Chapitre 3

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Bertrand précédait Emma dans les escaliers. Il avait insisté pour monter ses sacs après les avoir trimballés de la gare au café dans lequel  ils avaient grignoté tous les trois avant de rentrer.

Sa chambre était encore telle qu’elle l’avait laissée, si ce n’est qu’aucun paquet de M&M’s ne trainait plus par terre et que le lit était refait et garni de multiples oreillers.

— Reprends tranquillement possession des lieux, on t’attend en bas, lança Bertrand depuis la porte de la chambre. Ah ! et je devais pas te le dire mais je pense que tu préféreras savoir qu’une petite soirée surprise se prépare.

— Pitié non ! Qui sera là ?

— Juste nous, Sarah et Gabriel.

— Bon ok ! Merci de m’avoir prévenue.

— Pas de quoi, tu feras comme si...hein ?

Bertrand lui adressa un clin d’œil et referma la porte. Une fois seule, Emma s’avança vers la fenêtre et l’enjamba pour s’asseoir sur la pente de tuiles surplombant le jardin, son paquet de Marlboro en mains. Elle avait pris l’habitude de se réfugier sur le toit pour fumer en toute discrétion et savourer cette solitude qui, à ce moment là, l’enveloppait d’un voile protecteur. À l’abri des regards et des jugements, Emma pouvait être elle-même. Seul le ciel au-dessus d’elle l’observait.

De toutes les mauvaises habitudes prises à l’adolescence, fumer était la seule qu’elle avait gardée, la seule qu’elle n’avait pas eu la force d’abandonner. Tirer sur la cigarette, sentir la bouffée envahir sa bouche et descendre vers ses poumons anesthésiait le chagrin qui avait l’habitude de se coincer dans sa gorge. À chaque expiration, Emma avait la sensation de recracher un peu de sa rancœur. « Guérir le mal par le mal » ne disait-on pas ?

De retour à l’intérieur, Emma avisa les posters du groupe Muse qui tapissaient ses murs. Elle s’approcha de la chaine-Hifi et inséra l’album The Resistance avant de se jeter sur le lit, les yeux rivés au plafond. La mélodie de Uprising envahit aussitôt la pièce replongeant Emma dans son adolescence. Elle avait passé des heures enfermée ici laissant la musique couvrir les cris qu’elle retenait.

Du plus loin qu’elle se souvienne, Emma avait toujours ressenti de la colère. Colère qu’elle avait dirigé contre Mauricette à défaut de pouvoir le faire contre son père. Elle lui en avait voulu avec tant de force. Si son père était parti, c’est que sa mère n’avait pas su s’y prendre, qu’elle n’avait pas su le retenir. À douze ans, on ne comprend pas tout…

Son entrée au collège et la période charnière de l’adolescence n’avait rien arrangé et Emma s’était mise à faire n’importe quoi. Elle négligeait ses devoirs, répondait aux profs, séchait les cours pour rejoindre les garçons au skate-Park. Mais son père n’était pas rentré pour autant. Et plus l’absence de celui-ci se prolongeait, plus l’envie d’Emma d’attirer son attention s’intensifiait. À l’âge où les hormones entrent en jeu, Emma s’était rendue compte que les garçons avec qui elle trainait ne la voyaient que comme une pote. Elle avait alors changé son fusil d’épaule, s’était maquillée et habillée de manière plus exhaustive. Mais rien n’y fit et irrités par son comportement, les garçons se détournèrent d’elle. Seul Mathias était resté.

Emma se releva brusquement et s’approcha du bureau au-dessus duquel un pèle-mêle de photos était accroché. La quasi totalité des clichés les représentait tous les deux dans toutes sortes de contextes : à la patinoire, lors d’un concert, au beau milieu d’un défilé de carnaval, à la plage, chez le tatoueur, une clope au bec, une glace à la main, un chapeau sur la tête...

Son cœur cogna d’un seul coup, comme prêt à soulever de force l’écorce qui recouvrait ces vieux souvenirs enfouis. Emma ferma les yeux, lasse. Sa vie n’était faite que de promesses non tenues, de regrets et de vide.

Sa mère frappa à sa porte.

— Tout va bien chérie ?

— Oui, ça va.

— Je fais un saut à la boucherie, tu veux venir ?

— J’en rêvais depuis tout à l’heure…

— Ahah !

Emma s’approcha de sa mère et l’embrassa.

— Si le boucher te propose, tu me ramènes un bout de saucisson ? demanda t-elle avant d’éclater de rire.

— Moque-toi, petite tu adorais ça !

Petite, elle adorait tant de choses... Elle adorait arpenter les rues de son village en tenant la main de sa mère, dormir sous une tente avec sa sœur, se blottir dans les bras de son père et rire avec Mathias.

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