De solides amis,

7 minutes de lecture

Les jours passent et aucun évènement d’ampleur ne vient modifier la marche du monde. Ma première année en école se déroule sous de bons hospices. Le travail est beaucoup plus modéré qu’en classe préparatoire, je consolide mon groupe d’amis, et les soirées étudiantes s’enchainent. Mes résultats scolaires sont dans la moyenne de la promotion, ni exceptionnels, ni mauvais. Je commence à réfléchir à mon stage d’été. Je connais bien quelques personnes qui auraient pu me trouver un poste, le problème est qu’ils ne se souviennent plus de moi.

Avec Julien, Nadia et Antoine nous formons un petit groupe de copains, s’invitant régulièrement chez les uns et les autres. Nous décidons à l’approche de l’hiver d’organiser un petit weekend sur Lille tous les quatre. Nous louons à cet effet un appartement du vendredi soir au dimanche matin et partons en T.G.V. à la sortie des cours. Une fois installés, nous partons à la recherche d’un restaurant servant des moules, des frites et de la bière. Nous voulions d’abord partir en Belgique, mais nous nous sommes dit que ce serait plus pratique une fois l’euro adopté. Du coup nous nous rabattons sur une ville voisine, qui accepte nos vieux francs français.

« Bonjour monsieur, je voudrais une frite une fois.

– Non pitié Antoine, n’essaie pas d’imiter l’accent belge.

– Ben pourquoi ? C’est drôle !

– Alors non, de un ce n’est pas drôle, de deux c’est très mal fait, de trois nous ne sommes pas en Belgique. »

Je laisse Nadia reprendre Antoine pendant que je passe la commande pour le groupe auprès d’un serveur qui semble devenu hermétique à cet humour de beauf. Les bières arrivent en premier, j’ai commandé un assortiment : blonde, blanche, brune et rousse. Chacun choisi selon ses gouts, on partage avec ceux qui ne craignent pas les microbes de leurs voisins…

« Bon Seb, c’est toi le maitre du programme, on fait quoi ce weekend ?

– Alors d’abord on se détend, on profite de notre soirée et on trinque à la magnifique ville de Lille. Pour demain, vous verrez bien.

– Tu n’as rien prévu ?

– J’ai regardé ce qu’il y a à faire sur internet. Je n’ai pas non plus établi un programme complet. Déjà cela dépendra de l’heure à laquelle Antoine va se lever…

– Pourquoi moi ? C’est toujours Julien qui traine le matin.

– Parce-que si Julien ne se lève pas, il se prendra mon coussin dans la gueule. Tandis que toi, comment dire… Je préfère éviter de te chercher des noises.

– Sébastien ! Arrête de le faire passer pour un bourrin, le défend Nadia.

– Laisse-le se moquer, répond Antoine. Tant qu’il me laisse dormir, cela me va. »

Le lendemain matin, il est 11h30 quand nous quittons enfin l’appartement. Nous nous dirigeons vers la Grand-Place et parcourons les vieilles rues étroites de la ville. Un peu de marche nous fait le plus grand bien, malgré l’air frais et une légère bruine ; loin de l’appartement dont nous avons laissé les fenêtres ouvertes pour évacuer les odeurs de quatre jeunes adultes. Après un sandwich crudité pour Nadia, un panini tomate-mozzarelle pour moi et des kebabs pour les deux autres garçons, nous prenons la direction d’une visite plus culturelle. À l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de la Treille, nous nous sentons tout petits sous ses voutes immenses, ses vitraux gigantesques et ses colonnes qui semblent monter si haut. Julien insiste pour visiter le palais des beaux-arts, Antoine réplique que nous avons déjà le Louvre sur Paris et que donc cette visite est inutile. Comme Nadia va dans le sens de Julien, Antoine cède. Je suis le groupe. C’est la première fois que je viens dans cette ville, du coup tout est une découverte pour mes yeux de cinquantenaire.

Le soir, après un verre pris dans un bar, nous rentrons manger à l’appartement. Ce soir nous jouons à la belote, je joue avec Nadia qui tente de déconcentrer tout le monde en enchainant les questions et les coups bas.

« Alors Antoine, cela se passe comment avec Alice ?

– Alice ? Je ne suis plus avec elle depuis une semaine, non maintenant je sors avec Romane.

– Romane ? Celle de notre classe ? T’es sérieux ?

– Tu connais d’autres Romane ? Pourquoi qu’est-ce qu’il y a ?

– Non rien. Et toi Julien, tu t’es pris combien de vents récemment ?

– Ah ah, très spirituel. Je coupe. Ce n’était pas un vent, juste elle n’est pas prête pour une relation actuellement.

– L’atout c’est carreau, pas cœur. Tu parles de l’autre blonde là ? Celle que j’ai vue dans les bras d’un beau sportif il y a deux jours ?

– Oh ta gueule… En toute amitié hein. Et pourquoi tu n’interroges pas Sébastien ?

– Parce-que c’est mon coéquipier et que j’ai besoin qu’il se concentre. Et soyons honnête, il s’enfonce très bien tout seul.

