis à Goldsnow, bien sûr ! Vous y êtes attendu de pied ferme. D’ailleurs, c’est un honneur d’accueillir un nouveau Galemore ! Je me souviens de la première fois où je suis allé chercher vos parents. Ils étaient si jeunes et fougueux !

Les yeux de l’homme brillèrent durant quelques secondes avant de s’assombrir. En repensant à ses parents, Aiden eut des picotements dans le cœur. Et dire qu’il avait douté de tout à cause d’un simple retard !

― Dites-moi, Achille, si vous êtes le conducteur de ce train, qui est actuellement aux commandes ? s’inquiéta Aiden.

― Personne ! Cette locomotive est capable de se conduire elle-même. Elle est magique, comme tout ce qui se trouve dans le monde des Hautes-Neiges. Je considère qu’elle est vivante. Elle est comme ma fille ! J’en suis extrêmement fier.

― Les Hautes-Neiges, c’est… un autre monde ? Je ne comprends rien…

Achille rajusta son monocle en dévoilant ses dents.

― C’est normal. Tous les enfants se posent énormément de questions en embarquant dans ce train pour la première fois. Mais ne vous en faites pas, mon garçon ! M. Winth vous expliquera tout une fois que vous serez à Goldsnow. C’est un homme très gentil.

― Qui est cet homme ? Quel lien a-t-il avec ma famille ?

― Il est difficile de répondre à ta première question, car personne n’arrive à expliquer qui il est, répondit Achille sur un ton mystérieux. Il a beaucoup collaboré avec ton arrière grand-père, mais ça, je vais le laisser te le raconter.

― Et donc, cette locomotive est magique ?

Bien qu’il était inquiet, Aiden était extrêmement curieux. Tout cela le fascinait tellement !

― Tout à fait ! Aucun véhicule ne lui arrive à la cheville. Cette bête fonctionne à l’Extra-Nectar. C’est un mélange de cranberrys, de pommes et de mandarines. En plus d’être écologique, c’est un carburant peu coûteux et savoureux ! Grâce à lui, elle peut atteindre une vitesse de pointe à faire exploser n’importe quel compteur.

Aiden n’en croyait pas ses oreilles. Il se pinça pour s’assurer qu’il ne s’était pas assoupi sur le quai. Subjugué par les dires d’Achille, il ne savait quoi dire.

Le conducteur de la Locomogivre glissa sa main dans la poche de son gilet avant d’en extraire une montre à gousset. Il fronça les sourcils.

― J’aimerais discuter plus amplement avec vous, M Galemore, mais je dois donner plus de panache à la bête pour rattraper notre retard.

Il déposa la bouteille contenant le liquide bleu face à Aiden.

― Qu’est-ce que c’est ? le questionna le garçon en sondant le liquide qui tremblotait.

― Un Assommeur. Un mélange de différentes plantes tranquillisantes. Son nom est un peu effrayant, mais il est parfaitement inoffensif. Vous devez en boire au moins une gorgée avant que nous ne passions dans le monde des Hautes-Neiges. Cela va vous endormir tout doucement et vous éviter bien des désagréments.

― Quel genre de désagréments ?

― Eh bien, disons que ce n’est pas anodin de changer de monde à bord d’une locomotive endiablée. Allez, avalez une gorgée.

Aiden ouvrit la bouteille et contempla le liquide avec hésitation. Achille lui lança un regard insistant et le garçon but une lampée qu’il avala avec difficultés, ne parvenant pas à déterminer si ce qu’il ingurgitait était bon ou répugnant. Il reposa la bouteille sur la table et fixa le conducteur.

― Je ne risque pas de rater l’arrêt ?

― Non, vous serez réveillé bien avant l’arrivée en gare.

Il consulta une nouvelle fois sa montre et haussa les sourcils en grimaçant.

― Ce fut un plaisir, M Galemore. Je vous souhaite un agréable voyage.

Il tourna les talons.

― Attendez ! Achille, j’ai tant de questions !

L’homme lui sourit une dernière fois.

― N’ayez crainte, vous aurez vos réponses.

Il disparut après avoir franchi la porte du wagon.

Aiden retomba sur son siège avec une légère déception. Nombreuses étaient ses questions à propos de ses parents, même autour des choses les plus sombres…

Le train prit encore plus de vitesse. Le paysage qui défilait sous les yeux du garçon était indescriptible. Peu à peu, son esprit se mit à divaguer. De la brume s’installa dans le wagon, et ses yeux devinrent extrêmement lourds.

« Cela va vous endormir tout doucement et vous éviter bien des désagréments ».

De quoi pouvait-il bien parler ? Le garçon fut enrobé dans une chaleur apaisante. C’était comme si une couverture venait de se poser sur ses épaules. Peut-être était-ce le cas ? Après tout, cette locomotive était magique. Comme le monde des Hautes-Neiges…

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