D’étude parisienne,

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Trouver un appartement sur Paris ne fut pas des plus aisés. Je ne peux pas me permettre de perdre deux heures dans les transports en commun avec la quantité de travail à venir. Dans le cinquième arrondissement, les loyers sont hors de portée. Il aura fallu trois jours, et la visite de quinze agences immobilières pour se fixer sur un appartement de 12m² à Ivry-sur-Seine, au cinquième étage, sans ascenseur. Mon studio est déjà aménagé, un petit réfrigérateur, deux plaques de gaz pour cuire mes repas, un canapé-lit de seconde main et un bureau de fortune constitué de deux tréteaux et d’une planche.

Pendant quelques jours, je fais visiter la capitale à mes parents. Je joue au guide touristique, prétendant m’être renseigné en lisant différents guides et brochures. Leurs vacances se terminent et ils me laissent à ma nouvelle destinée : celle d’un étudiant qui va souffrir pendant les deux prochaines années. Il me reste encore deux semaines avant le début des cours, mais j’ai déjà reçu une liste de livres à lire, et trois devoirs à rendre. Je profite quand même de l’été pour prendre régulièrement des bains de soleil, lire dans le jardin du Luxembourg, passer devant mon ancien boulot, prendre une photo de la flèche de Notre-Dame et l’envoyer à Nathalie depuis un cyber-café... Les devoirs n’exigent que des compétences de terminale. Je ne leur consacre que quelques heures. La veille de la rentrée, je m’offre une journée au parc Astérix, un dernier plaisir d’enfant avant d’entrer à nouveau dans la cour des grands.

Dès les premiers jours, la plongée dans le grand bain est rude. Dans une classe de 25 élèves, pas un chuchotement, pas un bruit pour interrompre le professeur, si ce n’est le grattement des stylos sur le papier et quelques toussotements. Ma main fait la course sur la feuille pour tenter de noter ce qui est écrit au tableau avant que la brosse ne vienne tout effacer. Les heures de cours s’enchainent, les feuilles de classeurs se remplissent rapidement de termes inconnus. Rentré dans mon appartement, j’ai à peine le temps de réchauffer un plat tout prêt et de manger devant la télévision que je me replonge dans mes notes pour tenter de mémoriser un maximum. J’étais prévenu que le rythme était soutenu, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si dur, si rapidement. L’avance prise ces dernières années semble fondre comme la neige sous un soleil d’aout dans le sud de la France. J’ai de nouveau cette sensation d’imposture, de me retrouver au milieu d’élèves immensément plus intelligents que moi et de ne devoir ma place parmi eux que par ce phénomène inexpliqué.

L’arrivée des premières notes fut la seconde douche froide. Le référentiel en classe préparatoire n’est pas le même qu’au lycée, mais on a beau s’y attendre, la chute est rude. Mon forfait téléphonique est quasiment intégralement utilisé à appeler ma famille, ma plus solide bouée de sauvetage dans ce qui ressemble de plus en plus à un naufrage inéluctable. Je me rends compte aujourd’hui que mes parents sont le seul lien entre ma vie d’avant et celle d’aujourd’hui. Ils ont toujours été présents, dans mes deux vies, tel un phare me guidant à travers les tempêtes.

Je m’autorise quand même quelques sorties étudiantes le vendredi soir, j’apprécie de retrouver ces lieux de débauche où l’alcool coule à flot et où l’on oublie un temps les difficultés de la semaine. Le weekend permet de récupérer du sommeil, faire quelques courses, la lessive et de voir le ciel, trop souvent gris. Posé sur un banc en haut de Montmartre, j’observe Paris ; le long des quais de Seine, je feuillette de vieux livres d’occasion ; près du Louvre, j’écoute les sonorités chantantes de touristes venus des quatre coins du monde ; sur les Champs-Élysées, je me balade le cœur ouvert à l’inconnu. Le sud et son soleil me manquent.

Mon retour à la maison, à l’issue des premières vacances d’octobre, fut un moment de soulagement et de décompression. J’ai pu profiter des bons petits plats faits maison, de promenades à vélo et de retoucher à mon piano que je n’ai pu transporter avec moi dans le nord. Il est prévu que mes parents l’amènent à l’issu des vacances de noël. Le froid du mistral sur mes joues est une caresse de nostalgie. Pendant dix jours, j’oublie mes difficultés parisiennes pour me concentrer sur l’instant présent. J’ignore quand s’est faite la transition mais aujourd’hui je suis un véritable étudiant de 18 ans, inquiet pour son avenir, et non plus un homme avec presque cinquante ans d’existence. Le départ fut un moment douloureux, je n’ai pu m’empêcher de pleurer dans les bras de ma mère au moment de les quitter à la gare. Je regrette tellement d’avoir choisi cette voie, je ne sais pas comment je pourrai tenir deux années.

En novembre les résultats des élections américaines tombent : Al Gore bat Donald Trump. J’ignore comment nous nous y sommes pris, mais nous avons totalement détraqué le cours du temps. Je profite de ce signe divin pour sortir partager ma joie dans un bar fréquenté par une forte communauté américaine. L’alcool aidant, je m’intègre rapidement dans le groupe pour parler de partage de richesses, d’écologie, d’un futur inclusif… À minuit passé, je suis en grande conversation philosophique avec Jenny, une jeune femme américaine blonde de 21 ans. Ce genre de discussion que l’on ne peut avoir qu’avec au moins deux grammes d’alcool dans le sang. Après plusieurs baisers enflammés, et alors que les bars ferment leurs portes, elle m’invite chez elle à continuer notre débat.