– Mais… ? Ce n’est pas parce-que tu es la seule fille du groupe qu’on va te ménager, tenté-je de menacer. Et ton Fred ? Ça marche toujours entre vous ? Pourquoi n’est-il pas avec nous ce weekend ?

– Tout va très bien entre nous, merci de ta sollicitude cher coéquipier. Il n’est pas là tout simplement parce-qu’il ignore que je suis ici. J’ai prétexté un devoir collectif à rendre pour lundi.

– Super…

– Pour ne pas avoir de réponses à donner, le mieux est d’éviter les questions. »

Le dimanche matin, nous nous levons plus tôt, malgré les protestations d’Antoine et de Julien. Nous avons prévu de prendre un train direction Dunkerque afin de se promener sur la plage. Le temps est pluvieux, les températures ne dépassent guère les 8°C et un vent froid souffle sur la côte. C’est bien emmitouflés dans nos manteaux d’hiver que nous foulons le sable humide. Après une heure à respirer l’air marin, nous nous réfugions dans un troquet pour boire un chocolat chaud et récupérer l’usage de nos doigts.

« Une bonne idée que cette promenade sur la côte ! me moqué-je.

– C’est une décision, ou plutôt une erreur collective, répond Antoine.

– C’est toujours mieux que de rester dans nos appartement parisiens minuscules, réagit Nadia.

– D’ailleurs vous faites quoi le weekend prochain ? demande Julien.

– Peut-être faudrait-il travailler un peu ? réagit Antoine.

– Perso j’ai déjà un programme chargé.

J’ignore totalement la question absurde d’Antoine.

– Tu as prévu quoi ? me demande Nadia avec une fausse innocence dans la voix.

– Je vais refaire ma garde-robe. J’ai un besoin urgent de pantalons et de pulls.

– Est-ce vraiment prudent que tu y ailles seul ?

Elle affiche un sourire narquois, je devine la suite mais je décide de jouer le jeu.

– Tu crois qu’il y a un risque que je me fasse agresser ?

– Toi non, mais le bon gout sans aucun doute.

– Ah ah… On me l’a déjà faite celle-là. Je serai accompagné de Nathalie qui refuse que je choisisse seul mes vêtements. Vous vous entendriez bien toutes les deux.

– Depuis que l’on entend parler d’elle, tu ne nous l’as toujours pas présentée. C’est décidé, samedi je t’accompagne. Deux femmes ne seront pas de trop pour t’éviter des achats malheureux. Et au moins je rencontrerai enfin ta petite-amie.

– Mais ce n’est pas…

– Oui, oui, à d’autres… »

Le weekend d’après, comme prévu, nous sortons dans les rues de Paris. Je suis accompagné de deux jolies jeunes femmes. Nous sommes le dernier samedi avant décembre, les rues commencent à être pleines de gens qui font du repérage pour noël. Je sens que cet après-midi va être épuisant et pénible. Nadia et Nathalie passent leur temps à discuter et à rire ensemble. Je les précède de quelques mètres, préférant ignorer ce que j’imagine être des conversations autour de ma personne, à moins que je ne me fasse des idées. À l’intérieur des magasins, je multiplie les essayages mais rapidement nous nous apercevons qu’il y a une incompatibilité entre ce que j’aime et ce qu’elles appellent la mode. Au quatrième magasin, sans aucun achat pour l’instant, je finis par céder et les laisse choisir pour moi. J’ai un peu l’impression que c’est ce qu’elles attendaient. Je mets juste un véto sur un polo rose, mes t-shirts actuels feront très bien l’affaire.

L’année s’achève et la France, ainsi qu’une grande partie de l’Europe, passe à l’euro. Certaines choses restent identiques à elles-mêmes. Je vais devoir me réhabituer à cette monnaie, presque dix ans après être repassé au franc. Que de chemin parcouru depuis mon retour douloureux dans les années 1990 ! Je repense à ma vie d’avant, celle que j’ai laissée derrière. Je suis censé rencontrer ma femme dans trois ans maintenant, au sortir de mes études de commerce. Avec davantage de temps pour réfléchir, la nostalgie a de nouveau envahi mon esprit. Je n’ose d’ailleurs pas en parler à Nathalie, ni lui demander si elle a déjà parlé à son ex-mari. Ils doivent partager les mêmes bancs d’école. Pour l’instant elle n’a jamais abordé le sujet.

Je me lasse rapidement des soirées en boite avec des centaines de jeunes. Je préfère les soirées plus intimistes, autour d’un verre, d’un repas ou d’une séance de cinéma. Je vois surtout Nadia, Julien, Antoine et désormais Nathalie qui s’est parfaitement intégrée au groupe. Parfois ils invitent leurs propres amis, parfois nous ne sommes que cinq. Je me suis acheté une petite voiture d’occasion, ce qui facilite nos sorties ponctuelles et nos virées dans la lointaine banlieue de Nathalie.

Début février, elle me propose un weekend à Reims avec ses propres amis de Centrale. Je ne suis guère enthousiaste à l’idée de me mêler à un groupe dont je ne connais quasiment personne, mais vu qu’elle a fait l’effort de s’intégrer à mon groupe d’amis, il me parait normal d’essayer de mon côté.

Annotations

Vous aimez lire Emmanuel Andrieu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0