Chapitre 5

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Il fallut quelques secondes à Emma pour se rappeler l’endroit où elle se trouvait. La sensation de se sentir de nouveau l’enfant qui dormait chez ses parents l’enveloppa d’un semblant d’insouciance et, un léger sourire au coin des lèvres, elle se nicha un peu plus profondément sous sa couette. Ça la réconfortait déjà de se dire qu’en descendant, le silence quotidien de ses matinées seule à Paris serait recouvert par le bruit de la radio de sa mère et le froissement des pages du journal de Bertrand. Son esprit s’évertuait même à lui faire sentir l’odeur du café mêlé aux tartines beurrées qui flottait dans l’air de la cuisine. Emma ne résista pas bien longtemps et se dégagea de l’étreinte de son lit, bien décidée à savoureux un copieux petit-déjeuner.

Elle avisa son téléphone, posé sur la table de chevet. Un message de Sarah l’attendait. Elle déverrouilla l’objet d’un geste agacé.

« Excuse-moi Em, je n’ai pas été très délicate... »

C’est le moins qu’on puisse dire, pensa Emma.

« ...on pourrait s’organiser une journée ensemble. Histoire de parler, de se retrouver. J’attends ton message. »

Emma en resta interdite. Une journée ensemble ? Elle était folle ? Elle ne se supportaient pas plus d’un quart d’heure. Et encore…

Sans prendre la peine de répondre, Emma dévala les escaliers, préférant de loin l’appât du pain au chocolat que l’idée de passer du temps avec son aînée. Pourtant, des souvenirs joyeux s’invitèrent dans son esprit lui rappelant qu’il n’en avait pas toujours été ainsi. C’est avec la mine renfrognée qu’elle passa le seuil de la cuisine.

— Emma ! T’aurais pu passer un pantalon !

— Bien le bonjour à vous aussi, répondit-elle en embrassant sa mère.

Bertrand s’esclaffa.

— Bonjour ma chérie, mais quand même tu sais que…

— ...ça ne se fait pas de déambuler en culotte, je sais. Mais ma robe de chambre est restée coincée au début des années 2 000…

Bertrand pouffa, recrachant par la même occasion quelques gouttes de café qu’il tentait d’avaler.

— Et toi, tu ris…, s’offusqua Mauricette outrée.

— Ça va M’man, je remonte.

Emma s’empara d’un croissant qu’elle arracha de se mains tout en rebroussant chemin.

— Em, les miettes…

Quelques années auparavant, Emma aurait levé les yeux au ciel et fait volte face pour claquer son croissant sur la table, lasse des remontrances de sa mère. Aujourd’hui, elle en savourait toute la bienveillance. Réendosser le rôle de l’enfant turbulent avait quelque chose de grisant. Cela lui permettait d’oublier un peu les écueils de sa vie d’adulte.


**


Habillée d’un jean et d’un top en crochet, Emma se trouvait de nouveau aux côtés de sa mère. Bertrand s’était éclipsé, profitant de la fraicheur matinale pour aller marcher. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, il ne laissait jamais la météo prendre le dessus sur son besoin de marcher dans la campagne vallonnée. Cependant, la chaleur l’oppressait et, en ce début de juillet, les températures grimpaient assez vite, fait d’ailleurs plus courant que durant son enfance. Emma se souvenait des journées d’été pluvieuses qu’elle passait, le nez collé aux vitres embuées, pestant contre le monde entier, et contre cette Nature qui se déchainait ainsi, riant aux larmes de l’avoir fait naitre ici.

— Ça s’est bien passé hier…

Emma leva son nez de son bol de céréales pour dévisager sa mère.

— ...avec ta sœur.

— Ah ! Ouais…

— Non ?

— Si, si.

Mauricette se leva en soupirant.

— Je comprends pas pourquoi elle est comme ça…

— Comme quoi ?

— On dirait qu’elle est toujours en colère. Je sais pas, j’ai peut-être été trop dure avec elle.

— Trop dure ? Tu rigoles, t’as toujours été super cool. Regarde les conneries que j’ai faites, t’es toujours passé dessus.

— Parait qu’on est plus exigeant avec le premier…

— Écoute M’man, t’es pas responsable de nos caractères ni de nos humeurs.

— Tu n’as pas toujours dit ça, fit remarquer Mauricette en souriant.

Emma grimaça.

— Mouais...je sais. C’était plus facile de t’en vouloir à toi. Parce que toi t’étais là…

Toutes deux laissèrent le silence ponctuer cette remarque, bien consciente du poids qui comprimerait à jamais leur cœur en repensant à cette période de leur vie.

— On s’en est pas trop mal sorties, n’est-ce pas ? demanda Mauricette.

— Carrément !

Emma savoura le sourire de sa mère et la suivit des yeux tandis qu’elle quittait la cuisine, son torchon sur l’épaule. Replongeant dans son bol de céréales, elle pensa à sa sœur, à cet air pincé qu’elle arborait depuis des années. Chacune d’entre elles avait gérer le départ de leur père à leur manière. Si Emma avait sombré dans un côté plus obscur, Sarah avait quant à elle contrebalancé sa cadette en faisant de son mieux pour être la fille modèle. Elle disait Amen à tout, ne sortait jamais, s’enterrant sous une montagne de livres et de cahiers. Elles s’étaient éloignées comme deux parties d’un cœur qui se détachent douloureusement du fait d’avoir été brisé. D’âmes complices, elles étaient devenues presque deux inconnues, sa sœur ne comprenant pas son besoin extraverti de se sentir exister. Elle l’avait sermonné en découvrant son premier tatouage, s’était offusquée de son anneau dans le nez, puis s’était ensuite contenté de lever les yeux au ciel en découvrant ses nouvelles frasques. Lorsqu’Emma l’avait appelée à la rescousse cinq ans plus tôt, Sarah n’avait pas hésité une seule minute. Elle avait pris le premier train pour Paris et l’avait accompagnée. Malgré ses yeux voilés et le silence qui l’enveloppait, sa main n’avait pas quitté la sienne. Après quoi Sarah s’en était allée, laissant à Emma le regret de cette phrase amère : « Maintenant Em, ne me demande plus rien. »

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