Il est 10h quand je me réveille enfin. Mes souvenirs de la veille se remettent en place doucement. Je suis dans l’appartement de Jenny, un deux pièces bien éclairé. En face du lit, un grand miroir couvre une partie d’un mur bleu nuit, traversé par deux bandes de rose clair. Les autres murs sont d’un blanc immaculé, le sol est recouvert de grands carreaux beige clair. Le temps de trouver mes vêtements, je rentre dans une cuisine refaite à neuf : plaques vitrocéramiques, plan de cuisine avec meubles gris métallisés en dessous, table de salon qui n’a vraisemblablement pas été achetée chez Ikéa… Un mot sur la table dans un français approximatif m’indique qu’elle est déjà partie et que le café est prêt. Le temps de prendre une douche, boire un café et laisser un mot avec mon numéro de téléphone, je sors en claquant la porte, conformément à ses instructions. Je rentre dans mon minuscule appartement pour remplir mon estomac, avant de me diriger vers mon lycée en courant. J’ai déjà raté la matinée, inutile d’aggraver mon cas.

En sortant des cours, j’appelle Jenny. J’ai du mal à reconnaitre sa voix, à la comprendre également. Je ne sais pas si c’est le téléphone qui rend la communication plus complexe, ou tout simplement que mon niveau d’anglais est trop faible. En tout cas, elle semble ravie de mon appel. Nous nous donnons rendez-vous dans un restaurant le dimanche midi, mon emploi du temps ne me permet pas de trouver un créneau plus proche.

Le jour du rendez-vous, elle me reconnait de loin. C’est heureux car je n’ai finalement qu’une image très floue d’elle. Avait-elle déjà ce piercing en forme d’étoile au nez ? A-t-elle verni ces ongles en bleu, blanc et rouge spécialement pour aujourd’hui ? Tout chez elle évoque une certaine excentricité : un jean troué avec un chemisier très classe, un pull bariolé, deux jolies couettes… Elle sourit et semble ravie de me voir. Nous nous installons dans une brasserie qui propose des plats faits-maison. Après le repas, nous nous promenons dans les rues de la capitale. Elle est ici depuis trois mois, et connait déjà bien la ville. Elle tente de parler français mais nous basculons rapidement sur l’anglais. Nous rions ensemble de mes nombreuses fautes, nous passons un agréable moment mais la discussion me semble plus fade sans alcool.

En trois semaines, nous nous voyons en tout et pour tout cinq fois. J’ai fini par l’inviter dans mon réduit qui me sert d’appartement qu’elle a trouvé tiny and cute. Je suis toutefois plus à l’aise chez elle, l’argent versé par ses parents lui permet un standing plus élevé que le mien. Bien que nos rencontres soient plaisantes, mon emploi du temps surchargé met sa patience à rude épreuve.

Je reçois un simple S.M.S. m’annonçant notre rupture. Je ne suis ni surpris ni attristé. Quand je le reçois, je suis en pleine préparation de mon contrôle du mercredi après-midi. Je décide simplement de faire une pause, je prends un verre, je me sers un Porto et trinque à l’Amérique.

Cette parenthèse sociale dans une année de solitude m’a permis de me remotiver et m’accrocher à ce qu’il me reste : l’avenir. Je tente de relativiser, j’intègre un groupe de travail dans ma classe, je fais plus attention à mes camarades et je crée des liens d’amitié. Je passe notamment de plus en plus de temps avec Amandine, une fille d’une grande intelligence, les yeux d’un beau vert et des cheveux bruns bouclés qui retombent sur ses épaules, qu’elle replace régulièrement derrière ses oreilles laissant ainsi apparaitre deux jolies boucles d’oreilles argentées. Nous passons beaucoup de temps à travailler, parfois chez elle, parfois chez moi, souvent tard dans la soirée. Son petit-ami, resté étudier sur Lyon, ne semble pas s’offusquer que je voie plus souvent Amandine que lui. Je l’ai rencontré à quelques reprises, à l’occasion de ses venues sur Paris certains weekend. Nous avons bu des verres ensemble dans des bars étudiants ; c’est un jeune homme éminemment sympathique.

Peu à peu je m’habitue à mon rythme infernal, je m’aménage des heures de travail, quelques moments de détente et je profite du parc adjacent au lycée pour me remettre au sport, à raison de trente minutes par jour. J’essaie également de profiter quelque peu de la vie parisienne : cinémas, théâtres, musées. La capitale n’est pas seulement la ville du stress et du ciel gris, c’est aussi un haut lieu de culture. Il serait dommage de ne pas en profiter. Je suis jeune, je suis célibataire, j’en profite pour flirter avec quelques filles de ma classe, mais le temps manque pour construire une relation solide.

L’hiver venu, je retrouve avec ma famille les joies des descentes le long des flancs enneigés des Alpes. Une pause sportive bienvenue qui me permet d’oublier les malheurs du quotidien, rapidement remplacés par des pensées négatives de ma vie passée, de ma relation avec Nathalie… Je profite des vacances pour écrire une carte postale à mon ex-petite amie. Je ne l’ai pas beaucoup appelée ces six derniers mois. Nos échanges se limitent souvent à quelques S.M.S. Peut-être pourrions-nous organiser quelque chose ensemble cet été, avec des amis ? Une semaine en Ardèche, à descendre les gorges, visiter quelques grottes, faire la fête ? Je me promets de l’appeler à mon retour dans la capitale.

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