Chapitre 8

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Emma se réveilla en sursaut, trempée de sueur. L’ombre noire de son cauchemar s’éloignait à mesure que ses yeux s’acclimataient à l’obscurité. Elle tenta de recoller les éclats de ce rêve odieux pour en comprendre la signification, mais tout s’entremêlait dans un fracas de sanglots, de sang et d’effroi. La vision de sa sœur en pleurs devant le corps d’un fœtus recroquevillé aux creux de ses mains ensanglantées l’a glaça. Jamais elle n’avait rêvé de cet enfant qu’elle avait appris porter en elle. Jamais elle n’avait regardé en arrière ni ne s’était sentie coupable. Elle assumait parfaitement son choix raisonné de ne pas rendre malheureux, un être innocent. Personne ne comprenait cette absence de désir d’enfant et Emma se heurtait bien souvent à des remarques moralisatrices qui la jugeaient égoïste et sans cœur. Cependant, pour elle, il lui en avait fallu du cœur pour ignorer les battements qui cognaient au même rythme d’angoisse que le sien, pour murmurer ses secrets les plus intimes à ce petit être qu’elle ne verrait jamais, mais à qui elle souhaitait offrir une éternité paisible à défaut de le laisser grandir dans le chaos. Non, personne ne comprendrait jamais l’amour qu’il lui avait fallu éprouver pour accomplir cet acte controversé.

Emma ferma les yeux. L’image ne la quittait pas. Ce qui la bouleversait tant dans ce songe abominable, c’était la profondeur du regard que lui avait lancé ce fœtus avant qu’elle ne se réveille subitement. Emma s’efforçait de se le rappeler. Il n’était ni noir, ni rageux. Il ressemblait davantage à l’océan. Mouvant, vibrant.

Décontenancée, elle attrapa son téléphone pour regarder l’heure qu’il était. Une photo d’elle et Loïc tapissait encore son fond d’écran. Elle aurait dû la changer depuis longtemps mais elle n’en avait pas le courage. En dépit de la colère qu’elle ressentait, Loïc garderait la première place à tout jamais. C’était peut-être le plus douloureux à supporter : haïr de toutes ses forces quelqu’un qu’on aimait davantage encore. Elle descendit les trois premières marches puis se ravisa, les paroles de sa mère tourbillonnant autour de son esprit comme des rapaces.

— Mais qu’est-ce qui t’arrives ? interrogea Mauricette en suivant sa fille des yeux lorsque celle-ci pénétra dans la cuisine.

Bertrand gloussa.

Coiffée d’une chapka et vêtue de sa combinaison de ski, la jeune femme s’avança vers la cafetière.

— Toujours pas retrouvé mon pyjama…

Le cœur d’Emma se réchauffa en voyant sa mère lever les yeux au ciel et son beau-père recracher son café. Rien de mieux qu’un éclat de rire pour se sentir renaitre.

— Comment tu vas ma puce ? demanda Mauricette, une fois seule avec sa fille.

— Ça va. Bien !

Mauricette la dévisagea un instant, consciente qu’Emma atténuait la puissance destructrice de son chagrin.

— Je ne peux pas me mettre à ta place et je sais que les mots ne valent rien dans ces cas là, mais je suis là.

— Je sais M’man. Et ça fait du bien, crois-moi.

Leur conversation fut interrompue par la sonnette. Mauricette sa hâta d’aller répondre et revint bientôt, le teint blême.

— C’est pour toi…

— Moi ?

— C’est Ambre…

— Ambre ?? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Et d’abord, comment elle sait que j’suis là ?

— J’en sais rien Emma. Qu’est-ce que tu fais ? T’y vas ?

Les questions dévorèrent soudain son esprit. Le cœur battant et les sourcils arqués, Emma s’avança vers la porte d’entrée, contre son gré.

— Salut Emma !

L’intéressée se contenta d’un signe du menton.

— Une chance que tu sois là ! Je… Est-ce que tu aurais cinq minutes ? J’aurais besoin de te parler.

Emma sonda les traits de son interlocutrice. Elle paraissait plus âgée que dans son souvenir. Bien sûr, cinq ans s’étaient écoulés mais les rides d'inquiétude qui lui creusaient le front et son regard voilé prédominaient sur le poids des années. Pour appuyer ses réflexionx, les doigts d’Ambre se tordaient sous la pression d’une angoisse qu’elle tentait tant bien que mal de maitriser.

— Je… On peut se retrouver dans une demie-heure, le temps de…

Emma se sentait ridicule, la chapka toujours vissée sur sa tête.

— Parfait ! Je t’attends au Sinjan ?


**


Ambre attendait en terrasse, un café posé sur la table en métal. Elle jouait nerveusement avec le papier de sa sucrette alors que son spéculoos attendait toujours d’être mangé. Emma l’observait. Elle avait coupé ses cheveux, arborant aujourd’hui un carré qui lui descendait juste au-dessus des épaules. Lorsqu’elle s’approcha, Ambre sursauta.

— Tu voulais me parler ?

— Oui, assieds-toi.

Ne se départant pas de son masque glacial, Emma prit place en face de son ancienne amie.

— Je ne vais pas y aller par quatre chemins… Est-ce que tu as des nouvelles de Mathias ?

— Mathias ? Évidemment que non !


Ambre sourit douloureusement.


— Pourquoi tu me demandes ça ?

— Il est parti il y a quelque jours en disant qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre. J’ai pensé que…

— ...qu’il était venu me trouver cinq ans après ?


Ambre plissa les yeux.


— Tu n’étais pas à Paris ?

— Je suis revenue.

— Drôle de coïncidence.

— Bon, si t’as encore des comptes à régler, moi j’ai d’autres chats à fouetter. J’ai pas vu Mathias et je ne compte pas le revoir. Allez, tchao !


Sur ces mots, Emma se leva.


— Attends ! Je suis inquiète…il ne répond plus aux SMS et son portable est coupé.

— Ben le message est clair, non ?

— Il ment. Il n’est pas parti avec quelqu’un d’autre…

— Tu viens de dire que…

— ...que je pensais qu’il était avec toi. Si ce n’est pas le cas alors il a menti.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Il n’y a que pour toi qu’il serait parti.

— N’importe quoi !


Les larmes aux yeux et la fierté mise de côté, Ambre demanda :


— Tu peux m’aider à le retrouver ?

— Pourquoi je ferai ça ?

— Parce que j’attends un bébé.

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